mercredi 11 février 2015

Recension / A. Berque

The Great Day of His Wrath John Martin
(source)

Vous avez dit « naturel » ?


Virginie DUVAT et Alexandre MAGNAN
Paris, Le Pommier, 2014, 312 p., 23€ 

S’il est des géographes qui nous assurent que Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête[1], ou au contraire des prospectivistes qui nous décrivent déjà L’effondrement de la civilisation occidentale[2] (rétrospectivement, vu de 2393), on creuse ici les interrelations qui « fabriquent des catastrophes » à partir de simples événements naturels. Le thème est géographique entre tous, et l’idée n’est pas neuve. On sait qu’il y a catastrophe quand l’humain est concerné, mais pas quand il ne l’est pas. C’est cette logique que le livre de V. Duvat et A. Magnan développe et affine, en passant en revue au fil des chapitres près d’une dizaine de cas qui nous mènent du Bangla-Desh aux îles coralliennes du Pacifique, en passant par la tempête Xynthia, l’ouragan Katrina, le cyclone Luis à Saint-Martin, le tsunami du « 3.1.1 » (i.e. le 11 mars) au Japon, et la résilience des Maldives après le tsunami de 2004. 


des catastrophes naturellesIls montrent que si la vulnérabilité des sociétés face aux aléas naturels dépend évidemment de l’échelle de ces derniers (quelles que soient les précautions prises, «  Un séisme de magnitude 9 et un cyclone de catégorie 5 seront nécessairement très destructeurs », p. 268), cette vulnérabilité a non moins nécessairement des racines socioéconomiques et culturelles, lesquelles évoluent historiquement. Elle a notamment été aggravée aux cours des dernières décennies  car l’on a « Presque partout dans le monde [assisté à une] littoralisation des sociétés » (p. 274), alors que dans le même temps se perdait la « véritable culture maritime » (p. 275) des liens entre les sociétés et l’environnement littoral : « Ce phénomène (…) s’est logiquement accompagné d’une érosion progressive des savoirs associés, mais aussi de l’abandon de pratiques d’entretien des espaces de vie qui étaient liées à ces activités et contribuaient à réduire les risques » (p. 275). En même temps, les moyens techniques modernes ont engendré un « mythe de la sûreté » (p.276) qui faisait croire, à tort, que l’on pouvait s’affranchir des aléas naturels. Les auteurs concluent en préconisant, pour réduire la vulnérabilité,  de « Recréer des systèmes de ressources viables » (p. 289) localement, et de « Restaurer les écosystèmes et réinventer les rapports des sociétés à leur environnement » (p. 292). En effet, « Lorsqu’ils sont en bon état de santé, les récifs coralliens et les mangroves forment par exemple des barrières plus efficaces que n’importe quel ouvrage d’ingénierie face aux vagues de tempête » (p. 293). Une « reconquête d’une culture de la nature » (p. 295) s’impose donc, en même temps qu’il faudra « Reconstruire les solidarités aux différentes échelles territoriales » (p. 296). On ne saurait qu’être d’accord ; mais on s’arrête là au seuil du procès général qu’il faudra bien, un jour ou l’autre, que la géographie intente à la condition moderne…
Augustin Berque
EHESS

    



[1] Sylvie BRUNEL et Jean-Robert PITTE (dir.) Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête. 15 grands scientifiques géographes nous rassurent sur notre avenir, Paris, Jean-Claude Lattès, 2010.
[2] Erik M. CONWAY et Naomi ORESKES, L’effondrement de la civilisation occidentale, Paris, LLL Les Liens qui Libèrent, 2014.