« Une autre architecture ... » (source) |
Paru dans Chris Younès (dir.) Maurice Sauzet, poétique de l’architecture, Paris, Norma, 2015, p. 21-27.
La montée de la nature
dans l’œuvre de Maurice Sauzet
par Augustin Berque
I. La nature hante l’œuvre de Maurice Sauzet, tant par les formes où il l’accueille que dans les propos qu’elle lui inspire. Hanter, c’est un verbe déroutant. Les étymologistes ont longtemps cru qu’il dérivait du latin habitare, avec le sens de fréquenter, être souvent quelque part, ou même habiter. À l’époque classique, on pouvait dire en ce sens « hanter chez quelqu’un », voire « hanter céans », c’est-à-dire habiter ici. Puis l’on a découvert que ce mot, venant de Normandie, dérivait de l’ancien scandinave heimta, retrouver, conduire à la maison (la racine est la même que celle de l’allemand Heim ou de l’anglais home). Dire que « la nature hante l’œuvre de Maurice Sauzet », en somme, cela voudrait dire que l’œuvre de cet architecte conduit la nature à la maison. « À la maison » : chez elle ?
II. Sauzet lui-même invoque une architecture naturelle. C’était déjà le sous-titre de l’un de ses premiers livres, Entre dedans et dehors, l’architecture naturelle (Massin, 1996), pour lequel il m’avait fait l’honneur de me demander une préface. La raison, c’était que la spatialité japonaise l’avait profondément impressionné lorsqu’il avait séjourné au pays du lever du jour, Nippon日本, et que moi, j’avais écrit un livre là-dessus. Plus tard, nous avons même écrit ensemble un autre livre : Le sens de l’espace au Japon. Vivre, penser, bâtir (Arguments, 2006). J’y parlais toujours de la spatialité japonaise, et lui des thèmes génériques qu’il y avait découverts, puis cultivés pour eux-mêmes dans son œuvre. La nature, pourtant, est censément universelle, pas plus japonaise qu’autre chose ; et qui plus est, le milieu de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où Sauzet a réalisé la majorité de ses créations, n’a rien à voir avec le milieu nippon. C’est bien pourquoi Sauzet n’en a jamais transposé les formes. Ce qu’il a fait, c’est déployer à sa manière les thèmes génériques dont ces formes-là sont une autre expression, dans un autre milieu. Et c’est cela qu’il appela d’abord « architecture naturelle », pour en venir plus tard à l’expression sur laquelle aboutit aujourd’hui la réflexion d’une vie : la nature du monde.
III. « Architecture naturelle », « nature du monde », cela pose problème. Les deux expressions paraissent voisines, certes, mais elles ne sont pas identiques, et il y a progression de l’une à l’autre. Progression dans quel sens ? À l’étape d’Entre dedans et dehors, je soulignais que parler d’architecture « naturelle », au premier abord, ne peut pas ne pas être contradictoire dans la tradition de la pensée occidentale, et en particulier du point de vue de la modernité, qui s’est fondée sur un dualisme opposant l’artifice humain à la nature. Or l’architecture, construction humaine, est typiquement un artifice. Même si nombre de grands architectes, tel un Frank Lloyd Wright au XXe siècle, ont visé une harmonie avec la nature, les constructions humaines ne peuvent pas ne pas transformer la nature. Elles en modifient le relief, la couverture végétale, la circulation de l’air, etc. À l’échelle d’une grande ville, elles changent le climat, la circulation des eaux terrestres et souterraines, les écosystèmes… Alors, n’y a-t-il donc pas antagonisme entre nature et architecture ?
IV. Travaillant sur le Japon, j’avais pourtant l’exemple d’une culture qui, au moins depuis les débuts de son histoire écrite, a fait de la nature, en quelque sorte, l’aboutissement de la culture. Plus encore que de sensibilité aux phénomènes naturels, d’harmonie avec la nature, il s’agit véritablement de mettre la nature au sommet de la culture, d’en faire le but même du travail sur soi et sur les choses. Le poète Bashô (1644-1694) l’a exprimé mieux que personne, dans l’introduction de son recueil de haïkus Oi no kobumi (笈の小文, Notes de voyage [« Notes de mon oi », celui-ci étant un coffret porté comme un sac à dos, où le lettré en voyage rangeait son nécessaire d’écriture : pinceaux, pierre à encre, etc.]), en écrivant dans les dernières lignes : « Sors de la sauvagerie, écarte-toi de la bête, et suis la nature, retourne à la nature ! (iteki wo ide, chôjû wo hanarete, zôka ni shitagai, zôka ni kaere to nari 夷狄を出で、鳥獣を離れて、造化にしたがひ造化に帰れとなり) ». À première lecture, pour un occidental, cette injonction est absurde. C’est un vrai double bind, une double contrainte : comment pourrait-on à la fois s’écarter de la nature (les sauvages, les bêtes) et la suivre, y retourner ? Et pourtant, c’est bien ce que veut dire Bashô : c’est justement par le travail de l’écriture qu’un vrai poète saura se rapprocher de la nature.
V. Transposons : c’est justement par la construction qu’un véritable architecte continuera l’œuvre de la nature. Contrer la nature, ça, le premier venu peut le faire, et le monde moderne ne s’en est pas privé. Il en a même fait une règle : l’indifférence aux lieux, aux milieux, le partout la même chose du « style international », et pire encore, le n’importe quoi n’importe où du soi-disant « postmodernisme » – en fait, la péroraison du modernisme, dans la mesure où celui-ci aura incarné, mis en pratique architecturale le principe ontologique énoncé trois siècles plus tôt par Descartes dans le Discours de la méthode (1637) : « je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle » (p. 38 et 39 dans l’édition Flammarion, 2008). Cette auto-institution de l’être du sujet individuel moderne, qui ne dépend de rien de terrestre et d’abord d’aucun lieu, c’est l’esprit même que symbolise cette architecture extraterrestre, cette E.T. architecture où se complaisent aujourd’hui nombre de nos starchitects, et qui comme eux, telle la Jérusalem céleste, descend des étoiles au lieu de monter de la Terre, de monter de la nature, à l’inverse d’une architecture naturelle. Car une architecture naturelle, cela monte de la Terre.
VI. Relisons l’Apocalypse de Jean (21, 2-16) : « Et je vis la cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s’est faite belle comme une jeune mariée parée pour son époux. (…) La ville brillait d'un éclat semblable à celui d'une pierre précieuse, d'une pierre de jaspe transparente comme du cristal. Elle avait une très haute muraille, avec douze portes, et douze anges gardaient les portes. (…) Il y avait trois portes de chaque côté : trois à l'est, trois au nord, trois au sud et trois à l'ouest. (…) La ville était carrée, sa longueur était égale à sa largeur. L'ange mesura la ville avec son roseau : douze mille unités de distance, elle était aussi large et haute que longue. (…) ». Cette figure idéale, c’est curieusement la même qui est prescrite, quelques siècles plus tôt, en Chine à l’époque des Royaumes combattants (-475/-221), dans le Mémoire sur les manufactures (Kaogongji 考工記) du Rituel des Zhou (Zhouli 周礼) : la capitale, cité idéale, doit être carrée, orientée cardinalement, avec trois portes de chaque côté et des rues orthogonales. Ce sera effectivement le modèle des capitales impériales, en particulier de Chang’an, puis, de là, le modèle de Kyôto (Heian) au Japon. L’aigle de Patmos avait-il entendu parler de ce modèle impérial ? Peut-être, ou plus vraisemblablement non ; car en fait, il s’agit d’une forme abstraite, d’une figure universelle de l’esprit destinée à s’imposer n’importe où, indépendamment des contingences terrestres. D’un urbanisme céleste, venu des étoiles comme la starchitecture, « et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle ».
VII. Qu’est-ce qui « monte de la Terre » – en mettant une majuscule à Terre, puisque c’est notre planète, pas n’importe quel sol – ? Si ce n’est les montagnes, qui comme le Tianshan 天山 (la Montagne céleste) vont rejoindre le ciel, alors ce sont les plantes. Elles le font « de soi-même ainsi », ziran 自然, comme on dit en chinois pour « la nature ». De soi-même ainsi, une plante pousse vers le ciel. C’est de là qu’est venue notre idée de nature, en Occident. Les philosophes présocratiques ont été les premiers à l’exprimer, vers le VIe siècle avant notre ère, avec le mot phusis φύσɩς. Ce mot vient de la racine indo-européenne bheu-, qui veut dire croître, être – d’où le sanscrit bhávati, il est, ou le français (je) fus, futur (i.e. devant être), etc. En grec, cette filiation concerne particulièrement les plantes, phuta (d’où nous avons gardé épiphyte, etc.) ; parce que – c’est une quasi tautologie de le dire, et c’est même devenu règle de grammaire – les plantes poussent, τά φυτά φύει, comme les enfants jouent, τά παɩδία παίζεɩ. C’est dans leur nature. Dans leur poussée, φύσɩς… Et justement, phusis n’a pas toujours voulu dire « nature ». Avant les Présocratiques, la première occurrence de ce terme – du reste un hapax (une occurrence isolée) dans l’Odyssée, X, 302-305 – a clairement un autre sens : « Ayant ainsi parlé, le dieu aux rayons clairs tira du sol une herbe, et il m’apprit sa vertu (phusin) ». Et c’est ainsi, parce qu’Hermès lui avait montré la puissance de cette plante médicinale (pharmakon), qu’Ulysse put échapper au charme versé par Circé, qui l’eût transformé en porc comme ses compagnons...
VIII. Ce qui a la puissance de monter de la Terre, hormis les plantes, c’est l’humain qui se dresse, et l’architecture. Heidegger a joué de cette image dans un écrit célèbre, Der Ursprung des Kunstwerkes (L’origine de l’œuvre d’art, 1935-1936). Il y prend l’exemple fameux du temple grec :
« Sur le roc, le temple repose sa constance. Ce ‘reposer sur’ fait ressortir l’obscur de son support brut et qui pourtant n’est là pour rien. Dans sa constance, l’œuvre bâtie tient tête à la tempête passant au dessus d’elle, démontrant ainsi la tempête elle-même dans toute sa violence. L’éclat et la lumière de sa pierre, qu’apparemment elle ne tient que par la grâce du soleil, font ressortir la clarté du jour, l’immensité du ciel, les ténèbres de la nuit. Sa sûre émergence rend ainsi visible l’espace invisible de l’air. La rigidité inébranlable de l’œuvre fait contraste avec la houle des flots de la mer, faisant apparaître, par son calme, le déchaînement de l’eau. L’arbre et l’herbe, l’aigle et le taureau, le serpent et la cigale ne trouvent qu’ainsi leur figure d’évidence, apparaissant comme ce qu’ils sont. Cette apparition et cet épanouissement mêmes, et dans leur totalité, les Grecs les ont très tôt nommés Φύσɩς. Ce nom éclaire en même temps ce sur quoi et en quoi l’homme fonde son séjour. Cela, nous le nommons la Terre ».
trad. Wolfgang Brokmeier
Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, 1962, pp. 44-45.
Ce que la belle traduction de Brokmeier rend ici par « cette apparition et cet épanouissement » est, dans le texte allemand (p. 28 dans l’édition 2012 de Der Ursprung… chez Klostermann), « dieses Herauskommen und Aufgehen », soit littéralement « Cette venue-hors et cette montée ». C’est tout ce qui sort de la Terre et qui monte ; et qui peut le faire justement parce que, de quoi sortir et sur quoi se dresser, il y a la Terre. La Terre, « ce sur quoi et en quoi l’homme fonde son séjour » (worauf und worin der Mensch sein Wohnen gründet ).
IX. L’origine de l’œuvre d’art a donné lieu à de multiples exégèses, par des approches variées, car le propos de Heidegger y reste volontairement obscur. Puisqu’il s’agit ici de l’œuvre d’un architecte, Sauzet, voyons ce qu’il en est du point de vue de l’écoumène, c’est-à-dire de l’habiter humain (ὀικεῖν, d’où éco-) sur la Terre, qui fait l’objet de la mésologie – l’étude des milieux, humains en particulier, ces derniers formant tous ensemble l’écoumène, relation de l’humanité à la Terre. Dans cette relation, la Terre n’est pas seulement « le support brut » et qui, en soi, « n’est là pour rien » – plus exactement, n’est forcé à rien, zu nichts gedrängten. Ce n’est pas la Terre elle-même qui a forcé le temple à devenir ce qu’il est, ni même ne s’est forcée à devenir cet obscur support ; c’est l’œuvre. C’est l’œuvre qui, sur la Terre et à partir de la Terre, a non seulement bâti le temple en tant que tel, mais qui fait ressortir la Terre en tant que son support. Cet en-tant-que, c’est l’essence de la relation écouménale, qui ouvre un monde à partir de la Terre. Dans cette relation, la Terre est le sujet logique S – « ce qui gît dessous », ὑποκείμενον, i.e. le support ou le substrat de l’œuvre humaine. Celle-ci est l’en-tant-que selon lequel, par nos sens, notre action, notre pensée et notre parole, nous allons saisir cela, le saisir justement en tant que quelque chose. Ce « quelque chose », c’est le prédicat P selon lequel est saisi S. Cet S en tant que P relève de quatre grandes catégories (κατηγορία veut dire « prédicat », en grec) : des ressources, des contraintes, des risques ou des agréments. Ici, le roc où s’édifie le temple est bien sûr une ressource : l’en-tant-que-support selon lequel l’œuvre le fait « venir-hors » (herauskommen) de la Terre ; autrement dit, le fait ek-sister, exister en tant que quelque chose (un support, un site, un lieu). Car sans l’œuvre, cela n’existerait pas en tant que tel ; et cet « en-tant-que-tel », c’est la réalité du monde (P) ouvert par l’œuvre humaine, sur la Terre et à partir d’elle. C’est, par l’œuvre humaine, la Terre saisie en tant que monde.
X. Volontairement sans doute – mais qui saurait le dire ? – Heidegger n’explicite pas cela. Il le préfigurait pourtant dans son cours de 1929-1930 – repris après sa mort, en 1983, sous le titre Die Grundbegriffe der Metaphysik. Welt, Endlichkeit, Einsamkeit (Les concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde, finitude, solitude, Gallimard, 1993), avec les développements qu’il y consacre à l’en-tant-que (als). Ce n’est pas lui, mais Nishida, qui dans Basho 場所 (Lieu ou plutôt Champ, 1927 ; recueilli dans le vol. IV des Œuvres complètes 西田幾多郎全集, Iwanami, 1966), a clairement énoncé l’idée que le monde est un prédicat (jutsugo sekai 述語世界). Nishida, toutefois, ne parle pas de la Terre. Pour lui, le monde est sans support, sans base (mukitei 無基底), il est issu du néant. C’était là non seulement préfigurer, un demi-siècle à l’avance, le métabasisme de la French theory – la doctrine du « on en a fini avec la base » –, mais surtout saisir l’essence du sans-terre, du sans-lieu à quoi finalement a mené l’ontologie du sujet moderne, et plus particulièrement celle de l’architecture qui en a découlé, avec le « partout la même chose » du style international, puis sa péroraison dans le « n’importe quoi n’importe où » de l’E.T. architecture. Pour la mésologie en revanche, une pareille thèse que le sans-base relève d’un bond mystique ; en effet, dans l’écoumène (la relation S/P, i.e. S en tant que P), comme chez Heidegger, le monde ne peut s’ouvrir qu’à partir de la Terre, par l’en-tant-que de l’œuvre humaine. Et ce qui, de là, vient-dehors et se dresse (geht auf), existe en tant que quelque chose : « cette apparition et cet épanouissement mêmes, dans leur totalité (im Ganzen) », c’est bien ce qui pour nous est la réalité.
XI. Comme ceux qui jadis bâtirent le temple grec, Sauzet est architecte, il n’est pas philosophe. Il ne dit pas de son œuvre ce que Heidegger dit du temple, mais c’est son œuvre même qui me pousse à un tel rapprochement. Les en-tant-que de l’écoumène, ce sont les prises que nous avons sur la Terre : l’emprise que nous avons sur elle et l’emprise qu’elle a sur nous, selon les quatre grandes catégories de l’en-tant-que-ressource, contrainte, risque ou agrément. Sauzet ne dit pas explicitement de telles choses, mais son architecture est traversée par l’idée de prise. Dans Le sens de l’espace au Japon, il la qualifie même de « parcours de prise en prise » (p. 159) :
« Le parcours de prise en prise – C’est par la succession de lieux enchaînés, par portes et passages, que se découvre une construction. Son intériorité nous est révélée en les parcourant. Cet enchaînement d’espaces devient la structure de conception de la construction. Ce parcours règle les mouvements du corps et organise les prises sensorielles dans le projet. Il articule, d’une manière consciente et précise, le temps aux trois dimensions de l’espace. Les mouvements, par lesquels nous pratiquons ce parcours, sont les fonctions majeures de l’intégration de l’homme au monde. C’est par le mouvement que nous l’investissons. C’est par lui que nous l’habitons. (…) L’architecture naturelle se doit de faire accéder l’être à cette plénitude par l’adhésion au monde. Pour y parvenir, c’est ‘entre’ ces deux pôles [le point de départ et le point d’arrivée] que se construit, par le jeu du temps et de l’espace, une ouverture de l’être. Cette déambulation vers l’intérieur usera, pas à pas, de toutes les ‘rugosités’, de toutes les ‘prises’ que peuvent offrir architecture et paysage pour que l’union homme-monde se réalise ».
XII. Lesdites prises sont ambivalentes. Elles ne viennent ni seulement de la Terre, qui sans nous et sans notre monde ne serait là pour rien, ni seulement de nous-mêmes, qui sans la Terre n’aurions prise sur rien (et pour commencer, n’existerions pas, non plus que notre monde). Elles ne sont ni seulement objectives, ni seulement subjectives ; comme dit la mésologie, elles sont trajectives. Ainsi que la chôra χώρα chez Platon (dans le Timée), ce sont à la fois des empreintes et des matrices de notre existence. Platon nous dit en effet que la chôra, en d’autres termes le milieu où se déploie l’existence, c’est à la fois la nourrice (tithênê τιθήνη) qui donne le sein à l’être relatif (la genesis γένεσις), mais qui en est aussi l’empreinte dans la cire (ekmageion ἐκμαγεῖον), c’est-à-dire le contraire. Cette trajectivité de l’empreinte-matrice, à la fois A et non-A, voilà le propre de la relation écouménale (et, plus largement, de la relation mésologique, valable pour tout le vivant dans la biosphère). De cela non plus – de cette trajectivité –, Sauzet ne disserte pas, mais il ne cesse de la mettre en œuvre dans son jeu avec la nature : le jeu du dedans-dehors, le jeu des contre-espaces, les micro-jardins au cœur de la maison, le jeu sur les limites, avec les protrusions-intrusions de l’intérieur vers l’extérieur, et réciproquement… Eugen Fink considérait le jeu comme symbole du monde, Spiel als Weltsymbol (Karl Alber, 1960). De fait, pour Sauzet, c’est sur les limites où se joue ledit jeu que s’ouvre le monde, et qu’il se vit. Qu’il y a monde, pour qui habite la Terre. Et si c’est aux philosophes de nous le dire, ou du moins de nous le suggérer, c’est aux architectes de mettre au jour et de susciter cette poussée de la nature dans l’œuvre humaine. Si elle monte (geht auf), certes, c’est « de soi-même ainsi », ziran 自然, mais guidée en tant que demeure humaine par le travail de l’architecte : voilà ce que c’est que l’architecture naturelle, et voilà ce que c’est qu’ouvrir à la nature du monde qui est le nôtre, Φύσɩς.
Palaiseau, 1er novembre 2013.