INTERVIEW
Augustin Berque
1. Grâce à votre posture d’interface et d’observateur entre les mondes occidentaux et orientaux, selon vous quels seraient les points de jonction et les points de disjonction sur la relation entre humains et non-humains ?
Selon les diverses cultures d’Orient et d’Occident, a fortiori si l’on en considère l’histoire, il y a des dizaines de réponses possibles. Au Moyen Âge, l’expression ex Oriente lux, "la lumière vient d’Orient" voulait dire retrouver les textes de la philosophie grecque à travers leurs traductions en arabe, car l’Europe les avait perdus ; mais vu de Chine, l’islam n’a rien d’oriental. Aujourd’hui, « l’Occident » veut dire quelque chose où le christianisme et la civilisation moderne sont liés, et "l’Orient", quelque chose qui va du bouddhisme à l’animisme shintô. C’est dans les deux cas très varié. Je vais donc ici me borner à caricaturer le Japon et la France. Le cogito cartésien, parangon du sujet moderne, proclame qu’il n’a "besoin d’aucun lieu pour être" (Discours de la méthode). C’est le sujet absolu, autosuffisant. Il s’ensuit que tout le reste (hormis ses semblables) est un objet mécanique. Voilà l’essence du dualisme : la coupure entre l’humain et le reste. L’humain nippon est à l’inverse : son expression à tous égards est relationnelle, et le bouddhisme va jusqu’à proclamer que tous les êtres du monde naturel incarnent la bouddhéité (busshô 佛性), alors que le cogito tient de la Bible la conviction que lui, et lui seul, a été créé à l’image de Dieu.