Extrait de : Augustin BERQUE, Recouvrance. Retour à la terre et cosmicité en Asie orientale, Bastia, éditions Éoliennes, à paraître.L’attachement à la rizière
Faute de Contrées Occidentales, je me retrouvai donc au début des années soixante-dix à entreprendre une thèse de géographie sur Hokkaidô, où j’avais eu l’heur de trouver un poste de lecteur à Hokudai (l’Université de Hokkaidô, à Sapporo). L’île étant réputée pour ses laitages, je me fis un devoir d’aller d’abord visiter une laiterie, et l’on me conseilla les établissements flambant neufs de la coopérative Yotsuba (« Trèfle à quatre feuilles »), à Otofuke dans le Tokachi, la plaine centrale : l’usine datait à peine de 1967, les machines étaient danoises, et l’on y fabriquait entre autres du kamanberu カマンベル (un camembert d’un goût léger, adapté aux palais japonais). Plus avant dans ma thèse, j’apprendrais que le toponyme Otofuke 音更, dont les sinogrammes ne veulent à peu près rien dire sinon un mystérieux « le son s’avance » (comme on dit « la nuit s’avance »), est en fait un rendu phonétique de l’aïnou otop-ke, lequel, pour sa part, voudrait dire « lieu (ke) chevelu (otop : cheveux) » – mais la thèse est contestée. Quant à Tokachi 十勝, c’est le nom du fleuve principal de ladite plaine. Ici, les sinogrammes signifient superbement « dix victoires », mais ils n’ont pas non plus le moindre rapport avec le sens du toponyme aïnou original, qui semble être « embouchure (puchi) aux bombements (tok) », le fleuve y coulant entre deux collines, voire entre deux seins.
Ainsi va le sens des lieux, en terre colonisée…
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