jeudi 14 avril 2011

Lettre de Tokyo / Marc Humbert

La centrale nucléaire de Fukushima
La centrale nucléaire Fukushima, le 12 mars 2011 AFP
Bonjour,

Personnellement j'aimerais et je voudrais croire que le monde ne va pas attendre d'autres catastrophes pour prendre les dispositions nécessaires afin de les éviter à l'avenir et donner une chance de survie à notre humanité.
Le terrorisme économique tue
Il tue par l'économie
Il tue également par l'atome civil

Les populations qui vivent à proximité ( 50 - 60 km peu importe le chiffre) d'une centrale nucléaire en activité, vivent sous une menace au moins aussi importante que ceux qui vivent sur les pentes d'un volcan.
Je considère personnellement que tout outil est dangereux et comporte des risques, quel seuil de risque peut-on accepter? Il est certes difficile de déterminer un seuil, il devrait être débattu collectivement, la vie étant collective.
Quand un avion se crashe pour des raisons autres qu'une attaque cela peut tuer la totalité des passagers plus des personnes au sol; ce risque effraie certaines personnes qui refusent pour cette raison de monter en avion. Pour autant il me semble que c'est un risque à courir.
Quand une centrale thermique ou une usine chimique explose on peut minimiser les dangers de pertes en vie humaine avec des mesures adaptées.
Marc Humbert
Marc Humbert vit à Tokyo,
il est directeur de l'Institut Français
de Recherche à l'Étranger -
(UMIFRE 19 CNRS-MAE)
Une centrale nucléaire a le potentiel de destruction de vies humaines qui dépasse tous les seuils acceptables. Je pense qu'un débat qui devrait avoir lieu sur ce sujet arriverait à cette appréciation.
Quand des personnes se font tuer régulièrement sur un passage à niveau ou dans une courbe de route, au bout d'un certain temps on fait les travaux nécessaires: un pont, un tunnel, une portion à quatre voies: combien faut-il de tués pour que la dépense soit engagée? On donne une estimation du coût de la vie humaine.
Quand on dit que telle ou telle chose est moins chère, par exemple le megawat de la centrale nucléaire est moins cher qu'un de centrale de type Y.... c'est sans prendre en compte la différence de potentiel entre cette centrale de type Y... et la centrale nucléaire, potentiel en capacité de destruction de vies humaines en cas d'incident grave.

De la convivialité
Pour qu'une centrale nucléaire soit considérée comme compétitive il faut accorder un prix dérisoire à la vie humaine.
Si la vie humaine n'a pas de prix, les centrales nucléaires pas plus que les outils trop gros comme les banques too big to fail ne devraient avoir le droit d'exister.
( cf. De la convivialité, La découverte, 2011).
C'est là dessus et pas sur la laïcité qu'il est urgent de débattre ; pour décider ou non de programmer le démantèlement de tous ces outils qui exercent sur les populations un terrorisme insupportable.

Pour cela il faut évidemment que les populations se mobilisent, les Etats et les oligarques professionnels de la politique, élus comme on vend des savonnettes, sont liés avec les pouvoirs de ce terrorisme économique. Mobiliser les populations par des écrits, des mouvements n'est pas chose facile.

Et puis au quotidien ici au Japon il faut pour les Japonais (au moins) une certaine solidarité pour s'en sortir : le jour où la planète entière sera en péril certains imaginent devenir des cyber humains ou aller se planter sur la lune ou ailleurs ; je n'ai pas les chiffres des Japonais qui se sont expatriés.
En tout état de cause les Japonais ordinaires ne peuvent le faire. Il leur faut donc régler ce problème de la centrale ; il leur faut régler le problème des déplacements de population ; il leur faut régler le problème d'alimentation saine de cette population. Il faut savoir comment prendre soin de tous ceux qui souffrent et vont souffrir encore.

Les défis sont immenses ; il faut que le Japon innove car on n'a pas d'expérience d'un tel drame, mais il peut tenir compte de la manière bien critiquée de la façon dont Hiroshima et Minamata ont été traités. Il me semble que ce n'est pas très facile de trouver les bonnes voies et je voudrais espérer que la mobilisation des compétences et les débats vont s'engager pour y parvenir.

(en savoir plus)
A notre petite échelle avec Hiroko nous sommes en train de mettre au point un programme avec des agriculteurs frappés de plein fouet par le sinistre. Beaucoup d'associations s'efforcent de relever la tête et s'engagent sur la voie d'un autre type de fonctionnement. Espoir.

Bien cordialement
Marc

Note complémentaire :

Le projet de soutien aux paysans japonais sinistrés par le séisme et l’accident nucléaire de mars 2011 consite plus particulièrement à

1) Constituer un réseau de fermes d’accueil et à assurer sa coordination pour y amener des paysans sinistrés à la recherche d’un nouveau lieu d’activité
2) Créer de nouvelles communautés d’échange, de coopération et de soutien.

Pour plus d'information contacter Hiroko Amemiya : hiroko.amemiya(at)gmail.com. Hiroko connait ce secteur, elle a publié récemment un ouvrage Du teikei aux Amap, le renouveau de la vente directe de produits fermiers locaux