mercredi 14 février 2018

Les fondements philosophiques de l’« agronomie naturelle » selon Fukuoka / Augustin Berque

Échantillon de semences de blé germé
(Musée de l'agriculture de l'alimentation, Ottawa)
source
Les relations homme-nature dans la transition agroécologique
Les Journées scientifiques de SupAgro – Montpellier, 21 novembre 2017 –

Les fondements philosophiques de l’« agronomie naturelle » selon Fukuoka

par Augustin Berque


Résumé : Fukuoka Masanobu (1913-2008) promouvait une « agronomie naturelle » (shizen nôhô) fondée sur la négation des principes de l’agronomie moderne : pas de machines, pas de labour, pas d’engrais chimiques, pas de pesticides, pas de désherbage, pas d’élagage. On montre les racines taoïstes et bouddhiques de sa manière de penser, pour terminer sur un rapprochement entre Fukuoka, Hésiode et Virgile, et un éloge de l’inartifice.

Plan : § 1 L’agronomie naturelle ;  § 2. La nature ; § 3. La négation ; § 4. La relation ; § 5. La recouvrance de l’Âge d’or.






§ 1. L’agronomie naturelle 
            Fukuoka Masanobu[1] (1913-2008) est comme on le sait l’une des figures emblématiques de l’agroécologie, dans la version qu’il nommait « agronomie naturelle ». Ce terme rend ici le japonais shizen nôhô 自然農法, ce que l’on connaît plus généralement en France comme « l’agriculture naturelle », à partir de la traduction américaine natural farming. C’est en effet à partir des États-Unis, et à partir de traductions en anglais, que Fukuoka aura été connu en France ; c’est le cas notamment de son livre le plus célèbre, La Révolution d'un seul brin de paille.  Une introduction à l'agriculture sauvage[2], traduction de The One-Straw Revolution: An Introduction to Natural Farming (1978), traduction de Shizen nôhô. Wara ippon no kakumei自然農法. 藁一本の革命 (1975, remanié dans les rééditions de 1983 et 2004)[3]. Le livre a été traduit en vingt langues, et vendu à plus d’un million d’exemplaires.
            Si je préfère traduire nôhô par « agronomie » plutôt que par « agriculture », ce n’est pas seulement parce que le terme qui en japonais correspond à « agriculture » est plutôt nôgyô 農業, mais parce que le de nôhô connote la méthode, voire la loi, et qu’il y a bien cette perspective nomothétique dans ce qu’a recherché Fukuoka. L’inconvénient de cette traduction est toutefois que l’agronomie, en tant que science, se dit en japonais nôgaku 農学, et que c’est cela justement que Fukuoka rejetait, comme on le verra. Il faudra donc, ici, comprendre « agronomie » dans un sens plus pratique que théorique. En somme, shizen nôhô, c’est la méthode naturelle en agriculture, ce que Fukuoka opposait radicalement à la méthode artificielle qui règne aujourd’hui.
            La mise au point de cette méthode naturelle aura été l’œuvre d’une vie. Fukuoka Masanobu est né en 1913 dans le village de Minami Yamazaki (aujourd’hui inclus dans la ville d’Iyo), dans la préfecture d’Ehime, sur la côte nord-est de l’île de Shikoku, qui donne sur la mer Intérieure, Setouchi. Son père était un riche propriétaire terrien. Après des études d’agronomie et de microbiologie à Gifu, il devient en 1934 inspecteur des douanes à Yokohama, en charge des végétaux. En 1937, près de mourir d’une pneumonie, il a une crise intérieure qui, dans une sorte de révélation, lui fait comprendre la vanité de toute chose en ce monde :

« Cette manière de penser, elle s’est formée brusquement dans ma tête, alors que j’étais encore jeune. Et pourtant, la conclusion que ‘le savoir humain, l’action humaine sont complètement inutiles’[4], cette pensée-là, moi-même, je ne savais pas si elle était juste ou non. J’étais seulement dans un état d’esprit où brûlait en moi une conviction inébranlable »[5].  

            Il démissionne alors pour revenir à l’agriculture dans la propriété paternelle. En 1939, il devient chercheur dans une station agronomique à Kôchi (Shikoku). Il démissionne en 1949 pour revenir derechef à l’agriculture, se consacrant désormais exclusivement à mettre au point, dans une suite d’essais et d’erreurs, les méthodes de son « agronomie naturelle ». Devenu petit à petit célèbre – il passe à la télévision pour la première fois en 1976, et est de nombreuses fois invité à l’étranger à partir de 1979 –, il meurt en 2008, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans, laissant de nombreux disciples dans le monde entier (bien plus qu’au Japon, mais nul n’est prophète en son pays), et une abondante œuvre écrite.
            Notons en passant que ce parcours, avec un premier puis un second retour à la campagne, rappelle curieusement celui de Tao Yuanming (365-427), le poète chinois, dont l’œuvre est familière à toute l’Asie orientale comme apologie du retour aux champs et, plus fondamentalement, du retour à la nature[6]. Toutefois, si Tao Yuanming est bien « revenu habiter à la campagne » (gui yuantian ju歸園田居), ce n’est pas en agronomie mais en littérature qu’il est resté dans l’histoire. Fukuoka, lui, a mis au point une méthode, ou une pratique, laquelle non seulement relève bien de l’agriculture, mais bouleverse les principes les plus fondamentaux de l’agronomie moderne. C’est une révolution agricole d’un ordre que l’on peut, au moins du point de vue technique, mettre sans exagérer sur le même plan que ce que Vere Gordon Childe a qualifié jadis de « révolution néolithique », c’est-à-dire ni plus ni moins que l’invention de l’agriculture[7] ; et cela justement parce que la méthode de Fukuoka nie radicalement les principes fondateurs de ce qu’aura été l’agriculture depuis le néolithique, particulièrement dans la forme qui s’est transmise du Proche-Orient vers l’Occident, pour y évoluer jusqu’à devenir cette agronomie moderne dont le modèle tend aujourd’hui à s’imposer à la planète entière.
            En effet, l’agriculture naturelle selon Fukuoka s’est fondée sur les cinq négations suivantes :
- pas de machines (mukikai 無機械) ;
- pas de labour (fukôki  不耕起) ;
- pas d’engrais (muhiryô無肥料) ;
- pas de pesticides (munôyaku 無農薬) ;
- pas de désherbage (mujosô無除草)
            Comment cela est-il possible ? La méthode consiste, pour l’essentiel, à cultiver sur une même parcelle le riz et le blé en continu, mais décalés dans le temps. Le riz n’est pas repiqué mais semé à la volée, et combiné avec du trèfle, que l’on sème avant la moisson du riz. Le blé est ensuite semé sur la même parcelle, toujours avant la moisson du riz. Les semis se font sous la forme de boulettes de glaise (nendo dango粘土団子) contenant le grain. Le riz une fois récolté, on épand la paille de riz, qui protège les jeunes pousses de blé des adventices. Avant la récolte du blé, on resème le riz, également sous la forme de boulettes de glaise. Après la récolte du blé, on épand la paille de blé, qui protège les jeunes pousses de riz des adventices.  Et ainsi de suite.
            En dehors de l’agriculture proprement dite, la méthode des boulettes de glaise, où l’on peut mélanger des graines de diverses sortes, a été expérimentée en région aride dans plus d’une dizaine de pays (Grèce, Espagne, Kénya, Somalie, Inde, Thaïlande, Chine…), pour le reboisement en général, et plus particulièrement pour reconstituer des bananeraies en Asie du sud-est.
            Les mêmes principes sont appliqués en maraîcherie et en arboriculture (pas d’élagage des arbres fruitiers, agroforesterie…). Dans le détail toutefois, Fukuoka aura admis quelques engrais, mais toujours naturels (fientes de poulet, etc.).
            Au Japon même, l’agriculture naturelle a permis à Fukuoka d’obtenir des rendements du même ordre que ceux de l’agriculture moderne, soit environ soixante quintaux de rizon (genmai 玄米, riz non décortiqué) à l’hectare, à cette essentielle différence près que ces rendements se maintiennent indéfiniment sans intrants sur la même terre.
            Last but not least, ajoutons que ces rendements étant convertibles en énergie, car mesurables en calories (celles à quoi équivaut le grain récolté), ils sont au total énormément supérieurs, puisque cette agriculture naturelle se passe complètement de l’énergie nécessaire pour produire les machines dans des usines et les faire fonctionner dans les champs, comme de celle nécessaire pour produire les engrais et les pesticides dans des usines et les épandre mécaniquement dans les champs ; sans compter que toutes ces machines, tous ces produits chimiques tassent et tuent la terre, nécessitant donc, en cercle vicieux, toujours plus d’énergie pour la labourer et pour compenser chimiquement son infertilité croissante.
            Mais mon objet n’est pas ici d’entrer dans les détails techniques de cette méthode ; c’est d’examiner plutôt les principes onto-cosmologiques et conceptuels qui l’ont guidée.

§ 2. La nature
            Dans le syntagme shizen nôhô (agronomie naturelle), shizen 自然 est ce que l’on traduit par « naturelle ». Le mot vient directement du chinois, où ses deux sinogrammes sont prononcés ziran. Le Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise[8] en donne les sept acceptions suivantes : « 1. Naturel. Nature. 2. (Taoïsme) Être ‘tel’ par soi-même (un aspect du Tao). 3. Spontané. Spontanément. Spontanéité. 4. Naturellement ; bien sûr ; bien entendu. 5. (Sciences) Sciences naturelles. 6. (Philosophie chinoise) De soi, par soi-même. Le naturel ; l’agir naturel ; la spontanéité naturelle ; la vie spontanée (qui épouse et reflète parfaitement les êtres et les situations, tels qu’ils se présentent). 7. Naturellement ; avec aisance ».
            Cette liste ne donne pas la traduction lexicalement la plus proche de ziran, à savoir la locution adverbiale « de soi-même ainsi » (en anglais self-so), ce qui a été rendu en japonais par onozukara shikari. Comme l’écrit le Laozi[9] (XXV), dans l’une des plus anciennes occurrences de ziran, « l’Homme se règle sur la Terre, la Terre se règle sur le Ciel, le Ciel se règle sur le Tao, le Tao se règle de soi-même ainsi » (ren fa di, di fa tian, tian fa Dao, Dao fa ziran  人法地、地法天、天法道、道法自然). On voit bien là que ziran n’est pas un substantif. C’est un mode d’être où l’agir humain n’intervient pas[10]. Le concept inverse est le wen , sinogramme dérivé du pictogramme de lignes entrecroisées (veines du bois ou de la pierre), qui en est venu à signifier l’écriture, et de là la culture (wenhua  文化, « transformation en wen), la civilisation (wenming 文明, « les lumières du wen »), qui s’acquièrent par l’effort. Les confucianistes, auxquels s’opposent les taoïstes, parlent beaucoup de wen, mais peu de ziran.
            Dans le Laozi, toutefois, ziran n’a pas encore le sens de nature ou d’environnement. Plus tard (dans le Zhuangzi[11], etc.), le terme va aussi évoquer tian , le ciel, le monde naturel, et xing , la nature humaine. Ziran va devenir quelque chose qui existe pour l’homme, toujours empreint d’une valeur positive, et où celui-ci peut se réfugier, se sauver (c’est le cas de Tao Yuanming). Au Japon, la notion pénètre assez tôt, mais reste longtemps peu répandue chez les kangakusha 漢学者 (lettrés étudiant la Chine), qui sont surtout confucianistes. Le bouddhisme, où le terme est prononcé jinen  plutôt que shizen, en parle davantage ; notamment Shinran (1176-1262), avec l’expression jinen hôni 自然法爾, « manière d’être spontanée, sans calcul ni projection »[12].
            On traduit aujourd’hui couramment ziran (jp shizen) par « la nature » ; mais pour comprendre vraiment ce dont il s’agit quand, par exemple, Fukuoka parle d’agriculture « naturelle », il faut avoir en tête cette histoire du terme shizen. Il est composé de deux éléments, l’un qui signifie « soi-même, de soi-même » (, cn zi, jp ji, shi, lu encore onozu et mizu ), l’autre « ainsi » (, cn ran, jp zen ou shikari) ; donc, « de soi-même ainsi ».
            La question, c’est ici de savoir qui ou quoi représente le zi. La réponse, c’est qu’il est ambivalent : il peut s’agir soit de l’identité propre du moi qui s’exprime, soit de l’identité propre de quelque chose d’autre, soit encore – et c’est là, au sens propre d’une nouaison entre deux aspects, le nœud  de la question – des deux à la fois. Autrement dit, il peut s’agir à la fois de ce que nous appelons d’une part le sujet parlant, de l’autre de l’environnement, i.e. ce que nous appelons aussi « la nature », et où la science moderne ne voit qu’un objet, mais qui en fait n’en est pas un dans les milieux concrets – nous verrons dans un instant pourquoi. En attendant, constatons que cette ambivalence de zi, et par conséquent de ziran,  est patente dans ces deux vers de Tao Yuanming, à propos de son retour à la campagne :
    
                       久在樊籠裏        Jiu zai fanlong li                Longtemps resté en cage
                                   復得返自然        Fu de fan ziran                   À nouveau j’ai pu retourner à la/ma nature[13]

            Dans ce « retour au ziran (fan ziran 返自然) » se nouent en effet concrètement la fuite loin de la ville, foyer de l’artifice du wen, et la recouvrance de la nature propre (xing) du poète lui-même. La nature extérieure et la nature intérieure ne font plus qu’une. Et c’est bien là l’idéal du Dao, qui peut se vivre mais pas se dire, comme l’exprime le dernier vers du plus célèbre poème de Tao Yuanming, Boisson V (飲酒五), qu’il composa en l’an Ier de l’ère Yuanxing (402) :

                  結廬在人境        Jie lu zai renjing                J’ai monté ma cabane en milieu humain
                  而無車馬喧        Er wu che ma xuan          Mais de chars et chevaux nul vacarme
                  問君何能爾        Wen jun he neng er         Je me dis : comment est-ce possible ?
                  心遠地自偏        Xin yuan di zi pian           À coeur distant, terre elle-même éloignée…
                  採菊東籬下        Cai ju dong li xia               Cueillant un chrysanthème sous la haie de l’est
                  悠然見南山        Youran jian Nanshan    Je vois à loisir le mont Sud
                  山気日夕佳        Shan qi ri xi jia                   Il souffle un accord au soleil couchant[14]
                  飛鳥相與還        Fei niao xiang yu huan                  Des vols d’oiseaux s’assemblent au retour
                  此中有真意        Ci zhong you zhen yi      C’est là qu’est le sens véritable
                  欲辨已忘言        Yu bian yi wang yan       Je voudrais le dire… déjà me défaut la parole[15]

            Cette impossibilité de dire le « sens véritable », i.e. le Dao « de soi-même ainsi » : le véritable cours de la nature, cela n’est autre que la fameuse entrée en matière du Laozi lui-même :

  道可道非常道  Dao ke dao fei chang Dao  Le Dao qui peut se dire n’est pas le Dao de toujours             
§ 3. La négation
            La première publication de Fukuoka, parue à ses propres frais à Iyo en février 1947, fut un opuscule portant le titre de Mu『無』. Je n’ai pas eu l’occasion de le lire, mais Fukuoka l’a repris, avec des aménagements mineurs, dans le premier des trois gros volumes qu’il a publiés vers la fin de sa vie sous ce même titre général de Mu, et que l’on peut considérer sinon comme ses œuvres complètes, du moins comme son grand œuvre  :  Mu I. La révolution divine (Mu I. Kami no kakumei I. 神の革命) ; Mu II. La philosophie du non (Mu II. Mu no tetsugaku II. 無の哲学) ; Mu III. L’agronomie naturelle (Mu III. Shizen nôhô III.自然農法). Ces trois volumes sont parus presque simultanément, en juillet et août 1985, aux éditions Shunjûsha (Tokyo) ; simultanéité qui s’explique parce qu’il s’agit en fait de la reprise, quasi non remaniée, de nombreux écrits ou enregistrements antérieurs de Fukuoka. Celui-ci a encore publié par la suite, chez le même éditeur, Vivre la nature (Shizen wo ikiru 自然を生きる, 1997), mais il s’agit là d’entretiens avec un journaliste de la NHK[16], Kanamitsu Toshio, au cours desquels Fukuoka ne fait que revenir sur les convictions qui l’ont guidé toute sa vie (il était alors âgé de près de quatre-vingt-dix ans).
            Du début à la fin, le thème central des idées de Fukuoka peut effectivement être emblématisé par le sinogramme, qui se prononce wu en chinois et mu en japonais. Son sens fondamental est « ne pas y avoir, ne pas exister ». Son contraire est (prononcé you en chinois, , u ou a.ru en japonais), « avoir, y avoir, exister, être ». C’est l’équivalent de nos suffixes privatifs a-, in-, non- (par exemple dans anomie, acosmie, inhumain, non-humain). Dans la philosophie chinoise, plus particulièrement dans le taoïsme, wu est selon le Ricci « le vide métaphysique antérieur à l’un ; l’absence de fondement ou de substance propre des choses ; l’impossibilité de poser un fondement ».
            Cette notion proprement chinoise d’« il n’y a pas », wu – qu’on pourrait plus savamment rendre par « inexistence » – a par la suite rencontré celle de kong , le vide bouddhique (traduction du sanskrit sunyâta), avec laquelle elle avait une affinité certaine, et qui s’est accusée par la suite. Le bouddhisme pénètre en Chine, par la route de la soie, vers le début de notre ère, et se combine avec la pensée chinoise sous les Six Dynasties (IIIe-VIe siècles). La traduction des concepts formulés en sanskrit ou en pâli dans les soutras bouddhiques a en effet largement fait appel au vocabulaire de la philosophie chinoise, le taoïsme en particulier. C’est de là notamment qu’est issu le chan – rendu phonétique du pâli jhâna, sanskrit dhyâna, méditation, absorption méditative – dont le sinogramme se lit zen en japonais.
            Or le texte fondateur du bouddhisme du Grand Véhicule (dont relève le zen), le Traité du milieu de Nāgārjuna (IIe-IIIe siècle), commence par les célèbres « huit négations »: « Sans rien qui naisse ou se produise, sans rien qui soit anéanti ou qui soit éternel, sans unité ou diversité, sans arrivée ni départ, telle est la coproduction conditionnée, des mots et des choses apaisement béni »[17]. Ces « huit négations »  (cn babu, jp happu 八不) sont en fait quatre doubles négations, i. e. des négations absolues dans lesquelles la négation se nie elle-même. Cela exprime un mode de raisonnement, le tétralemme, qui s’est construit en Inde, et qui de là, par le bouddhisme, a gagné toute l’Asie orientale, mais que l’Occident a forclos par le principe du tiers exclu (tertium non datur, en anglais excluded middle). Ce principe fait que vous pouvez avoir soit A (affirmation), soit non-A (négation), mais pas la double négation (ni A ni non-A), ni la double affirmation (à la fois A et non-A). C’est là un principe clairement dualiste, qui se réduit à la simple alternative de A ou non-A, to be or not to be ; ce qui, dans le tétralemme, correspond aux deux premiers lemmes (l’affirmation ou la négation), mais ne va pas au-delà : il n’y a rien qui serait entre les deux, à savoir ni A ni non-A (dans le tétralemme, c’est le tiers lemme, la binégation), ou qui comprendrait à la fois les deux, A et non-A (c’est le quart lemme, à la fois A et non-A)[18].
            Comme l’argumente Yamauchi Tokuryû, il n’est nullement anodin que le Traité du milieu commence par poser le tiers lemme, la double négation (ni… ni, sans… sans) : c’est bien le signe que celle-ci occupe une position nodale, celle du passage de la logique profane (les deux premiers lemmes) à la logique suprême, appelée « réalité ultime, ou absolue » (sk paramârtha, rendu par les sinogrammes 勝義, cn shengyi, jp shôgi, i.e. « sens vainqueur »). Ce tiers lemme, la double négation, c’est bien le vide, l’inexistence à partir de quoi pourront exister concrètement et historiquement les étants du monde profane, dans toute la diversité des possibles qu’exprime le quart lemme, la double affirmation.
            Si Fukuoka a placé toute son œuvre sous le signe du mu, c’est bien parce que ce mot a dominé l’histoire des idées en Asie orientale, cela non moins que le mot « être » l’a dominée en Occident. Corrélativement, il fait un usage abondant du tiers et du quart lemme du tétralemme, par exemple dans la dernière phrase de sa « thèse de la non-valeur » (mukachiron 無価値論)[19] : « Ce n’est que dans l’inscience et l’inartifice que, pour l’homme, tout prend valeur, et qu’il peut tout connaître (ningen wa muchi, mui ni shite, hajimete issai wo kachi arashime, issai wo shiru koto ga dekiru no da 人間は無知、無為にして、初めて一切を価値あらしめ、一切を知ることができるのだ) ». Voilà qui, du point de vue d’une logique du tiers exclu, est évidemment absurde : l’inscience, ou non-savoir (muchi無知, non-A) ne peut pas être savoir (shiru知る, A). Derrière cet aphorisme obscur se cache la thèse bouddhique selon laquelle, dans le monde profane, accorder aux choses une valeur quelconque est, par distinction (jp funbetsu 分別, sk viśeṣa), en forclore une infinité d’autres valeurs possibles, et que ce n’est donc qu’en leur niant toute valeur que l’on peut, par indistinction (jp mufunbetsu 無分別, sk nirvikalpa), en connaître la valeur véritable, celle du sens vainqueur, qui n’est accessible qu’à la connaissance indistinctive (jp mufunbetsuchi 無分別知, sk nirvikalpajñāna).  
            Traduit dans une pensée de l’être, cela signifie que, dans le monde profane, on ne peut connaître les choses qu’en tant que quelque chose (als etwas, dirait Heidegger), et non dans leur en-soi (an sich, dirait Kant), lequel ne serait accessible que par un bond mystique, celui de la religion qu’est le bouddhisme, mais dont on ne peut justement rien dire en langage humain, ni rien connaître par savoir humain (et surtout pas scientifiquement, la science étant par essence analytique, i.e. distinctive). Fukuoka va répétant qu’il n’est adepte d’aucune religion en particulier, mais son propos est explicitement religieux – témoin le titre du livre, La révolution divine, qui prend tout son sens quand on sait que pour lui, « nature (shizen) » n’est qu’un autre mot pour Dieu (kami ) – Deus, sive natura, dirait Spinoza...   

§ 4. La relation 
            Ce que nie le mu, c’est que les choses aient une substance, une nature propres ; elles n’existent comme telles qu’en relation. Traduire ce terme par « néant », comme on le fait habituellement, est insatisfaisant, parce que le néant s’oppose à l’être, tandis que le mu, c’est l’absence d’étants, l’absence de ce qui existe concrètement. Ce n’est pas la négation de l’être, c’est au contraire l’absolue ouverture à l’être qu’est le vide bouddhique ; c’est pourquoi il vaut mieux le traduire par « inexistence » ; mais la traduction par « néant » est devenue quasi normative, par exemple à propos de l’école philosophique dite de Kyôto, centrée sur Nishida Kitarô 西田幾多郎 (1870-1945), lequel, dans un bond mystique[20], professait même que le « néant absolu (zettai mu 絶対無) », où le mu se nie lui-même, est justement de ce fait la source de l’être (u). Sur des bases plus logiques (ronriteki 論理的) sinon logosiques (rogosuteki ロゴス的), c’est également ce que dit Yamauchi lorsqu’il montre que le quart lemme est rendu possible par le tiers lemme, raison pour laquelle il convient de les placer dans cet ordre et non l’inverse.
            Inutile de préciser que de telles conceptions sont fort étrangères à l’ontologie et à la logique que nous avons héritée de Platon et d’Aristote. Dans cet héritage, le couple sujet/prédicat en logique (le sujet, c’est ce dont il est question, et le prédicat, c’est ce qu’on en dit) correspond au couple substance/accident en métaphysique. Autrement dit, le sujet=substance existe en soi, tandis que le prédicat=accident, qui a besoin du sujet=substance pour en être prédiqué ou pour lui arriver (accidere : tomber dessus), n’existe pas en soi ; il a non seulement besoin du sujet pour en être prédiqué, mais il est insubstantiel. À ce seul égard, du reste, la logique aristotélicienne, qui est une logique de l’identité du sujet, concorde avec la logique nishidienne, qui est une logique de l’identité du prédicat et appelée de ce fait jutsugo no ronri 述語の論理, « logique du prédicat », ou basho no ronri場所の論理, « logique du lieu » (il vaudrait mieux traduire par « logique du champ », mais l’habitude est prise)[21].
            L’insubstance, en l’occurrence, n’est autre que la relation qui existe entre les choses. Celles-ci ne sont pas substantielles, elles n’ont pas de nature propre, mais leur existence est suscitée par le tissu des relations qui les lient. C’est ce que la tradition bouddhique appelle la co-sucitation – je traduis d’après ce qu’évoquent les sinogrammes 縁起, cn yuanqi, jp engi, mais ceux-ci ont traduit le sanskrit pratītyasamutpāda, qu’on rend plus communément par « coproduction conditionnée ».
            Or cette idée n’est pas si mystique ou orientale qu’il semble ; elle a été retrouvée par la science moderne quand la mésologie d’Uexküll (l’étude des milieux concrets, Umweltlehre) a mis en lumière, expérimentalement, que selon l’espèce considérée, un même objet existera selon un « ton » (Ton) différent, c’est-à-dire en tant que des choses différentes. Par exemple, une même touffe d’herbe existera en tant qu’aliment (Esston) pour la vache, en tant qu’obstacle (Hinderniston) pour la fourmi, en tant qu’abri (Schutzton) pour le scarabée, etc. ; et pour une même espèce, la même chose existera différemment selon les circonstances, comme le montre l’exemple suivant, où il est question des rapports entre le bernard-l’hermite et l’anémone de mer :

    « Selon les différentes tonalités (Entsprechend die verschiedenen Stimmungen), l’anémone change de signification (Bedeutung) pour le crabe. Dans le premier cas, où l’habitacle du crabe est dépourvu de l’enveloppe protectrice de l’anémone, qui lui sert de défense contre la seiche, l’image sensible de l’anémone prend un « ton d’abri (Schutzton) ». Cela s’extériorise dans l’action du crabe, qui la plante sur sa coquille. Le même crabe serait-il privé de sa coquille, alors l’image sensible de l’anémone prend un « ton d’habitat (Wohnton) », ce qui s’extériorise en ce que le crabe, fût-ce en vain, cherche à y pénétrer en rampant. Dans le troisième cas, si le crabe est affamé, l’image sensible de l’anémone reçoit un « ton de bouffe (Freßton) », et le crabe commence à la dévorer » [22].   

            Traduit en langage bouddhique, cela signifie que ces divers en-tant-que (abri, habitat, nourriture…) selon lesquels peut exister concrètement ce qui, dans l’abstrait, reste pourtant la même anémone, n’ont pas de substance propre (honshitsu 本質) et sont donc illusoires.  Pour la mésologie post-uexküllienne[23], c’est dire que la réalité concrète n’est ni le sujet logique S, ni le prédicat P (les termes dans lesquels un interprète I saisit S par les sens, l’action, la pensée ou la parole), mais la trajection de S en tant que P ; elle n’est donc ni objective, ni subjective (tiers lemme, ni A ni non-A), mais trajective, i.e. , pour un même S hypothétique, ouverte à une infinité de possibles P, P’, P’’, P’’’ etc. (quart lemme, à la fois A et non-A). Voilà ce que résume, en mésologie, la formule r = S/P, qui se lit : la réalité empirique, c’est S en tant que P, ou plus précisément S en tant que P pour I, soit la ternarité concrète S-I-P au lieu des dualités abstraites sujet-objet ou sujet-prédicat[24].
            Dans son propre langage, Uexküll en concluait que « l’hypothèse implicite qu’un animal pourrait jamais entrer en relation avec un objet (mit einem Gegenstand in Beziehung treten), elle est fausse »[25]. Sachant que le sujet du logicien (S : ce dont il s’agit), c’est l’objet du physicien (S), c’était là dire que l’animal, en rapport avec son être même, n’a jamais de relation qu’avec une certaine chose ; c’est-à-dire avec S/P, non pas S.
           Par le bond mystique propre à une religion, le bouddhisme, pour sa part, absolutise ce principe : rien n’existe en soi, rien n’est substantiel, rien n’existe que dans et de par la relation. Traduisons : il n’y aurait donc que P, qui est insubstantiel (cette absolutisation de P, c’est la thèse même de la logique du prédicat nishidienne). Or cette vision bouddhique, nous la retrouvons telle quelle chez Fukuoka, exprimée soit explicitement, soit, de manière générale, par l’accent qu’il met sur l’unité relationnelle de tout ce qui existe dans la nature, celle-ci étant comme un immense organisme vivant. Du même coup, il condamne la science (kagaku 科学) pour son réductionnisme analytique, lequel ne lui fait jamais saisir que des aspects fragmentaires de la nature ; et plus généralement, il pose une « négation l’intelligence humaine » (ningen no chie no hitei 人間の知恵の否定)[26], car celle-ci ne peut jamais  connaître qu’un certain aspect des choses.
            Cette récusation du savoir humain (jinchi 人知) vient, encore une fois, directement de l’héritage bouddhique, qui est toujours vivant au Japon. Pour celui-ci, la connaissance profane ne peut jamais avoir qu’un accès limité et biaisé à la réalité, laquelle, dans le monde profane, n’est donc jamais qu’illusoire, puisqu’elle se réduit à la prise (shoshû 所執) que l’on en a ; et l’ensemble de ces prises[27] nous enferme dans un certain agencement (sesetsu 施設), qui empêche le profane d’accéder à la réalité ultime, celle du sens vainqueur.
            Or cette réalité ultime, inatteignable par la méthode scientifique, chez Fukuoka, c’est la nature, shizen 自然, cet autre nom de Dieu. L’on aura beau faire, nous autres humains ne pourrons jamais connaître la nature dans son intégralité, et, a fortiori, l’action humaine ne pourra jamais l’égaler ; c’est pourquoi Fukuoka place toute sa méthode non pas dans le cadre de la science et de l’agir humains – en l’occurrence l’agronomie, théorique ou appliquée – mais sous celui du non-savoir et du non-agir taoïstes, 無知 (cn wuzhi, jp muchi) et 無為 (cn wuwei, jp mui), intégrés dans le concept de 無為自然 (cn wuwei ziran, jp  mui shizen) : l’inartifice du de-soi-même-ainsi, le naturel de la nature.

§ 5. La recouvrance de l’Âge d’or
            La traduction habituelle du chinois wuwei par « non-agir » a l’inconvénient de laisser croire au profane qu’il s’agirait d’inaction, voire de farniente. Ce n’est pas le cas ; le wuwei, c’est ne pas forcer les choses à être autre chose que ce qu’elle seraient de par leur cours naturel, d’elles-mêmes ainsi comme le Dao. C’est pourquoi je préfère traduire wuwei par « inartifice ». L’inartifice, ce n’est pas ne rien faire, c’est agir de telle sorte que se réalise le cours naturel des choses. Cela ne relève pas du principe du tiers exclu, qui est une abstraction, mais du tétralemme qui fonde la méso-logique des milieux concrets. S’agissant ici, comme dans le fan ziran 返自然 (retourner à la/ma nature) de Tao Yuanming, à la fois (quart lemme) de « ma nature » (celle de Fukuoka) et de « la nature » (l’écosystème), autrement dit à la fois de A et de non-A, du sujet et de l’objet, il n’y a pas d’obstacle à ce que le travail humain s’accordant au cours de la nature, Fukuoka puisse non seulement parler d’« agriculture naturelle », mais mettre une telle chose en pratique, et en obtenir des rendements aussi élevés que ceux de l’agriculture moderne.
            C’est effectivement à un pareil inartifice que se ramènent les diverses négations qui fondent l’agronomie naturelle selon Fukuoka. La plus parlante, à double égard, est bien le non-labour : d’abord, matériellement, parce c’est là nier l’action première de l’agriculture, qui est de travailler la terre ; ensuite, par image, quand on sait que « labour » et « labeur » sont étymologiquement le même mot, cela tout simplement parce que, depuis le néolithique, le travail, le labeur par excellence aura été la pénible ouverture de la terre par la houe, l’araire puis la charrue. Inversement donc, le non-labour, c’est un non-labeur. Fukuoka insiste là-dessus. L’une des premières sections de La révolution d’un seul brin de paille, forçant le trait, pose même que l’agronomie naturelle « vise à ne rien faire » (nanimo shinai nôhô wo mezasu 何もしない農法を目ざす)[28], en somme quasi à se tourner les pouces en laissant l’écosystème agroécologique travailler tout seul.
            Jouant de l’homophonie avec rakunô 酪農 (l’élevage laitier), Fukuoka, de temps à autre, qualifie donc l’agronomie naturelle de rakunô 楽農, « agriculture facile ». Au lecteur occidental, voilà qui ne manquera pas de rappeler ce passage célèbre des Géorgiques :
           
                       O fortunatos nimium, sua si bona norint
                                   agricolas ! quibus ipsa, procul discordibus armis,
                                   fundit humo facilem victum justissima tellus[29].                                 

            Or ce qui est là en jeu, c’est davantage que l’opération de propagande qui consistait pour Virgile, sur la commande de Mécène, à faire miroiter les charmes de la campagne aux yeux des vétérans de la bataille d’Actium (il fallait bien les recaser, car sinon, en restant inactifs à Rome, ils auraient pu devenir dangereux) ; ce qui est en jeu, c’est l’un des plus vieux rêves de l’humanité : recouvrer l’Âge d’or, celui où la terre travaillait toute seule pour donner ses fruits aux humains. Comme l’écrivit Hésiode, qui s’y connaissait car il était lui-même paysan :

    χρύσεον μὲν πρώτιστα γένος (…)                         D’or était la race première (…)
    (…) καρπὸν δ᾽ ἔφερε ζείδωρος ἄρουρα            La terre donneuse d’épeautre apportait ses fruits
    αὐτομάτη πολλόν τε καὶ ἄφθονον                        D’elle-même, en abondance et à satiété[30]

            On remarquera qu’Hésiode nous dit ici que la terre, autrement dit la nature, à l’Âge d’or, donnait ses fruits « de son propre mouvement » (αὐτομάτη), alors que le mot qu’il utilise pour dire « la terre » est ἄρουρα ; c’est-à-dire la terre labourée. Ce mot d’ἄρουρα est en effet de la même famille qu’araire, arable, aratoire, are… ; famille qui descend d’un radical européen signifiant « travailler la terre » : ara-. En somme, Hésiode nous dit à la fois que la terre est labourée, et qu’on ne la travaille pas ; c’est le même quart lemme (à la fois A et non-A) que celui de l’inartifice de l’agronomie naturelle selon Fukuoka… Et du reste, on le retrouve aussi dans les vers de Virgile – quoique atténué puisque, même s’il est question d’une « nourriture facile », cela laisse entendre quand même un certain travail –, où ipsa, « d’elle-même », a le même sens qu’αὐτομάτη dans les vers d’Hésiode : « de son propre mouvement » ; sens qui n’est autre, en fin de compte, que celui du « de soi-même ainsi (ziran 自然) » du Dao, c’est-à-dire le cours de la nature.

*
*    *

            Quelles leçons pouvons-nous en tirer, aujourd’hui à SupAgro Montpellier ?

            - D’abord, d’un point de vue ontologique, nous dire que si le non-labour=non-labeur est un rêve aussi tenace de l’humanité, qu’elle soit d’Orient ou d’Occident, de jadis comme d’aujourd’hui, ce rêve doit exprimer une profonde vérité de notre être ; et que, pour peu que nous ayons quelque souci d’authenticité, nous avons donc le devoir d’essayer de le réaliser, en recherchant l’inartifice plutôt que l’artifice. C’est là un idéal que l’on peut traduire en de multiples domaines, ne serait-ce par exemple qu’en privilégiant une nourriture saine et frugale plutôt que la malbouffe et l’obésité.

            - Et ensuite, d’un point de vue logique, de nous essayer à notre tour au quart lemme (ou syllemme, à la fois A et non-A) ; en l’occurrence la recouvrance[31], à la fois, de la terre et de la Terre ; c’est-à-dire à la fois :

-  en termes de pédologie, en finir avec l’assassinat des sols par la mécanique et la chimie ;

- et en termes d’empreinte écologique sur la planète, en finir avec l’insoutenabilité de notre agriculture et de notre alimentation.

             Des recherches comme celles de Fukuoka nous ont donné l’exemple, ou du moins certains exemples ; il ne tient qu’à nous d’en élaborer un véritable paradigme, périmant celui de l’agriculture industrielle, qui a fait son temps et qui est devenu mortifère.

Palaiseau, 17 novembre 2017.


Géographe et orientaliste, Augustin Berque (1942- ) a enseigné la mésologie à l’École des hautes études en sciences sociales. Membre de l’Académie européenne, il a été en 2009 le premier Occidental à recevoir le Grand Prix de Fukuoka[32] pour les cultures d’Asie (Fukuoka Ajia bunka taishô 福岡アジア文化大賞), et en 2017 le premier Français admis au Palais de l’Environnement terrestre, Kyôto (Kyoto Earth Hall of Fame inductee / KYOTO地球環境の殿堂殿堂入り者), qui commémore le Protocole de 1995 sur les émissions de gaz à effet de serre.  Il a publié récemment Là, sur les bords de l’Yvette. Dialogues mésologiques, Bastia, éditions Éoliennes, 2017.
           









[1] Dans l’ordre normal en Asie orientale, patronyme (Fukuoka 福岡) avant le prénom (Masanobu 正信). Idem pour les autres noms japonais dans la suite de ce texte.
[2] Paris, Trédaniel, 1983, 2005. Autres publications traduites en français : L'Agriculture naturelle : Théorie et pratique pour une philosophie verte, Paris, Trédaniel, 1989 ; La Voie du retour à la nature : théorie et pratique pour une philosophie verte, Paris, le Courrier du livre, 2005 ; Semer dans le désert : agriculture durable, remise en état de la terre et ultime recours pour la sécurité alimentaire, Trédaniel, 2014.
[3] Tokyo, Shunjûsha pour l’édition de 2004 que j’ai utilisée.
[4] Jinchi, jin.i wa issai muyô de aru  人知.人為は一切無用である.
[5] Shizen nôhô. Wara ippon…, op. cit., p. 8. Traduction A.B.
[6] Sur cette histoire, et sur son héritage – ce n’est là rien de moins que l’une des sources majeures de ce qui a conduit nos sociétés à idéaliser puis réaliser cet habitat ruraliforme qu’est l’urbain diffus, dont l’empreinte écologique participe grandement au réchauffement climatique –, v. Augustin BERQUE,  Histoire de l’habitat idéal. De l’Orient vers l’Occident, Paris, Le Félin, 2010.
[7] Vere Gordon CHILDE, De la préhistoire à l’histoire, Paris, Gallimard, 1964 (What happened in history, 1942).
[8] Paris, Desclée de Brouwer, 2001, 7 vol.
[9] Ouvrage traditionnellement attribué à Laozi, qui aurait été contemporain de Confucius (-551/-479), mais de date et d’auteur incertains. On le connaît également sous le titre de Dao de jing, « Classique de la voie et de la vertu » (ou « de la vertu de la voie »).
[10] Dans les quelques lignes qui suivent, je résume le propos d’IWATA Keiji et al., Shizen to ningen (La nature et l’homme), Tokyo, Nigensha, 1976, p. 61-76 : Shizen to wa nanika, « Qu’est-ce que shizen ? ».   
[11] Ouvrage taoïste attribué à Zhuangzi (v. -370/-300) lui-même.
[12] Frédéric GIRARD, Vocabulaire du bouddhisme japonais, Genève, Droz, 2008, vol. I, p. 563.
[13] Extrait de Je retourne habiter à la campagne (Gui yuantian ju 歸園田居), p. 96 dans MATSUEDA Shigeo 松枝茂夫 et WADA Takeshi 和田武司 (édité par), Tô Enmei zenshû 陶淵明全集 (Œuvres complètes de Tao Yuanming), Tokyo, Iwanami Bunko, 1990. Traduction A.B.
[14] Mot à mot : les vapeurs de la montagne sont belles et bonnes au soleil couchant. Tao Yuanming parle ici du mont Lu, au Jiangxi. Sans le nommer, Fukuoka paraphrase ce passage célèbre quand, dans Mu I. Kami no kakumei, op. cit. p. 56, il écrit « Cueillant une fleur, regarder à loisir les nuages blancs du mont Fuji, telle est ma position (hito eda no hana wo teotte, yûzen to Fuji no hakuun wo nagameru tachiba de aru 一枝の花を手折って、悠然と富士の白雲を眺める立場である) ».  C’est là un cas typique de « voir-comme (mitate 見立て) », procédé classique dans l’esthétique de l’Asie orientale : voir un lieu A (le mont Fuji) comme si c’était un lieu non-A (le mont Lu), impliquant donc que Fukuoka (A) est Tao Yuanming (non-A), ce qui relève du quart lemme du tétralemme (v. plus loin). Sur l’usage du mitate au Japon, notamment dans le paysage, v. Augustin BERQUE, Le sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986.
[15] Je traduis d’après l’original reproduit dans Matsueda et Wada, op. Cit., vol. I p. 208 sq. Je commente ce poème dans Histoire de l’habitat idéal, op. cit., p. 73 sqq.
[16] Nippon Hôsô Kyôkai 日本放送協会, la chaîne de télévision nationale.
[17] Traduction du sanskrit par Guy BUGAULT, Stances du milieu par excellence, Paris, Gallimard, 2002, p. 35.
[18] On place plus communément la binégation en quatrième position, mais YAMAUCHI Tokuryû 山内得立 a montré à juste titre, dans Rogosu to renma ロゴスとレンマ (Tokyo, Iwanami, 1974 ; traduction par A. Berque Logos et lemme, sous presse aux éditions du CNRS), que cela ne mène littéralement à rien, tandis que placer en dernier la biaffirmation ouvre à tous les possibles.
[19] Mu I. Kami no kakumei, op. cit. p. 107.
[20] Qui consiste en ce que, pour Nishida, la négation progressive de l’être par le néant relatif (sôtai mu 相対無, i.e. la négation de l’être) aboutit – on ne sait comment – à la négation du néant par lui-même, i.e. le néant absolu. Sur ce problème, v. mes articles « La logique du lieu dépasse-t-elle la modernité ? », p. 41-52, et  « Du prédicat sans base : entre mundus et baburu, la modernité », p. 53-62 dans Livia MONNET (dir.) Approches critiques de la pensée japonaise au XXe siècle, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2002; et plus généralement mon Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000, § 12.

[21] V. à ce sujet Augustin BERQUE (dir.) Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, 2 vol., 2000.
[22] Jakob von UEXKÜLL, Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen (Incursions dans les mondes animaux et humains), Hambourg, Rowohlt, 1956 (1934), p. 66.  Traduction A.B.
[23] Sur ce thème, v. mon La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014 ; et, sous presse, Marie AUGENDRE, Jean-Pierre LLORED et Yann NUSSAUME (dir.), La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène, Paris, Hermann. Voir également le site <http://mesologiques.fr>, et sur ce site mon Glossaire de mésologie.
[24] Sur la dynamique de cette ternarité dans l’histoire et dans l’évolution, v. mon Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2014.
[25] Streifzüge…, op. cit. p. 105.
[26] Shizen nôhô. Wara ippon…, op. cit. p. 20.
[27] Le Glossaire de mésologie cité plus haut définit ce terme ainsi (les astérisques renvoient à d’autres entrées du glossaire) : « PRISE n. f. Syn. prise écouménale, prise existentielle. Apparenté à l’affordance gibsonnienne. Instance particulière de la médiance*, à la fois active (ce que l’être* peut faire des choses* de son milieu*) et passive (les possibilités que lui offre son milieu). Cela en tant que* quoi les choses* d’un certain milieu* existent*. Se décline en quatre principales catégories ou prédicats : ressources, contraintes, risques et agréments. Selon l’être concerné et selon l’occasion, un même objet* (S*) peut exister* en tant que l’une ou l’autre de ces différentes prises (S/P*) ».  

[28] Shizen nôhô. Wara ippon…, op. cit. p. 19. Traduction A.B.
[29] « Trop heureux les cultivateurs, s’ils connaissaient leur bonheur ! Pour qui d’elle-même, loin des luttes fratricides, la très juste Terre épand au sol une nourriture facile ». Virgile, Géorgiques, II, vers 458-460. Traduction A.B.
[30] Hésiode, Les travaux et les jours, vers 109-118. Traduction A.B.
[31] Ce terme est défini comme suit par le Glossaire cité plus haut : « RECOUVRANCE n. f. Redécouverte, réappropriation et ménagement* des liens dont le TOM*, infatué par le principe du mont Horeb*, s’était systématiquement coupé. Concept mésologique apparenté au convivialisme d’un Ivan Illich, aux relations de proximité d’un André Gorz, à la conscience du lieu d’un Alberto Magnaghi, à l’agronomie naturelle (shizen nôhô 自然農法) d’un Masanobu Fukuoka, à la permaculture, etc. : comme les marins priaient Notre-Dame-de-Recouvrance pour recouvrer (retrouver) la terre après un long voyage en mer, l’humanité aspire à recouvrer sa relation avec la Terre – l’écoumène*, la demeure humaine* ».
[32] Il s’agit non pas de Fukuoka Masanobu, mais de la ville de Fukuoka, à Kyûshû, qui a été historiquement la porte du Japon sur l’Asie.