mardi 28 juin 2011

Compte rendu de l’enseignement en 2010-2011 / Augustin Berque

Les quatre séminaires ont tourné autour de la même question de fond : comment la vie articule-t-elle, dans les milieux humains, la matière et l’esprit ? Dans le séminaire principal (« La poétique de la Terre »), cette question était posée plus particulièrement sous le rapport de l’histoire naturelle (l’évolution) et de l’histoire humaine. L’un des thèmes abordés, celui des degrés ontologiques de la subjectité (entre la conscience individuelle, où celle-ci est maximale, et la matière, où elle est nulle ou en tout cas négligeable à l’échelle humaine, il y a tout l’étagement du vivant), a conduit à s’intéresser à l’œuvre du naturaliste japonais IMANISHI Kinji, et plus particulièrement à son ouvrage Shutaisei no shinkaron (La subjectité dans l’évolution).
Un autre thème important a été celui du tétralemme (une forme de raisonnement en quatre étapes, développée par les logiciens indiens à partir du IIIe siècle pC, enchaînant 1. affirmation, 2. négation, 3. ni affirmation ni négation, 4. à la fois affirmation et négation), à partir de l’ouvrage de YAMAUCHI Tokuryû Rogosu to renma (Logos et lemme). L’hypothèse, en cours d’élaboration, était que l’apparent bond mystique accompli entre les deux premiers lemmes et les deux seconds (en particulier dans le cadre du bouddhisme du Grand Véhicule) correspond à la réalité concrète de tout milieu humain dans la mesure où y intervient nécessairement le symbolique, lequel bafoue le principe d’identité (A y est en même temps non-A, ce qui correspond au 4e lemme). Dans cette hypothèse, l’insubstantialité du champ mésologique, qui est relationnel, correspondrait au 3e lemme (la double négation), condition nécessaire du 4e comme le montre Yamauchi. Ce serait là, entre le sujet et l’objet, ce « troisième et autre genre » (triton allo genos, soit dit en détournant une expression que Platon emploie à propos de la chôra) qu’est la trajectivité, concept central de la mésologie (étude des milieux humains), que la logique de l’identité du sujet ne permet pas de saisir. L’enjeu de cette question, c’est que cette incapacité à saisir l’essence des milieux (pas seulement humains, mais y compris ceux du vivant) est inhérente à la civilisation moderne, et au cœur en particulier de son impasse écologique.
Le second séminaire a consisté, comme chaque année, à commenter du point de vue de la mésologie des travaux accomplis par les doctorants. Dans les deux autres séminaires, organisés avec Luciano Boi, A. Berque a abordé certaines questions corrélatives au thème de son séminaire principal, à partir notamment d’un commentaire de l’article de Georges Canguilhem, Le vivant et son milieu.

Avec l’aide de Yoann Moreau, doctorant, l’ensemble de ces séminaires et des travaux connexes a permis la création et l’entretien d’un blog, http://ecoumene.blogspot.com/, destiné notamment à maintenir le courant des études mésologiques après le départ du directeur d’études à la retraite (31 août 2011).

Publications


- Histoire de l’habitat idéal. De l’Orient vers l’Occident, Paris, Le Félin, 2010.
- Milieu et identité humaine. Notes pour un dépassement de la modernité, Paris, Donner lieu, 2010.
- (Traduction et glose) WATSUJI Tetsurô, Fûdo. Le milieu humain, Paris, Éditions du CNRS, 2011, 330 p.

Articles
- Logique des lieux de l’écoumène, Communications, 87, 2010, p. 17-26.
- La théorie de la médiance de Watsuji Tetsurô et son actualité, p. 229-240 dans Jacynthe Tremblay (dir.) Philosophes japonais contemporains, Presses de l’Université de Montréal.
- Des fondements ontologiques de la crise, et de l’être qui pourrait la dépasser, VertigO – la revue électronique de l’environnement, vol. 10, n° 1, avril 2010, 16 p.
- Des eaux de la montagne au paysage, p. 245-260 dans Bernard Barraqué et Pierre-Alain Roche (dir.), Peurs et plaisirs de l’eau, Paris, Hermann, 2010.
- Field and hermeneutics in the case of Japan, Cultural geographies, XVIII (2010), 1, 119-124.
- Pourquoi cette vogue du fengshui au XXIe siècle ? p. 149-168 dans Jean-Jacques WUNENBURGER et Valentina TIRLONI, dir., Esthétiques de l’espace. Occident et Orient, Paris, Mimesis, 2010.
- Légende de Jakbirk aux Aït Mhand, Awal. Cahiers d’études berbères, n° 40-41 (2009-2010), p. 208-211. Repris dans Le 5, allée Jacques-Berque, Nantes, Coiffard, 2011, p. 41-46.
- Cosmos malade ? (propos recueillis par Sven Ortoli), Philosophie magazine, hors série n°9 : Le cosmos des philosophes, février-mars 2011, p. 38-40.
- L’herbe aux cimes de la culture, p. 49-60 dans Jean MOTTET, dir., L’Herbe dans tous ses états, Seyssel, Champ Vallon, 2011.
- La révolution industrielle serait-elle une simple question de géographie ? EspacesTemps.net, avril, 4 p.
- Le tsunami, l’atome et les cerisiers, La géographie. Terre des hommes, n°1540, janvier-mars 2011, p. 7-9.
- L’insoutenable habitat idéal, Place publique, mai-juin 2011, n° 27, p. 133-137.
- Lassus et la mouvance du DEA Paysage, p. 59 et 64, Manzar, n°13, mars-avril 2011.
- À l’école des toupayes, EspacesTemps.net, 16 mai 2011.