Poster, the East-Asian Exhibition (Fukuoka City, 1927) Fukuoka City Museum |
Colloque international « L’espace public » CNRS & Société française des architectes – Paris, 25-26 mai 2018 –
Public, commun et privé dans la spatialité japonaise
vus de l’ère Shôwa (1926-1989)
par Augustin Berque
Incipit – Les années Shôwa (昭和, « Paix lumineuse »), du nom de règne de l’empereur Hirohito, furent ce temps où, à deux reprises, le Japon a pu croire qu’il avait accompli le mot d’ordre meijien : « rattrapez, dépassez (l’Occident) » (oitsuki, oikose 追いつき、追い越せ), voire le rêve de l’école de Kyôto : « le dépassement de la modernité » (kindai no chôkoku 近代の超克). La première fois, cela se termina dans les cendres de Hiroshima, la seconde par l’éclatement de « la Bulle » (Baburu バブル). Ce fut aussi un temps où, corrélativement, fleurirent les « nippologies » (nihonjinron 日本人論), réflexions sur l’identité nippone contrastée à celle d’un univers externe réduit à l’Occident, lesquelles, du même coup, donnent à relativiser le paradigme occidental moderne sur tous les plans, y compris la question de l’espace public. À ce propos, j’en tente ci-après un petit florilège.
Résumé – Le sinogramme 公, qui aujourd’hui signifie « public » en Chine comme au Japon, se compose de deux éléments : ム et 八. Le premier élément est la forme initiale du sinogramme signifiant « privé » : 私. Il signifiait à l’origine : cacher en entourant de trois côtés. Le second élément signifiait au contraire : ouvrir à droite et à gauche. Dans la prononciation dérivée du chinois gong, 公 se prononce kô, mais ooyake dans sa prononciation proprement japonaise, ce qui étymologiquement signifiait : « lieu (ke) de la grande (oo) maison (ya) », c’est-à-dire celle du souverain. Ce terme a donc une origine inverse de celle de notre « public », mot qui vient du latin populus, peuple. Dans la tradition japonaise, le peuple relève au contraire du watakushi 私, le privé ; et dans le régime féodal, qui a régné sur l’archipel de la fin de l’État antique (XIIe siècle) jusqu’à la restauration meijienne (1868), ooyake désignait la chose du suzerain, watakushi celle du vassal. Rien à voir avec l’idée de res publica. C’est dire qu’introduire la notion occidentale de « public » n’a pas été une mince affaire.