Fractal (Huang Lan-Ya:2007, Fubon Art Foundation) |
Séance du séminaire "Mésologiques", vendredi 9 décembre 2016
Entropie, entopie et géométrie trans-échelle de l’anthropocène
Pour une mésologie aux grandes échelles
Diogo Queiros-Condé
Université Paris Ouest Nanterre la Défense- Pôle Scientifique et Technologique de Ville d’Avray
Le couplage d’un être vivant avec son milieu peut être abordé par les échelles de « relation-corrélation » que l’organisme établit avec le milieu. La mésologie développée par Uexküll, Watsuji et, plus récemment par Augustin Berque (Ecoumène - Introduction à l’étude des milieux humains, 2000, Belin) donne une part importante à la notion d’échelle. La mésologie cherche à décrire la manière dont un être vivant fait corps avec ou s’accroche à son milieu. Elle traite des liens (des « prises ») que le vivant tisse sur le milieu qui le porte et montre que toute forme de vie est précisément définie par ce tissage intime. Plus les êtres sont complexes plus les échelles impliquées sont variées et étendues en ordre de grandeur. La géométrie fractale et plus généralement les géométries trans-échelles offrent des exemples des liens multi-échelles qui peuvent être tendus entre l’Être et le Milieu. L’anthropocène et son succès quasi-viral depuis 2012 a fait naître une nouvelle échelle géopolitique et économique mondiale.
Entre cette échelle globale et les échelles de vie plus locales qui font notre existence, il manque un tissu structurant qui vienne estomper les fluctuations et les ressacs, amortir les intermittences (intermittency) et les turbulences nées d’une confrontation entre échelles, une confrontation qui peut être génératrice de violences et de terreur comme cela a bien été mis en évidence par l’anthropologue A. Appaduraï dans son ouvrage Modernity at large. Cultural dimensions of globalization (1996). Nous introduisons ainsi la notion de diffusivité trans-échelles (trans-scale diffusivity) afin de caractériser la manière dont un système multi-échelle fait transiter l’information qui le structure mais aussi celle qui lui permet une résilience face aux fluctuations externes. Nous proposons de décrire cette cascade dynamique et turbulente d’échelles par la géométrie des peaux entropiques (entropic skins geometry) qui postule l’existence de deux pôles structurants en tout système multi-échelle: le corps (bulk) et la crête (crest). Le corps - vu comme le « Sujet » défini dans la mésologie de A. Berque - correspond à la zone active de l’être c’est-à-dire à son extension spatiale entière. La crête est la partie du corps la plus éloignée de l’équilibre qui offre au système ses potentialités évolutives ou son ouverture en termes de prédication. Nous définissons le nombre de spations de l’Être comme étant le nombre de crêtes nécessaires au remplissage du corps ce qui correspond à une saturation du potentiel évolutif. Pour marquer une spatialité associée à cette quantité (nommée aussi « entropie d’échelle » (scale entropy) qui n’a rien à voir avec l’idée de désordre, nous introduisons le néologisme d’entopie (entopy) pour désigner cette quantité. L’entopie donne la mesure du nombre de niveaux de structuration qui peuvent être tissés entre le corps et la crête pour atteindre une saturation terminale qui marque la fin des capacités évolutives de l’organisme. Cette approche est décrite en détail dans l’ouvrage Le Monde des fractales- la Nature trans-échelles (D. Queiros-Condé, J. Chaline et J. Dubois, Ellipses, 2015) où ces concepts sont appliqués au domaine de la physique, des systèmes vivants et des organisations humaines.