mercredi 19 juin 2013

La science économique, une science « hors-sol » / Marie-Antoinette Maupertuis

La boîte de Pandore René Magritte
La boîte de Pandore, René Magritte (1951)
(Yale University Art Gallery)
Séminaire EHESS, 17 Mai 2013

La science économique, une science « hors-sol »[1] ?

Par Marie-Antoinette Maupertuis


I. La science économique, une science auto-centrée

 

Pour introduire mon propos, je souhaiterais rappeler en quoi la science économique est une science auto-centrée. La science économique n’entretient que peu, voire pas de lien explicite, avec la mésologie i.e. l’étude des milieux humains. Ceci n’est guère surprenant.



La mésologie, comme nous l’enseigne Augustin Berque (2000), étudie les relations entre l’homme et le milieu, plus précisément l’écoumène. C’est une science qui intègre non seulement l’espace mais aussi le temps comme éléments co-constitutifs de la relation entre l’homme et l’étendue terrestre. C’est une science de la contingence dans le sens où, pour ce qui concerne les activités économiques de l’homme, les combinaisons productives, les échanges, les ressources dépendent dans leur intensité comme dans leur nature du lieu avec lequel l’homme interagit (et non pas agit sur) et du moment et des circonstances qu’il a choisis pour le faire (ou plutôt devrais-je dire du moment et des circonstances qui se sont révélés propices à la réalisation de cet échange et de cette production). C’est ce que la mésologie qualifie de « trajection » ou de « relation médiale ».

La science économique, quant à elle, est une science des choix visant la satisfaction des besoins humains. Elle fixe les règles de production et d’allocation des ressources rares dans la perspective de maximiser la satisfaction de consommateurs supposés rationnels. Elle est une science fondée sur une séparation (cartésienne) entre le sujet érigé en homo oeconomicus rationnel et l’objet, en l’occurrence des biens naturels (matières premières, terre, eau, pétrole), des ressources humaines (qualitativement et quantitativement définies), ou des biens produits (manufacturés ou industriels). Son édification en tant que science successivement par les économistes classiques anglais (Smith, Ricardo, Marx) puis, par les auteurs marginalistes à la fin du 19ème et au début du 20ème s’opère, comme pour d’autres sciences, par l’objectivation d’une mécanique qui, selon certains de ses détracteurs, « fonctionnerait sur elle-même » et n’emprunterait rien d’essentiel aux autres sciences humaines et sociales.

Cette mécanique est contenue dans le modèle d’équilibre économique général de Léon Walras (1874) qui souhaitait faire de la Science économique une science « physico-mathématique » et auto-centrée, c’est-à-dire fondée sur des hypothèses qui ne supposent aucune prise de position relative aux sciences sociales voisines. La formalisation contemporaine qu’en ont donnée Arrow et Debreu (1954) constitue aujourd’hui, avec la théorie des jeux, l’un des socles de la pensée économique moderne. C’est là le modèle néoclassique de fonctionnement des marchés. Les hypothèses sur lesquelles il est bâti sont celles qui constituent ce que Favereau (1995, 2006) a appelé la « théorie économique standard »:

– la rationalité individuelle est limitée à l’optimisation : chaque « agent », sans connaissance de ce que font ou projettent les autres, maximise son utilité (son profit s’il s’agit d’un producteur) sous contraintes ; chaque individu (individualisme méthodologique) choisira les quantités de bien à produire, à consommer ou à échanger qui satisferont au maximum son utilité ;

– la coordination entre tous les agents est quant à elle limitée aux marchés : les prix sont criés par un commissaire-priseur (le secrétaire de marché de Léon Walras) aux agents économiques et ils correspondent à une égalisation des quantités offertes et des quantités demandées. Si l’offre (la demande) ne rencontre pas la demande (l’offre) correspondante, un nouveau prix est crié par le commissaire priseur permettant un processus d’ajustement par les prix (tâtonnement walrassien). Le prix permettant l’égalisation de l’offre et de la demande pour un bien donné est réputé prix d’équilibre.

De fait, la modélisation néoclassique est donc aujourd’hui le courant prédominant de la science économique contemporaine (SEC) même si de nombreuses propositions hétérodoxes se sont faites jour d’abord dans l’entre deux guerres (approche keynésienne), puis à compter des années 1970-1980. Ces dernières ont concerné plus précisément :

– la mise en avant d’autres modes de coordination que la coordination par le marché, sur la base des travaux de Ronald Coase (1937) développés par Williamson (1975, 1985) et Richardson (1972) a permis de comprendre que des formes organisationnelles comme l’entreprise, les accords de coopération et les réseaux permettent de réaliser des transactions sans passer par le marché ;

– la nature foncièrement incomplète des contrats dans des contextes d’incertitude ou d’information imparfaite (notamment les travaux relevant de la théorie de l’agence avec asymétrie informationnelle) ;

– la remise en cause de la rationalité substantielle au profit d’une rationalité procédurale à la Herbert Simon[2]selon laquelle l’agent économique est en capacité d’apprentissage et de correction de ses erreurs.

Le relâchement des hypothèses de rationalité substantielle et de coordination parfaite par le marché a certes conduit à une extension de la théorie économique standard qui est devenue la théorie standard étendue, TSE (Favereau, 1995), mais qui reste fondamentalement insérée dans le giron du modèle de base[3].

Cette description rapide des objectifs et de l’appareillage analytique de la SEM n’avait pour but que de rappeler la portée et l’efficacité d’une science sociale qui, en se développant à beaucoup d’égards selon les canons de la mécanique classique et en s’éloignant ainsi de fait des autres sciences sociales, a réussi à proposer une théorie (unique et homogène) de l’allocation de ressources. Cette science économique, inscrite dans le paradigme moderne, a permis d’aborder de nombreuses questions de création et d’allocation de ressources, et ce y compris dans des domaines encore inexplorés par les économistes jusqu’aux années 1960 comme la connaissance (que l’on qualifie d’économie de la connaissance) ou l’environnement (que l’on qualifie d’économie de l’environnement).

Toutefois la SEC, y compris la TSE, butte toujours sur l’étude de phénomènes qui se déroulent à la marge du marché, ou, dit autrement, sur les pans de l’activité humaine sur lesquels elle n’a pas réussi à étendre son prisme marchand. En effet, au cours de son processus de « modernisation », elle s’est autonomisée des autres sciences sociales. Il en résulte en particulier que l’histoire et l’espace ont été progressivement exclus de son champ d’analyse.

Il n’est donc pas surprenant qu’économie et mésologie se tournent aujourd’hui le dos. Or, plusieurs indices me conduisent à penser que l’économie gagnerait à entamer un dialogue avec la mésologie dans un processus global d’ouverture vers d’autres disciplines étudiant l’homme et la société et leurs rapports aux milieux comme la géographie, l’histoire mais aussi les sciences cognitives (psychologie, linguistique).

En voici, selon moi, les raisons principales :

La science économique contemporaine malgré l’efficacité supposée de certaines de ses constructions analytiques – qui sont réputées pertinentes pour ce qui concerne les questions de la fixation des prix et de l’allocation des ressources – semble présenter une forme d’hypertrophie de ses dispositifs techniques et des croyances que les hommes en ont. L’exemple le plus flagrant nous a été donné par la dérive récente des marchés financiers et l’incapacité des gouvernants (notamment européens) à limiter les effets spéculatifs dévastateurs sur certaines économies.

Certains auteurs de tradition néoclassique voient même dans les fluctuations économiques, le résultat d’une adaptation optimale des agents aux chocs exogènes par nature imprévisibles que subissent les systèmes économiques. Les approches en termes de cycles réels, notamment, qui sont fondées sur l’hypothèse d’anticipations rationnelles des agents économiques, considèrent que le chômage ou les baisses de revenus ne sont que la traduction de l’adaptation des consommateurs et des producteurs. Pierre-Yves Hénin en 1995 manifestait déjà son scepticisme sur « une théorisation des cycles comme réponse optimale d’une économie en équilibre général confrontée à des chocs aléatoires »[4].

La crise environnementale ensuite et les politiques de développement durable qu’elle a suscitées depuis maintenant trente ans, montrent les limites que rencontrent les outils issus de la SEC (permis à polluer, taxes de type pollueur-payeur). Les grands pays pollueurs du monde occidental ne ratifient pas le protocole de Kyoto (Etats-Unis notamment) ou trichent sur le marché des droits à polluer (Canada). Il en est de même de grandes entreprises occidentales qui réalisent du dumping environnemental en délocalisant leurs unités de production vers des pays du Sud plus permissifs en matière de pollution (car n’ayant pas le choix) ou de transporteurs qui préfèrent payer une amende environnementale plutôt que de faire des kilomètres supplémentaires pour aller vidanger leurs huiles dans des plateformes de traitement et de recyclage des déchets dédiées à cet effet. Les mécanismes incitatifs défendus par la SEM en matière d’environnement ne semblent pas à ce jour pleinement opérationnels au regard des enjeux de survie de la planète.

Un troisième indice des écueils de la SEC réside dans son incapacité à voir les performances économiques hors pair de certaines régions qui ne sont pas les régions centrales traditionnellement identifiées par la géographie économique comme concentrant pouvoir économique, pouvoir décisionnel et ressources, notamment humaines. Dans les années 1970, au plus fort de la crise, on a pu constater l’existence de poches de prospérité, de miracles économiques dans certains territoires périphériques, démentant les conclusions des modèles standards d’économie géographique. Les cas de districts industriels, de milieux innovateurs, de systèmes productifs localisés qui se sont multipliés dans des territoires le plus souvent excentrés et sans avantages comparatifs particuliers sont autant de phénomènes défiant les lois et les attendus de l’analyse économique prédominante.

Dans le même ordre d’idées, le dynamisme de l’économie sociale et solidaire démontre en creux que les mécanismes de marché ne sont pas nécessairement efficaces dans l’allocation du facteur travail. Dans certaines zones rurales, mais aussi dans les villes à la démographie vieillissante, les associations et organisations d’aides à la personne assurent des services non-marchands et marchands que les structures traditionnelles de marché dédaignaient jusqu’à présent, faute de perspectives de profit suffisantes. Il s’agit là toujours d’économie, de satisfaction de besoins (même primaires), de rareté (du travail), de production et d’allocation de ressources.

Pourtant la SEC peine à reconnaître d’abord, puis à expliquer ensuite, ce type de phénomènes. Retenant exclusivement des mécanismes décontextualisés dont la validité est supposée universelle, elle a opéré une forme de forclusion excluant de son champ d’analyse certaines dimensions concrètes de l’activité humaine et paradoxalement… de nature économique, et en particulier celles ancrées dans les milieux naturels. Elle semble avoir évacué toute référence au milieu, aux relations médiales entre l’homme et le substrat naturel comme elle a évacué, jusqu’aux années 1980, la référence à l’espace ou au territoire.

Ces indices soulèvent les questions suivantes : pourquoi la science économique, « science des choix efficaces » est-elle aujourd’hui comme cette agriculture « hors-sol » performante, compétitive mais déconnectée de tout substrat naturel et oh combien fragile lorsque l’incertitude et le doute planent sur son fonctionnement, notamment à l’occasion de crises sanitaires. Comment est-elle devenue hors lieux et hors milieux ? Est-elle finalement totalement sourde aux interrogations sur la relation entre l’homme et son environnement qu’il soit naturel ou socio-construit ?

Je vous propose d’apporter quelques éléments de réponse en focalisant l’attention sur deux problématiques centrales qui font débat aujourd’hui chez les économistes mais qui sont simultanément des points centraux de l’analyse mésologique.

La première concerne la théorie de la valeur. Cette théorie (ces théories faudrait-il dire…) est un des fondements de la SEM mais aussi de travaux plus hétérodoxes. Qu’il s’agisse des auteurs classiques ou néoclassiques, l’assimilation de la valeur à une substance constitutive des biens produits ou échangés (le travail, l’utilité, la rareté) est la pierre angulaire du modèle économique dominant. C’est parce qu’il y a valeur « incarnée » dans les biens que ceux-ci font l’objet d’un échange, sont convoités... Aujourd’hui cette conception substantielle de la valeur qui fonde aussi la notion de rareté économique est fortement discutée (Orléan, 2011). Ce point mérite notre attention car dans la relation que l’homme entretient avec le milieu (au-delà de l’environnement naturel), la valeur attribuée aux choses par un agent ou par un groupe mais aussi la valeur produite par l’interaction avec le milieu est une notion centrale.

La deuxième concerne le territoire. La science économique moderne a « dé-territorialisé» l’économie. La capacité d’abstraction et la visée généralisatrice des modèles de facture néoclassique a produit de manière logique des propositions analytiques applicables en tout point de l’espace (le topos), perdant de vue par là même la dimension territoriale des phénomènes économiques. Or cette dimension territoriale couvre des éléments du substrat physique (la géographie), des éléments anthropologiques (les sociétés humaines) et des éléments naturels (les ressources de la Nature) ainsi que leurs interrelations que certains développements théoriques essaient d’intégrer et qui appellent aujourd’hui un regard critique.

Nous analyserons successivement chacun de ces points, en mettant en évidence, pour chacun d’entre eux, les lieux de démarcation entre la SEM, les textes fondateurs de l’économie politique et les propositions émanant de travaux à la frange de la TSE. Nous conclurons en ouvrant sur les perspectives d’une fertilisation croisée à réaliser entre économie et mésologie.


II. La question de la valeur




Face Value Art Green
Face Value, Art Green (1979)
(Yale University Art Gallery)
La définition de la valeur est au coeur des interrogations de la science économique. Pour les économistes néoclassiques (utilitaristes) comme pour les économistes classiques (Smith, Ricardo, Marx), la valeur est ce qui préexiste à l’échange[5]. C’est parce qu’il y a valeur que l’échange existe. Le prédicat selon lequel la valeur est d’origine substantielle et qu’elle est le résultat d’un mécanisme qui crée artificiellement de la rareté et donc de la concurrence est central pour plusieurs courants de la pensée économique comme le rappelle Orléan (2011).

Pour les classiques, le travail incorporé dans les biens ou les marchandises est la substance de la valeur qui « commande » d’autres biens mais aussi la métrique qui permet d’échanger.

Pour les néoclassiques, depuis Walras, l’utilité et la rareté fondent la valeur : le bien a de la valeur parce qu’il est rare et utile.

Il s’agit dans les deux cas d’une valeur-substance qui est donnée, qui pré-existe (Orléan, 2011). Ce prédicat permet de fonder une « objectivité marchande » dans le sens où l’échange marchand devient le fait objectivement naturel puisque la rareté, et donc la valeur, sont données[6]. Or l’intérêt des propositions nouvelles d’André Orléan (2011) est précisément de montrer que la rareté comme la valeur ne sont pas des données sui generis. La rareté économique en particulier peut être artificiellement créée par les mécanismes mêmes du marché et par l’échange. C’est parce qu'une multitude désire un bien que le sentiment de rareté se fait jour.

Ce point est important car il marque un basculement dans la conception de la valeur. La valeur est le résultat d’une confrontation de représentations tant individuelles que collectives[7]. Par conséquent, la question de la valeur économique n’est pas disjointe des relations que les hommes entretiennent entre eux, qu’ils établissent avec leur milieu, ni des représentations et institutions que les sociétés construisent. Elle appelle donc une relativité des conceptions qui ouvre une discussion possible avec les autres sciences.

En particulier, les conflits d’usage et les questions environnementales ont révélé aux économistes que certaines ressources (biens) ont une valeur qui n’est pas que « marchande » au sens néoclassique (i.e. faisant l’objet d’un rapport d’utilité et donc à laquelle correspond un juste prix). Elle peut être symbolique, philosophique ou religieuse ou tout autre chose encore. Je prendrai deux exemples :

Les débats sur le foncier littoral soumis à une spéculation croissante soulèvent la question de la valeur de la terre dans les sociétés contemporaines[8] : la terre a certes une valeur d’usage au regard de laquelle entrent en conflit agriculteurs, promoteurs et pouvoirs publics. Mais dans une île, comme la Corse par exemple, où l’organisation de la société comme celle de l’espace sont très codifiées, la terre a aussi une valeur patrimoniale non marchande ou des attributs non marchands : le droit coutumier ne permet-il pas au parcours des troupeaux de traverser aussi bien l’espace public que les propriétés privées ? N’offre-t-il pas la possibilité, certes quelque peu surprenante pour nos esprits modernes, d’être propriétaire d’arbres fruitiers plantés sur un terrain qui appartient à autrui mais dont l’accès ne peut vous être interdit. Aux attributs de la terre en tant que bien économique se surajoutent aujourd’hui les représentations de la terre véhiculées dans la mémoire collective qui accroissent sa valeur non-marchande.

Le deuxième exemple est celui présenté par Augustin Berque dans une conférence récente intitulée « Y a-t-il du sacré dans la Nature ? » (Berque, 2012a). Il s’agit d’un cas de conflit d’usages et de représentations qui a eu lieu sur la colline du Cerro Quemado (Mexico) qui est un lieu saint des Indiens Huichols, classé site naturel sacré par l’UNESCO mais dont les ressources en minerai d’argent attire la convoitise d’une compagnie minière. Au mépris des engagements du président Calderon, 70% des terres ont été concédés à celle-ci. Comme le souligne A. Berque, « la dimension sacrée des hauts lieux de ce territoire [est] éliminée, pour n’en laisser que la dimension physique et économique » (2012a, p.2). La valeur économique du sous-sol semble donc prévaloir sur tous les accords et formes de protection antérieurs. Berque pose la question suivante « une certaine spatialité s’est substituée à une autre, ou du moins prétend s’y substituer. Pourtant, l’étendue concernée est strictement la même. En quoi l’espace peut-il changer, si l’étendue ne change pas ? » (ibid. p. 3).
Afin d’éclairer ce débat sur les représentations de la valeur, nous avions eu recours en 2010[9] à l’analyse en termes de cités de Boltanski et Thévenot (1991). Dans Les économies de la grandeur. Une théorie de la justification, Boltanski et Thévenot établissent que les personnes dans leurs actions et les choses dans leur état relèvent de plusieurs ordres relevant de différentes « cités ». Ces cités sont celles que la philosophie politique a clairement identifiées depuis Saint Augustin jusqu’à Saint-Simon en passant par Bossuet, Hobbes, Rousseau et Adam Smith.

Les six cités correspondent à des « mondes communs » à plusieurs sujets et objets, répondant à une combinaison particulière des six principes supérieurs[10]. La Cité marchande est celle de l’échange. Les relations y sont pensées en fonction de la circulation des biens rares, non singuliers, transmissibles par l’échange et soumis à une fixation de la valeur marchande. La Cité industrielle est dédiée à la production selon les règles de la performance et de l’efficacité. Le travail est au centre de cette cité. La Cité civique, figure de l’intérêt général, est fondée sur la volonté générale de citoyens libres et égaux. La démocratie et ses procédures en sont les piliers principaux. La Cité de renom a trait à l’opinion des autres. La notoriété traduit ici la grandeur. La Cité inspirée est la cité des Idées, des signes et des symboles. C’est aussi celle du dépassement de soi par opposition à l’intéressement de la Cité marchande. Elle va donc échapper à la mesure, à l’équivalence. La Cité domestique enfin, consiste en une « généralisation du lien familial » (Godard, 1990), l’insertion dans une lignée.

Plus une société est complexe et plus une appartenance multiple des individus à différentes cités est probable.
Revenons au littoral corse : sa nature marchande (le littoral comme bien économique) n’est pas la nature domestique (le littoral comme bien patrimonial) ; celle de renom (le GR 20) ne correspond pas à celle que l’on se représente dans la cité inspirée (les villages de Corse). Pour le Cerro Quemado, la dimension marchande identifiée par la compagnie minière ou le gouvernement n’est pas la grandeur de la cité inspirée des Huichols.
Il ressort de l’analyse de Boltanski et Thévenot que la grandeur ne peut pas être mesurée en des termes seulement monétaires. Le système d’équivalence de la Cité marchande – qui serait dans notre propos celui de la SEM - achoppe alors sur la prise en compte d’autres grandeurs. Une autre économie – celle de la grandeur – est alors nécessaire et à construire selon Boltanski et Thévenot (1991). Cela exige de repenser la relation entre le sujet « économique » (non pas celui qui pense selon les règles de la science économique mais celui qui pense l’économique y compris en des termes moraux, philosophiques…) et l’objet. Mais il reste un sujet et un objet. Or, Latour (1995) a montré que, dans le cas des ressources naturelles, continuer à penser l’objet naturel dans les termes de la rationalité économique usuelle conduit à une impasse.

L’ouvrage récent d’Orléan (2011) ouvre une voie : substituer à l’économie de la grandeur, surplombante et myope pour ce qui concerne d’autres grandeurs, une économie des relations. Cette voie permettrait peut-être de dépasser les impasses de l’économie des grandeurs de Boltanski et Thévenot. Dans la démonstration d’Orléan, il s’agit de recentrer l’intelligibilité de l’économie et de l’échange marchand sur les relations entre agents et les comportements mimétiques des individus.

Le pendant de la valeur dans la SEC est l’échange. Plus précisément l’échange marchand. Il est posé chez Adam Smith comme un fait naturel, une propension de l’individu qui, à travers l’échange, ne recherche que son intérêt personnel tout en concourant au bien-être de la société[11]. Or chez les historiens (Braudel notamment), les sociologues (Max Weber en particulier) ou les philosophes (Heidegger), la notion d’échange est bien plus large y compris lorsqu’on traite de transactions économiques[12]. A côté de l’échange marchand des économistes marginalistes, calé sur un prix d’équilibre entre quantité offerte et quantité demandée, l’échange et le commerce retrouvent progressivement une signification plus large. En particulier, la théorie du don et du contre-don que l’on doit à Mauss ont alimenté ces dernières années la réflexion sociologique sur l’échange économique. N’oublions pas non plus à l’instar de Bernard Stiegler que le commerce est aussi depuis toujours une communication.

Ainsi l’échange économique n’est pas réductible, autant qu’on a voulu le faire croire en tous cas, à un rapport mathématique, à un prix. La transaction marchande n’est pas le seul dispositif opératoire pour produire ou échanger.

Qu’en est-il du territoire ?


III. La question du territoire


La SEM semble avoir évacué toute référence au milieu, aux relations médiales entre l’homme et le substrat naturel. Dans le même mouvement, pendant des décennies, elle a relégué à un second plan la référence à l’espace ou au territoire. Pourtant, on trouve chez Adam Smith père de l’économie politique classique, chez Marshall ou chez Walras, fondateurs de la pensée économique souvent qualifiée de néo-classique, des analyses qui intègrent l’appartenance au milieu naturel, la géographicité de l’économie ou la relation contingente au territoire.


a. Le territoire chez les pères fondateurs


Les Physiocrates
Le rapport de l’homme à la nature dans la doctrine physiocratique est envisagé à trois niveaux.

Sur un plan épistémologique, d’abord, et dans le souci impérieux de créer une science nouvelle, la science économique, sur le modèle des sciences naturelles, c’est un ordre naturel économique (dont les lois de fonctionnement sont calquées sur celles qui régissent le monde de la nature) qui va servir de substrat à la construction du royaume agricole dont le Tableau économique de Quesnay (1758) traduira, sous forme comptable, les conditions de la nécessaire reproduction.
Sur le plan de la démonstration économique ensuite. C’est en effet la nature, et plus précisément la terre agricole et son exploitation, qui doivent assurer à titre principal, sinon exclusif, la production des richesses nécessaires à la subsistance du peuple et, au delà, par la promotion de la liberté du commerce interne et externe, à la grandeur et au rayonnement de la France. Afin d’atteindre « l’état de prospérité d’un royaume dont le territoire est porté à son plus haut degré possible de culture, de facilité et de liberté de commerce »[13], Quesnay prône le développement de la grande culture et du fermage, seuls en mesure de dégager un produit net et d’accroitre la rente, au détriment de la petite culture et du métayage.
Enfin, une telle politique économique nécessite pour être efficace, selon Quesnay, une nouvelle vision de la gestion de l’espace et de l’organisation du territoire. Comme le souligne fort justement Larrère (1992) : « rompre le circuit court de la population et des subsistances, c’est dilater l’économie jusqu’à y inclure les richesses, dans les pôles ou on les concentrait jusqu’alors. A commencer par les villes (…) Loin de dissocier, comme le faisaient les agrariens, l’agriculture et le commerce, la campagne et la ville, en deux pôles antagoniques, Quesnay veut les articuler en faisant du commerce une “branche de l’agriculture“ ».

The Fish Market David Davidovich Burliuk
The Fish Market, David Davidovich Burliuk (1947)
(Yale University Art Gallery)
Adam Smith
Si on relit « La Richesse des Nations » (1776), on trouve chez Adam Smith (1776, livre III) une analyse de la complémentarité entre ville et campagne qui permet de refonder la dimension spatiale de la division du travail qui est, rappelons-le, la source de la croissance du produit (Lange, 2012).

The great commerce of every civilized society, is that carried on between the inhabitants of the town and those of the country. It consists in the exchange of rude for manufactured produce. ... The country supplies the town with the means of subsistence, and the materials of manufacture. The town repays this supply by sending back a part of the manufactured product to the inhabitants of the country. … The gains of both are mutual and reciprocal, and the division of labor is in this, as in all other cases, advantageous to all the different persons employed in the various occupations into which it is subdivided” (WN III.i.1). (cité par Lange, 2012).

Or on sait que la division du travail dépend de l’étendue du marché, c'est-à-dire que plus la demande est importante et se diversifie, plus il est nécessaire de produire de manière spécifique et donc d’accroître la division du travail. Retenons comme l’avait montré Young en 1928, qu’il y a une double causalité cumulative (cumulative causation): la division du travail se nourrit de l’étendue du marché mais l’étendue du marché s’accroît avec la division du travail. Il en résulte un processus de croissance cumulative. Or si Young (1928) n’a pas introduit le caractère physique de l’étendue du marché, nous savons par Lange (2012) que cette dimension est bien présente chez Smith.
Plus l’échange marchand est distant (plus le marché s’accroit au sens géographique du terme), plus la division du travail s’accroit:
As it is the power of exchanging that gives occasion to the division of labour, so the extent of this division must always be limited by the extent of that power, or, in other words, by the extent of the market. When the market is very small, no person can have any encouragement to dedicate himself entirely to one employment, for want of the power to exchange all that surplus part of the produce of his own labour, which is over and above his own consumption, for such parts of the produce of other men's labour as he has occasion for.” WN I.iii.1 (cité par Lange, 2012).
Il en ressort de notre point de vue deux choses importantes :

- L’étendue géographique du marché agit sur la division du travail (et réciproquement) et donc sur le potentiel de création de richesse économique de la zone de production.
- La ville (l’urbain) ne peut se développer sans le rural.
La théorie smithienne n’était donc pas a-géographique ou a-spatiale.

Ricardo
De même, dans la théorie de la rente foncière de Ricardo (1821), la valeur de la terre (que nous avons évoquée plus haut) n’est pas indépendante de sa qualité intrinsèque. En questionnant la valeur de la terre, Ricardo établit le lien entre théorie de la valeur et emprise économique territoriale puisque la rente foncière est une des trois composantes du prix naturel des biens.[14] La rente foncière ou prix de la terre se cale sur le coût de production le plus élevé à savoir celui des parcelles les moins fertiles qui ne dégageront aucun surplus. Comme le prix est unique, il sera alors égal au coût de production sur ces parcelles. Sur les parcelles plus fertiles, le prix sera le même mais, le coût de production étant plus faible, un surplus sera dégagé. Ce surplus est la rente payée aux propriétaires fonciers tandis que les fermiers se contentent d’un profit normal. La peine à extraire du surplus sur les terres les moins fertiles donne le montant de la rente foncière extraite sur les terres les plus riches et ce faisant, de la valeur de la terre. On comprend bien à travers cette théorie fondatrice de la valeur que la concurrence sur une ressource rare (en l’occurrence la terre) induit des différentiels de coûts de production et des différentiels de loyers de la terre. Notons toutefois que ce mécanisme de fixation du montant de la rente foncière ne vaut que parce qu’il y a rareté relative du bien exploité, que la terre est un bien privatif et que le progrès technique n’intervient pas. Si la terre est exempte de droits de propriété privée ou si le progrès de l’agronomie permet d’avoir des terres plus fertiles, l’existence de la rente foncière est remise en cause.

Walras
Je souhaiterais souligner sur cette question de la valeur de la terre que le père de la théorie de l’équilibre économique général, Léon Walras, a écrit un texte sur la terre dans lequel, il propose la nationalisation des terres au motif que la terre appartient au passé, au présent et au futur (Walras, 1883). Dans son « économie sociale » (opposée à l’économie pure i.e. la modélisation qui donnera le modèle moderne d’équilibre économique général), elle peut être louée contre rémunération à des fermiers, des promoteurs qui en retiraient des profits… L’Etat en tant qu’institution et au nom de la défense d’un intérêt général distinct des intérêts individuels ou même de leur somme serait le garant de l’ensemble des valeurs de la terre notamment patrimoniales et son opération serait fructueuse dans le sens où il pourrait en outre en récupérer de la plus-value (Maupertuis, Prunetti, Romani, 2012).

Que s’est-il donc passé ?

b. La dé-territorialisation de l’économie néoclassique


Le tournant de la « déterritorialisation » de la science économique est pris avec la théorie de la localisation de Von Thünen. Cet auteur considéré comme le saint patron de l’économétrie (Aydalot, 1986) a eu pour dessein d’établir une théorie de la différenciation géographique du prix des cultures intégrant la distance. Il s’agit d’une des premières abstractions en termes d’économie spatiale (1826) qui n’est pas étrangère à la théorie de la rente de Ricardo. Von Thünen, propriétaire terrien lui-même, s’interroge sur l’organisation de différentes cultures autour des villes et la fixation de leur prix. Il définit l’organisation spatiale des cultures en fonction de la distance entre lieu de production (la campagne) et lieu d’échange (la ville marché). Faisant l’hypothèse que la fertilité est la même sur l’ensemble des terres (hypothèse tout à fait plausible de progrès de l’agronomie garantissant une fertilité uniforme), il considère que les coûts de transport de la production agricole ou sylvicole déterminent les coûts totaux supportés par les fermiers. Les biens produits sur les terres les plus éloignées du marché n’offriront qu’une marge moindre par rapport à ceux produits près du marché. A la limite, il ne sera plus rentable de produire sur ces terres tant les coûts de transport seront élevés. Les produits les plus pondéreux seront cultivés en proche périphérie de la ville. Comme chez Ricardo, le surplus dégagé sur les terres les plus proches est payé aux propriétaires fonciers. Comme Ricardo, il introduit aussi un principe de concurrence : concurrence entre les différentes cultures. L’arbitrage entre cultiver telle céréale plutôt que telle autre en tel endroit dépendra du surplus relatif que l’on extraira sur la parcelle compte tenu du coût de production (et non pas de transport) de la céréale en question. On voit bien là encore que la ressource est considérée comme rare. Sa valeur est une valeur relative qui naît de la rareté et de la concurrence qui s’exerce sur elle. Le substrat naturel et la géographie sont complètement médiatisés par un coût de transport. Même la fertilité des sols présente chez Ricardo disparaît dans l’analyse de Von Thünen (1826).

Von Thünen (1826) réussit un double tour de force : il déconnecte la production agricole de toute relation au milieu (les composantes physico-chimiques des terres présentes chez Ricardo disparaissent), il annihile le fait géographique (pourtant présent chez Smith) en ne retenant que le coût de transport comme variable spatiale. C’est en cela que Von Thünen fonde la théorie de la localisation économique moderne. L’espace et le milieu naturel sont réduits à un coût de transport. Toutes les analyses postérieures de l’économie spatiale, de l’économie géographique ou de l’économie urbaine retiendront la même hypothèse, inhibant pendant des décennies la recherche en économie régionale ou en économie territoriale totalement absentes des manuels de la science économique moderne.

En France, elle s’incarnera à partir de 1955 dans les travaux de l’école de Dijon (Cf. Ponsard, 1956, 1962).


c. La naissance de l’économie territoriale


Dans le sillage de Von Thünen, c’est l’économie spatiale (Ponsard, 1956) qui ne traite que de la localisation des activités dans l’espace qui va être retenue comme le corpus de référence pour traiter des questions spatiales au sens strict, régionales ou territoriales. L’espace y est défini de manière isomorphe comme un topos sur lequel sont décalqués par le biais de distances euclidiennes les flux économiques.

Pour autant, le contexte des années de crise économique et en particulier de crise du régime fordiste des années 1970 va être favorable au développement d’une réflexion économique qui fait la part belle aux mécanismes locaux de la création de richesse.

En Italie, le phénomène des Distretti Industriali, mode d’organisation productive fondé sur des réseaux de PME dynamiques et innovantes, ancrés dans des territoires éloignés des centres de production du Nord de la péninsule, impulsent une réflexion économique qui associe à l’analyse économique des arguments de nature sociologique ou géographique. Les travaux de Beccattini, de Bagnasco et de Garofoli sur les districts de la Terza Italia[15] vont révéler au grand jour les mécanismes socio-économiques qui permettent à ces communautés d’être plus compétitives que les majors de l’industrie italienne, voire mondiale (par exemple dans le domaine de la céramique). Ces PME tirent avantage de leur localisation en matière de marché du travail (spécialisation de la ressource humaine) ou de savoir-faire traditionnels.

A noter que Marshall, lui-même souvent considéré comme l’un des fondateurs de l’approche néo-classique, avait déjà identifié ce type d’organisations productives dans l’Angleterre industrielle de la fin du XIXème siècle, notamment dans le comté de Sheffield. Il y fait référence dans Industry and Trade (1919) et les nomme industrial districts (Gaffard, Romani 1990).

Becattini (1992) reprenant le concept pour décrire les phénomènes d’industrialisation diffuse de la Terza Italia, définit ainsi le district italien : « Une entité socio-territoriale caractérisée par la présence active d’une communauté de personnes et d’une population d’entreprises dans un espace géographique et historique donné, où existe une osmose parfaite entre communauté locale et entreprises… Le terme localisation ne signifie pas ici la concentration accidentelle de plusieurs processus productifs attirés au même endroit par des facteurs propres à la région. Les entreprises s’enracinent au contraire dans les territoires et il n’est pas possible de conceptualiser ce phénomène sans tenir compte de son évolution historique ».

La réhabilitation du territoire
Une sorte de réhabilitation du territoire s’en suit chez de nombreux économistes et va s’exprimer sous de multiples formes (modèles, études de cas, enquêtes, programmes) dans le cadre de ce que certains appellent déjà les sciences du territoire[16].

Je voudrais rappeler ici l’expérience italienne de structuration d’une science économique régionale et territoriale qui illustre la réhabilitation du territoire comme élément structurant du fait productif et se nourrissant de la fertilisation croisée entre différentes disciplines.
Elle prend corps au début des années 1980 au Politecnico de Milan avec l’Association Italienne de Science Régionale (AISRe) dès 1980, membre de l’ERSA. Portée par Roberto Camagni, économiste spécialiste des dynamiques urbaines, l’association a pour objectif principal de rassembler au-delà des clivages disciplinaires traditionnels, économistes, géographes, aménageurs, systémiciens ayant pour objet d’étude le fait régional italien et notamment les déséquilibres spatiaux qui caractérisent la péninsule (Mezzogiorno, régions industrielles, dynamiques urbaines, etc.). Pendant une quinzaine d’années, c’est dans ce cadre que vont être intégrées plusieurs analyses de référence sur les districts industriels les milieux innovateurs, les réseaux de villes. Ce courant de science économique régionale italien se distingue de son homologue français (l’école de Dijon) par la définition de l’espace économique qu’il retient. Il s’agit d’un « espace relationnel », « un ensemble de relations fonctionnelles et hiérarchiques qui apparaissent dans l’espace géographique » (Camagni, 1980). L’économique n’est qu’une composante de la dynamique des territoires. Plus encore, la proximité est un «réducteur d’incertitude» permettant aux acteurs par le biais de la proximité et de l’interconnaissance de décrypter l’information pertinente, de produire des cadres cognitifs favorables à l’innovation, de générer des apprentissages collectifs (Camagni, 1991). En France, il faudra attendre les années 2000 pour que l’argument de la proximité soient portés par des économistes (Pecqueur, Zimmermann, 2004 ; Torre, Rallet, 2005 ; Rallet, Torre, 2007 ; Zimmerman, 2008).

A partir de 1995, ce que d’aucun vont désormais qualifier d’ «école de Milan », va établir la démonstration selon laquelle le territoire n’est pas l’espace isomorphe de l’analyse spatiale de la SEM et ensuite qu’il peut et doit être pris en compte dans l’analyse économique.

Elle va permettre de fonder la notion de capital territorial qui englobe « différents éléments matériels et immatériels, naturels ou construits, physiques, relationnels et cognitifs qui représentent le potentiel compétitif d’un territoire donné » (Camagni, 2012 ). Le territoire est enfin reconnu dans sa multidimensionnalité. Mais il va être en quelque sorte « recondensé » dans ce concept de capital territorial par simple analogie au « capital » de la fonction de production néoclassique. Or, cette analogie n’a d’autre finalité que de pouvoir rendre compatible avec les modélisations de la théorie standard les avancées de la science régionale italienne incarnée dans l’école de Milan. Le succès de cette école est indiscutablement d’avoir réussi à faire valoir la dimension territoriale des phénomènes économiques au regard d’une finalité qui reste – sans surprise – la mesure des performances régionales en termes d’emplois, de production et de compétitivité. La concurrence s’exerce désormais entre territoires et chacun d’eux doit faire valoir son capital territorial.

En France, à partir des années 2000, les travaux réalisés par Bernard Pecqueur, Hervé Gumuchian, Claude Courlet et Gabriel Colletis sur la notion de « ressource territoriale »[17] vont marquer le pas. Je souhaiterais m’attarder un instant sur cette notion qui a connu un certain succès[18] et ce, pour deux raisons :

- son émergence et sa diffusion illustrent parfaitement la propension toujours forte des économistes à vouloir combler les « trous noirs » (Sapir, 2000) de la SEM ;
- elle est assez voisine de la notion de prises évoquées par Augustin Berque.

En voici une définition générique : « Les ressources sont qualifiées de territoriales lorsqu’elles sont l’objet d’une construction sociale qui prend son origine dans des processus dits de « spécification » par lesquels des liens se tissent entre produits et lieux » (Peyrache-Gadeau et al., 2010).

Ce processus de spécification - qui se distingue d’un processus de valorisation économique faisant de la ressource un simple actif – implique d’abord une « révélation » puis une « activation de la ressource ». Ce processus qui fait d’une ressource générique une ressource spécifiquement territorialisée s’appuie sur des modalités de coordination permettant de révéler la ressource territoriale et de rendre compte de son activation. Ce processus est donc sous-tendu par une dynamique collective des acteurs du territoire et contribue à la construction socioculturelle du territoire.

On comprend donc, à travers cette définition, la distance qu’il y a entre la ressource territoriale ainsi définie et la ressource aux sens ricardien ou néoclassique du terme. La ressource territoriale n’est pas une dotation factorielle de l’espace au sens de la théorie ricardienne, à savoir une donnée de l’environnement. Elle n’est pas non plus un élément d’un catalogue de biens naturels connus, parfaitement identifiés et établis comme le suppose la théorie néoclassique. Elle doit être révélée et construite par un collectif d’acteurs. L’action publique et les formes de gouvernance jouent un rôle essentiel dans l’activation de la ressource mais plus encore sur les conditions de son renouvellement. Le lien entre le produit et le lieu est une construction et non plus une dotation, de sorte qu’un nombre infini de combinaisons, d’innovations, de redéploiements d’usages est possible… La dimension temporelle de l’activation et du redéploiement est tout aussi importante que le rapport au lieu.

Si le cadre reste économique (la révélation de la territorialité de la ressource passe par une identification et une révélation entre une demande spécifique et une offre spécifique selon Peyrache-Gadeau et al., 2010), la notion est proche de l’idée de ressources au sens de la mésologie, proximité sur laquelle je souhaiterais revenir pour conclure mon propos.


IV. Conclusion provisoire : économie et mésologie, un dialogue possible ?


Repartons de l’étymologie du terme « économie » : des termes oikos (maison) et nomos (administration, loi), l’oikonomia est la nécessaire gestion des ressources patrimoniales d’un foyer. Le terme est attribué à Aristote selon lequel la limitation, voire la rareté, exigent de gérer (administrer) les moyens dont la famille dispose afin d’éviter d’inutiles dépenses.

Confronté au hasard et à la nécessité, l’homme dans ses décisions économiques y compris très primaires (se nourrir, se loger, se déplacer) doit faire des choix.

L’économie s’est donc muée au fil des siècles en une « science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les fins et les moyens rares à usage alternatif » (Robbins, 1932). La pensée économique n’a alors eu de cesse que d’établir des lois générales « hors milieu » visant à déconnecter les comportements humains de toute contingence naturelle, environnementale voire sociale. Elle s’est « extraite » du milieu et des lieux et en cela a pu devenir globalisante et uniformisante et, par là même, s’appliquer à quantité de situations économiques particulières.

Mais nous pourrions tout aussi bien comprendre que la « relation entre les fins et les moyens rares à usage alternatif » exprime la nécessité pour l’homme de saisir toutes les opportunités offertes par le milieu pour satisfaire des besoins qui peuvent, dans le cadre de cette relation, être réévalués en fonction de contraintes, de risques, de nouvelles opportunités. La notion de prises développée par Berque (2000) exprime tout aussi clairement cette relation entre des ressources, des contraintes, des agréments et des risques. A ceci près, et la différence est de taille, que chez Berque la relation est médiale, concrète.

En effet, la notion de prises vise à cerner le rapport que les hommes ont avec la réalité des choses. Ce rapport prend forme par exemple dans les mots que nous attribuons aux choses. C’est la concrétude (concrescere) de ce rapport qui nous interpelle et qui se traduit par l’idée que « les mots et les choses grandissent ensemble » (Berque, 2000). Ce rapport s’exprime aussi dans le sens que nous donnons à la réalité, à ses composantes concrètes (pas seulement aux objets car objet suppose sujet et, justement, nous ne sommes pas dans une perspective dualiste). Ce sens nous est suggéré par elle (affordance). Ainsi, les prises à (et non pas sur) la réalité sont précisément des suggestions que le milieu (environnement au sens large) nous renvoie.

Berque (2012b) identifie quatre types de prises : les ressources, les contraintes, les risques et les agréments. Elles coexistent deux à deux sur le mode de la contingence. Le vent est ainsi une contrainte mais aussi une ressource économique par la puissance énergétique qu’il peut créer (à travers les moulins autrefois ou les éoliennes aujourd’hui par exemple).

Je focaliserai l’attention sur les ressources et sur les contraintes.

Les ressources sont donc des éléments de la nature qui suggère à l’homme un ou des usages possibles en fonction des circonstances. Elles peuvent donc être ou ne pas être ressource en fonction de telle ou telle circonstance. C’est une relation médiale i.e. une relation spatio-temporelle qui rend infini le nombre de combinaisons possibles ressources-lieux. L’approche par la ressource territoriale est assez voisine de cette conception contrairement à l’approche néoclassique pour laquelle les ressources sont des éléments de la nature identifiés (à l’origine « découvertes ») par l’homme comme pouvant avoir une utilité (répondre à ses besoins primaires puis secondaires) qui font l’objet d’une extraction, d’une transformation (appelée production), d’une re-production (agriculture), d’un stockage, d’une répartition (via un système de prix). Ce sont des objets. Ce sont des actifs lorsque la ressource est valorisée.
Sur la notion de contraintes, centrale en économie, nous avons vu qu’elle est héritée d’une conception structurelle de la rareté (au sens de la difficulté de production) chez les classiques pour devenir une contrainte voulue et créée à travers la rareté relative des néoclassiques. La limitation de la ressource, sa rareté, sa finitude peuvent avoir des causes multiples : le caractère non-renouvelable de la ressource (ex : pétrole), son inaccessibilité naturelle (ex : gaz dans des fonds abyssaux), l’absence de moyens techniques ou budgétaires permettant de la révéler ou de l’exploiter. Mais comme nous l’avons vu précédemment, une ressource peut être rendue artificiellement rare par le système de prix, par des barrières à l’entrée diverses et variées comme les droits de propriété.

La SEM a simplifié la question de la contrainte spatiale en la réduisant à un coût de transport. Mais ce faisant, elle a occulté d’autres distances. Comme le montre Zimmermann (2008), la proximité (distance) géographique se double d’une proximité (distance) non spatiale. Les agents économiques peuvent très bien être co-localisés et ne pas avoir d’interactions. La contrainte n’est pas dans ce cas la rareté ou la distance mais le manque de « proximité projectuelle » des acteurs. Comme nous l’avons vu dans l’approche par les ressources territoriales, une « proximité projectuelle » peut permettre de révéler le sens de nouvelles ressources du territoire.
Dès lors, les contraintes ne sont pas celles de dotations puisqu’il s’agit de créer de nouvelles ressources territoriales (ou activer de nouveaux usages) mais des contraintes de coordination. En cela l’économie territoriale va plutôt s’interroger sur les processus de coordination nécessaires pour créer et développer de la ressource à l’échelle d’un territoire. Et l’on revient à la nécessité d’une réflexion pluridisciplinaire sur les mécanismes de coordination des hommes faisant société.
Aujourd’hui je me pose la question de savoir comment la mésologie, science de l’être au monde, peut aborder la question de la coordination et des interactions d’hommes « faisant projet commun ».
Les réponses apportées par la science économique contemporaine, quant à elle, reste dans le giron de l’individualisme méthodologique et une science de la quête d’un bien-être trop souvent défini de manière purement utilitariste.

Références :


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[1] A la suite du séminaire «Mésologie » qui s’est tenu à l’EHESS le 17 Mai 2013, il nous a été signalé le texte d’Aurore Lalucq « Economistes et écologie : des physiocrates à Stiglitz » (Lalucq , 2013) qui utilise l’expression « discipline hors-sol ». Nous tenions à le préciser.
[2] Simon (1972).
[3] Au cours des trente dernières années, la fécondité de la TSE a permis notamment l’introduction de rendements croissants dans la production de biens et de services mais aussi la prise en compte d’externalités de connaissances. A chaque fois, la théorie standard s’est donc « étendue » pour intégrer dans sa conception moderne initiale les suggestions de ses franges hétérodoxes, renforçant un peu plus son assise auprès de la communauté scientifique.
[4] La citation entière est la suivante « L’importance qu’a pris dans la macrodynamique moderne le courant des cycles réels est déconcertante pour une économiste européen et spécialement pour un économiste français. En particulier l’exclusion de toute dimension monétaire des fluctuations, si elle se fait retourner Clément Juglar dans sa tombe, heurte aussi bien des analystes contemporains. Cette première objection passe au second rang par rapport au scepticisme que soulève une théorisation des cycles comme réponse optimale d’une économie en équilibre général confrontée à des chocs aléatoires » ; Pierre-Yves Hénin (1995), préface à Hainault « Les fluctuations conjoncturelles », Dunod.
[5] Bien que pour Adam Smith, père fondateur de l’économie politique moderne, l’homme ait une propension naturelle à l’échange.
[6] Même si la rareté chez Ricardo est liée aux difficultés de production et aux contraintes de reproduction.
[7] Orléan A. (2011) considère que la valeur est déterminée par les rapports sociaux et donc par les institutions dont les sociétés se dotent. Il suggère dans son ouvrage de retenir une économie des relations en lieu et place d’une économie des grandeurs.
[8] Cette question n’est toutefois pas une spécificité de la période contemporaine. Toutes les sociétés du Nord comme du Sud ont été confrontées et le sont encore aujourd’hui aux conflits d’usage mais aussi aux conflits de représentations de la terre. Le mouvement des enclosures des XVIIème et XVIIIème siècles en Angleterre en est un exemple. Sur ces questions, nous renvoyons le lecteur à Madjarian G. (1991).
[9] Maupertuis M-A (2010) « La Corse et le développement durable que peuvent nous apprendre les SHS ? » in Maupertuis M-A (dir.) (2010), pp. 7-28.
[10] Le principe de commune humanité, le principe de dissemblance, le principe de commune dignité, le principe d’investissement, l’ordre de grandeur, le principe de bien commun.
[11] « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme » (Smith, 1776).
[12] Pensons à l’expression populaire « faire commerce de … ».
[13] Quesnay (1766), p.554.
[14] Elle est en effet le prix du facteur fixe – la terre – au même titre que l’intérêt et le salaire sont respectivement rémunération du travail et du capital.
[15] Littéralement « Troisième Italie » celle qui n’est ni le Nord ni le Sud puisque couvrant géographiquement les régions de Toscane, d’Ombrie, d’Emilie-Romagne etc. et répondant à un modèle de développement singulier, différent du modèle fordiste qui prévaut dans le Nord ou du modèle agraire et mafieux du Mezzogiorno.
[16] Voir notamment les travaux du Collège International des Sciences du Territoire (GIS CIST) et en particulier les actes du premier colloque « Fonder les sciences du territoire », 23-25 Novembre 2011 (Beckouche et al., 2012).
[17] Cf. Gumuchian et Pecqueur (2007), Colletis et Pecqueur (2005) et Courlet C. (Dir) (2006).
[18] Son succès a franchi les Alpes et le concept est aujourd’hui utilisé par les territorialistes italiens. En décembre 2011, a été créée la Società Dei Territorialisti (SdT) qui a pour dessein de relancer, à l’instar du Collège International des Sciences du Territoire (GIS CIST) en France, une recomposition des disciplines et des savoirs autour du territoire à partir d’expériences locales. La construction d’un nouveau paradigme territorialiste est mise en perspective dans le Manisfesto de cette association. Il prend appui sur l’idée que le territoire est un bien commun, résultat d’un processus de co-évolution entre les environnements humain et naturel, les liens entre nature et culture, territoire et histoire.