Pavillon sur l'eau, Chen Hengke,1921 (source) |
L’eau dans les paysages
Par Augustin Berque
L’eau dans les paysages, ce n’est pas simplement du monoxyde de dihydrogène (H2O) ici et là, chose qui ne se rencontre pas seulement sur la Terre mais ailleurs aussi dans le système solaire. Sur la Terre elle-même, ce n’est pas non plus seulement cette solution aqueuse – l’eau – dont, sous forme de gouttelettes, la structure physique en elle-même aurait été propice à l’apparition de la vie, et qui de toute façon est nécessaire aux êtres vivants, donc à l’existence des écosystèmes. L’eau dans les paysages, c’est même encore quelque chose de plus ; car cela exige l’existence d’êtres humains qui, justement, considèrent cela en tant que paysage. Or à la différence de la biosphère et de ses écosystèmes, contrairement à l’opinion commune, cet « en tant que paysage » sans lequel il ne pourrait y avoir de paysages, il n’a rien d’universel. Il est apparu à un certain moment de l’histoire et dans une certaine culture ; précisément au IVe siècle de notre ère, et en Chine du Sud. C’est à partir de là qu’il s’est répandu ailleurs – en Europe notamment, à la Renaissance, quoiqu’on ne puisse exclure qu’il s’agisse là d’un événement indépendant –, d’abord parmi les élites oisives et cultivées, puis petit à petit dans les autres couches sociales, jusqu’à nous paraître aujourd’hui cette chose universelle : le paysage. N’oublions pas pour autant que voici à peine plus d’un siècle, ce connaisseur en la matière qu’était Paul Cézanne confiait à Joachim Gasquet, le poète et critique d’art, qu’il doutait que les paysans de la région d’Aix eussent jamais vu la Sainte-Victoire. Optiquement certes, ils la voyaient tous les jours, mais en tant que paysage, effectivement, ils ne l’avaient jamais vue ; car voir le pays en tant que paysage – que le pays existe en tant que paysage –, cela exige un certain regard, lequel, pendant longtemps, n’a été l’affaire que des happy few.