mercredi 4 décembre 2013

Le territoire des meisho / A. Berque

Pèlerins de la cascade Kirifuri du mont Kurokam Katsushika Hokusai
Pèlerins de la cascade Kirifuri du mont Kurokam
Katsushika Hokusai, 1831-32
source : Philadelphia Museum of Art
Paru dans  Les rameaux noués. Hommages offerts à Jacqueline Pigeot, sous la direction de Cécile SAKAI, Daniel STRUVE, TERADA Sumie et Michel VIEILLARD-BARON, Paris, Collège de France : Institut des hautes études japonaises, 2013, p. 23-36.

 Le territoire des meisho

par Augustin Berque

1. Michiyuki-bun
Rappelons d’abord les grandes lignes de Michiyuki-bun. Poétique de l’itinéraire dans la littérature du Japon ancien[1], la thèse fameuse qui valut à Jacqueline Pigeot le prix Yamagata Bantô, le plus prestigieux de la japonologie. C’est là que j’ai découvert la question des « lieux renommés », les meisho 名所.
            Le mot michiyuki-bun 道行文, qui signifie « littérature (bun) d’itinéraire (michiyuki) », a été créé par la philologie moderne pour désigner un type de littérature qui se développa au XIIIe siècle et connut une grande faveur à l’époque Muromachi (XIVe – XVIe siècles).  Il s’agit de la relation de voyages fictifs dans des lieux connus, dont le style se caractérise par une prose rythmée (surtout des heptamètres et des pentamètres alternés), évoquant la nostalgie du voyageur, riches en toponymes et en citations de poèmes anciens, et mettant systématiquement en œuvre des tropes appelés engo 縁語 et kakekotoba 掛詞.
            Le procédé de l’engo, littéralement « mot (go) qui a un rapport (en) », consiste à insérer un mot relevant du même champ sémantique qu’un autre mot qui le précède, en lui donnant une valeur métaphorique. C’est ainsi que, dans l’exemple tiré du Kokinshû que Pigeot analyse p. 106, Akigiri no / tomo ni tachi idete 秋霧のともに立出でて , tachi est relatif à akigiri (brouillard d’automne). Il peut avoir le double sens de « s’élever » (i.e. le brouillard qui s’élève) ou de « partir » (i.e. l’être aimé qui s’en va). Il y a donc en français le choix entre deux traductions possibles mais mutuellement exclusives : « Avec le brouillard d’automne qui s’élève… » et « Avec le brouillard d’automne, si vous partez… » ; alors que dans le texte japonais, les deux interprétations sont simultanément présentes et compossibles. 
            Dans un même texte, les engo peuvent se démultiplier indéfiniment, jouant en particulier sur les divers sens qu’évoquent certains toponymes. Pigeot montre ainsi p. 108 que dans Kasatori 笠取, nom d’une montagne au sud de Kyôto, kasa peut s’entendre en trois sens : coiffure (une pièce du vêtement), protection (contre la pluie), et tenue de voyage ; ce qui engendre trois lectures possibles du même poème, en tête duquel ce toponyme figure.
            Ces procédés font que, dans le nom d’un lieu, la fonction de localisation devient secondaire. C’est ainsi que, dans l’exemple susdit, « la fonction essentielle du toponyme est de rendre nécessaire la conjonction entre le plan visuel (une montagne sous la pluie) et le plan affectif (la mélancolie du voyageur » (p. 109).
            Quant au kake kotoba, littéralement « mot d’accroche », s’y « superposent et se confondent la ou les dernières syllabes d’un énoncé et la ou les premières syllabes homophones de l’énoncé suivant ; il s’agit d’un procédé de surimpression verbale » (p. 55 n. 144). Ces mots se prêtent donc aussi à une double lecture. Ce sont particulièrement des toponymes, où l’homophonie permet ainsi de donner au lieu divers sens autres que celui de son étymologie. Par exemple, près de Kyôto, se trouve une montée dite Ôsaka, ce qui à première audition signifierait « grande montée », mais dont le sens est en réalité « montée où l’on se rencontre », comme en attestent les graphies逢坂, 相坂, 合坂 ou encore 会坂, dont les lectures sont homophones dôsaka. Ce toponyme a effectivement, dans l’histoire de la littérature, offert une multitude d’ « accroches » à l’idée de rencontre. Par exemple, dans ce poème du Shûishû commenté p. 110 :


Yukusue no
À l’avenir / Au bout du chemin
Inochi mo shiranu
Notre destin, je l’ignore
Yukareji wa   
Nos routes divergent
Kyô Ôsaka ya
La rencontre d’aujourd’hui / À Ôsaka
Kagiri naruran
Ah ! Serait-ce la dernière ?

            Ce rôle que leur conférait la littérature a fait de certains toponymes des meisho : des « lieux renommés » où non seulement « la géographie (c’est-à-dire le monde extérieur, objectif) et le mental s’interpénètrent et se cautionnent mutuellement (…) pour déterminer le poème » (p. 111), mais dont beaucoup étaient déjà puisés dans la tradition des utamakura 歌枕, ces « porte-poèmes » où la fonction toponymique (l’identification géographique d’un lieu) a complètement disparu devant la fonction évocatoire, à savoir de susciter un sentiment par référence à quelque précédent historique ou littéraire, sentiment qui en soi n’est pas localisable.
            Dans ces meisho, il y a « évacuation du descriptif, éclatement du référé au profit de l’imaginaire, brisure des dénominations (les toponymes sont distordus par le kake kotoba) » et « tous ces procédés rhétoriques relèvent d’un effort pour faire du texte non pas un discours sur les choses (les lieux), mais le signe d’un ailleurs » (p. 352), échappant au circonstanciel pour retrouver un absolu. Tout cela mène Pigeot à conclure en attribuant au michiyuki-bun la fonction du mythe.

2. Au delà des kake kotoba 
Yoshitsune Falls, from the series Famous Waterfall  Katsushika Hokusai
Yoshitsune Falls, from the series Famous Waterfall
 Katsushika Hokusai, 1833
source : The Smithsonian's Museums of Asian Art
Comme pour les kake kotoba, il est plusieurs lectures possibles de la thèse de Jacqueline Pigeot. Dans le domaine de la littérature, elle-même par exemple en suggère la suivante p. 361 : « Allons plus loin, ne pourrait-on opposer les civilisations de la rime (France, Chine), c’est-à-dire celles qui, tout en instaurant un accord entre les êtres, les posent les uns en face des autres sans porter préjudice à leur identité ni à leur autonomie, et celle du kake kotoba où la conjonction des éléments entraîne une fusion qui en dissout l’être même, opération rendue possible par l’idée que l’autre peut devenir le même, que les oppositions sont vouées à se résorber, les rythmes à se confondre… ». À cela s’ajoutant une note qui insiste sur le contraste entre le japonais et « la versification grecque, latine, allemande, française, chinoise », voilà qui, opposant en somme le Japon au reste du monde, serait un peu trop à l’unisson de ces « nippologies » (nihonjinron) qui fleurissaient au moment ou Pigeot préparait sa thèse, et qui, pour souligner l’originalité du Japon, feraient volontiers commencer l’Occident (résumant le monde) au détroit de Corée. Passe pour les pratiques européennes, mais pour la Chine... J’ai en mémoire certain poème de Li Bai[2] qui me semble au contraire donner l’exemple d’une fusion entre deux êtres, l’auteur et la montagne qu’il contemple, autrement plus spectaculaire que les kake kotoba du michiyuki-bun :               

衆鳥高飛尽
zhong niao gao fei jin 
Là-haut passe un vol d’oiseaux
孤雲独去
gu yun du qu xian    
Un nuage solitaire s’éloigne, tranquille
相看両不厭
xiang kan liang bu yan
À se contempler tous deux inlassables
只有敬亭山
zhi you Jingtingshan
Il n’y a que le mont Jingting

           Dans cette scène, le poète et la montagne se regardent mutuellement (相看), mais leurs deux êtres se résolvent dans le seul mont Jingting[3] ; lequel serait, en somme, un seul même regard, d’une réflexivité plus qu’humaine ! Quoi qu’il en soit, ce qui est en jeu ici, comme dans la véritable signification du michiyuki-bun, excède tout procédé linguistique : on est bien, comme Pigeot intitule sa conclusion, « au delà d’une poétique » (p. 363).  La question ne concerne même plus seulement la capacité du langage à évoquer ce dont il est symbole ; il s’agit du rapport de l’existence humaine à cela où elle peut justement exister, c’est-à-dire la Terre. Quelle est la nature de ce lien ?
            C’est de ce point de vue que, pour ma part, je m’étais intéressé à la thèse de Jacqueline Pigeot, initialement pour un compte rendu dans la revue Critique[4]. Je venais à l’époque de rédiger Vivre l’espace au Japon, qui est paru[5] la même année (1982) que Michiyuki-bun[6], et c’est dire que le propos de cette thèse pouvait rencontrer le mien. Effectivement, le genre michiyuki-bun est un indice de la manière dont les Japonais vivent ou ont pu vivre l’espace de leur archipel. Si je m’en souviens bien, tout en rendant hommage à la haute qualité du travail de Pigeot, j’avais tiqué devant l’usage qu’elle faisait de « géographique », en réduisant ce terme à la réalité matérielle objective du territoire nippon, alors que pour moi tout le sens de la géographie était au contraire de montrer que la réalité des territoires humains est qu’il s‘y déploie une spatialité irréductible à l’étendue brute – l’extensio strictement mesurable de Descartes. Ce n’était là cependant qu’un désaccord léger, puisque justement, l’intérêt qu’offrait pour moi la thèse de Pigeot était de mettre en lumière comment peut se déployer la spatialité humaine.
            À l’époque toutefois, je n’en étais pas encore à théoriser ce genre de choses, mais plutôt à découvrir les spécificités nippones. C’était le temps du « terrain », plutôt que des systèmes. Je n’ai donc pas, en ce temps-là, poussé bien loin mes réflexions à partir du « thème d’accroche », du kake dai 掛題 qu’auraient pu être pour moi les kake kotoba de Jacqueline Pigeot ; et c’est cela que je voudrais esquisser ici, en attendant mieux. Ces idées se placent dans le fil de la mésologie – l’étude des milieux humains – que je me suis mis à invoquer à partir d’un livre que je commençais à envisager d’écrire à l’époque où j’ai lu Michiyuki-bun[7]. Il est de fait que si j’ai pu être conduit à donner cette tournure à mes recherches, c’est en partie à cette lecture que je le dois. Le propre des grands livres, c’est bien l’influence qu’ils exercent au delà de leur domaine propre, en l’occurrence des études littéraires jusqu’en géographie.

3. L’« accroche » d’un monde   
31e station : Seba. Hiroshige, Les Soixante-neuf Stations du Kiso Kaidō,
31e station : Seba.
Hiroshige, Les Soixante-neuf Stations du Kiso Kaidō, 1834-1835.
source
Michiyubi-bun est agencé de telle manière que son propos, une « poétique de l’itinéraire » – sous-titre qui dit effectivement le contenu du livre –, tend néanmoins « au delà d’une poétique », conclusion qui en livre l’essentiel. Qu’est-ce donc qu’une poétique dont l’essentiel est de tendre au delà d’une poétique ?  C’est une poétique du poème qui contient tout poème, à savoir un monde ; c’est une poétique du poème du monde, ce carmen mundi des Anciens.
            Certes, Michiyuki-bun n’affiche pas une telle prétention. S’agirait-il du seul monde japonais, Pigeot ne va pas jusqu’à écrire, comme Lucrèce osait le faire dans l’invocation à Vénus qui ouvre son De rerum natura, que le déploiement de son propre poème révélerait celui du monde lui-même :
           
            Nam tibi de summa caeli ratione deumque
            Disserere incipiam et rerum primordia pandam…[8]

C’est donc moi qui, « accrochant » mon propos à la conclusion de Michiyuki-bun, aurai la présomption d’y lire un kake dai des principes du déploiement d’un monde humain sur la Terre. Mais voyons donc d’abord ce que l’auteur elle-même entendait par « au delà d’une poétique ».
            Sa conclusion commençant par écarter quelques thématiques d’un intérêt à son avis secondaire, Pigeot écrit p. 364 : « Mais pour nous, ce qui retenait d’abord l’attention, c’étaient les paradoxes du michiyuki-bun : relation d’itinéraire qui n’est ni récit de voyage ni description de paysages, inventaire détaillé de routes et d’étapes qui triomphe dans les œuvres de fiction et se déploie dans le registre du pathétique, forme qui, bien qu’ouverte à tous les possibles (voyager, n’est-ce pas s’offrir à la diversité du monde ?) se cantonne dans un choix limité de motifs et d’images… », puis : « Toutes [ces questions], finalement, se ramenaient à celle-ci : quelle était la raison d’être du genre, la signification des toponymes dans des textes où la géographie n’importe guère, le sens de cette forme de discours qui se présente comme l’enchaînement indéfini du même module rythmique et d’images toujours semblables ; c’était aussi le secret de ce voyageur dont la route semble n’aller nulle part, sinon parfois aux confins de la mort, et dont, à chaque détour des textes du Moyen-Âge, on rencontre l’immuable et énigmatique figure ».
            Une fois inventoriées quelques considérations préliminaires, la réponse de Pigeot tient en trois clefs. D’abord, « les michiyuki-bun sont toujours des narrations ‘à la troisième personne’ ; à la différence des journaux et recueils poétiques antérieurs, le voyage qu’ils décrivent n’y est jamais présenté comme l’expérience personnelle du narrateur : leurs auteurs recourent toujours à la médiation d’une ‘fable’ […] : tout comme les circonstances du voyage, le sujet reste flou, ‘impersonnel’ » (p. 367-368). Ensuite, les michiyuki-bun « appartiennent à la lignée des katari-mono, c’est-à-dire de textes destinés à la récitation avec accompagnement musical […] et ce, collectivement, dans des assemblées » (p. 368). Troisièmement, « Allons plus loin : ne serait-ce pas encore à ce caractère social que l’on pourrait attribuer une autre particularité fondamentale de la rhétorique du michiyuki-bun : la fusion qui y est opérée entre prose et poème [et qui] n’est possible qu’au prix d’un gauchissement tant de la prose que du poème : d’une part le découpage en unités logiques, fondement du discours en prose, se dissout pour faire place à un miroitement d’images éclatées ; la syntaxe – armature logique – est distordue au gré du mètre ; les images elles-mêmes, empruntées qu’elles sont au vocabulaire du waka, abdiquent toute prétention informative ; quant au poème, il n’a plus pour fonction de cristalliser un moment particulièrement intense de l’expérience d’un sujet : son statut même de citation en fait, de toute évidence, le lieu d’une expérience culturelle, l’actualisation de la mémoire collective […]. Avec cette ‘prose poétique’ qui n’a ni la vertu informative de la narration discursive ni la vertu d’expression individuelle qui est propre au poème, le michiyuki-bun apparaît bel et bien comme le discours d’une collectivité » (p. 369).
            Ajoutant à ces trois attendus  que « le michiyuki-bun propose à la communauté une image des pays, des voyages et du voyageur purement fantasmatique, dont l’indigence en particularités individuelles favorise par là-même la projection d’une sensibilité collective » (ibid.), Pigeot en conclut, comme on l’a vu, que « le michiyuki-bun a retrouvé la fonction sociale qui était celle du mythe » (ibid.).
            Mais qu’est-ce que la fonction sociale du mythe, sinon d’entériner un monde ?

4. Le champ trajectif de la réalité
Shower Below the Summit (Sanka hakuu) From the series 36 views of Mount Fuji (Fugaku sanjurokkei) Katsushika Hokusai
Shower Below the Summit (Sanka hakuu)
From the series 36 views of Mount Fuji (Fugaku sanjurokkei)
Katsushika Hokusai (1830-32)
source : The Art Institute of Chicago
« Mythe » nous vient du grec muthos, mot d’étymologie incertaine dont le premier sens est « parole exprimée ». Derrida entre autres a souligné que c’est une parole sans auteur identifiable : « Le dit mythique ressemble  […] à un discours sans père légitime. Orphelin ou bâtard, il se distingue ainsi du logos philosophique qui, comme il est dit dans le Phèdre, doit avoir un père responsable »[9].
            Effectivement le mythe, plutôt que ce que dit quelqu’un (sinon comme récitant), c’est ce qui se dit dans un certain milieu, à une certaine époque. Qui est donc le sujet de ce réfléchi bizarre, « se » ? Ce sont « les gens », le « on » (das Man) heideggérien, bref « tout le monde », comme on dit en français. Tout « le monde », c’est-à-dire qu’en somme, le mythe, c’est aussi ce que disent les choses non douées de parole, notamment ces choses « à lire », les legenda qui s’attachent aux lieux dans tout milieu humain ; particulièrement à ceux qui ont des histoires fameuses à nous raconter – ces « hauts lieux » (en français) qu’on appelle donc en japonais des meisho.
            Des choses à lire, c’est ce que racontait par exemple ce jardin de légende, à Syracuse, qui portait justement le nom de Muthos. Il est évoqué au paragraphe 542 a dans Les Convives d’Athénée de Naucratis, ouvrage écrit sans doute sous le règne d’Alexandre Sévère (222-231)[10]. À ce sujet, il se colporte encore sur Internet des choses qui rappellent à certains égards la thèse de Pigeot. Dans le texte d’Athénée, en effet, lesdits  « convives » (deipnosophistai, « qui conversent en dînant ») sont invités à parler de choses très diverses, à partir des plaisirs de la table. Or ils le font de manière impersonnelle, par une multitude de citations tirées de toute l’histoire littéraire du monde gréco-romain. Du reste, Athénée fait même intervenir directement certains personnages historiques, tels Plutarque ou Galien, au mépris de toute unité de temps. Il s’agit donc en somme de faire revivre et de transmettre la pensée d’une « Grèce éternelle », à cette époque inquiète où se fissurait l’Empire et que marque une frénésie de compilation (c’est le temps de Diogène Laërce, entre autres, avec les dix livres de ses Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres). Au fond ces « convives », mutatis mutandis, ils parcourent la conscience de l’Antiquité savante comme le voyageur des michiyuki-bun parcourait le territoire des meisho : de mémoire humaine, plutôt qu’au GPS.     
            Géo-Positionnement par Satellite, le GPS est un système de localisation à l’échelle planétaire (Global Positioning System) que notre monde a hérité des préoccupations de l’Armée américaine, lesquelles étaient de pouvoir situer avec précision n’importe quelle cible à la surface de la Terre.  Avec ce système, vous faites le point en temps réel, instantanément ; et que vous bougiez ne serait-ce que d’un pas, le GPS vous l’indique.
            Ce que le GPS vous donne, ce sont vos coordonnées (latitude, longitude), hormis la cote, la Terre étant abstraitement réduite à un plan (la carte). Sur ce plan, tout point (toute position) se distingue des autres points ; c’est-à-dire que tout lieu est exclusif d’un autre. Ce système est un des héritiers de Descartes (par les coordonnées cartésiennes : ordonnée, abscisse, cote), et plus lointainement d’Aristote, de qui nous tenons notre conception ordinaire du lieu ; à savoir qu’un lieu est immobile et défini. Dans sa Physique (IV, 212 a 20), Aristote écrit effectivement que le lieu (topos) est comme to tou periechontos peras akinêton prôton, « la limite immobile immédiate de l’enveloppe [de la chose] ». Immobile, cela entraîne que le lieu est séparable de la chose, qui est mobile. Si elle bouge, son lieu devient un autre lieu, alors qu’elle garde son identité.
             Cette conception du lieu est également liée à la logique aristotélicienne, qui est une logique de l’identité du sujet (ce dont il s’agit), par opposition à ce que Nishida nomma jutsugo no ronri 述語の論理, « logique du prédicat ». Or Nishida nomma aussi cette même logique basho no ronri 場所の論理, « logique du champ » (mais on traduit plus communément « logique du lieu »)[11]. Le prédicat étant ce qui se dit à propos de quelque chose (i.e. d’un sujet, shudai 主題), ledit basho est le champ notionnel où se situe ce sujet ; par exemple « les mortels », dans le syllogisme classique « Tous les hommes sont mortels ; or Socrate est un homme ; donc Socrate est mortel ». Toutefois, dans cette relation, il ne s’agit pas seulement de concepts, ni seulement de mots. Dans les premières lignes de Basho (1927)[12],  Nishida rapproche allusivement ce thème de celui de la chôra chez Platon. Dans les deux cas en effet, il s’agit du champ où se situe l’existence des êtres du monde sensible.
            Un tel champ excède bien entendu celui d’un prédicat au sens ordinaire, en logique ou en grammaire. Dans la pleine réalité des milieux humains[13], le « prédicat » n’est plus seulement ce qui se dit à propos d’un sujet, mais plus généralement la manière dont l’existence humaine, par les sens, par la pensée, par les mots et par l’action, saisit ledit sujet en tant que quelque chose. Par exemple, saisit Socrate en tant que philosophe, ou le soleil en tant qu’ancêtre de la lignée impériale, ou Chamaecyparis obtusa en tant que hinoki, ou que , ou que bois de feu (hi no ki 火の木 ), ou que matériau de construction pour le temple d’Ise, etc.
            Le champ où se déploient ces en-tant-que, c’est un milieu humain. Suivant les cas, son extension varie. Prendre le soleil comme ancêtre du Tennô, c’est un en-tant-que dont le champ se restreint à l’histoire de la communauté nippone ; mais prendre le riz comme aliment principal, c’est un en-tant-que dont le champ est plus vaste ; et prendre l’oxygène comme nécessaire à la vie, hormis certains êtres comme les bactéries anaérobies, c’est un en-tant-que plus universel encore. Toutefois, le principe en jeu est toujours le même ; à savoir de saisir un sujet (S) quelconque en tant que quelque chose (P, i.e. un prédicat).
20e station : Mariko. Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō, Hiroshige
20e station : Mariko. Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō,
Hiroshige, 1833-1834.
source
            Dans cette relation, trois termes sont nécessaires : le sujet S, le prédicat P, et une instance prédicatrice I, laquelle peut être une existence humaine, ou plus généralement la Vie, en passant par les diverses espèces du vivant. Pour autant que cette instance est concernée, S est P. Autrement dit, c’est la réalité ; ce qui se résume par la formule r = S/P, laquelle se lit « la réalité, c’est S en tant que P »[14].
            Ce rapport S/P, la réalité, n’est autre que ce qui se passe entre le physique et le phénoménal. Il va de soi que cela excède le champ de la grammaire, ou même de la logique au sens ordinaire. C’est pourquoi, au lieu de parler seulement d’une prédication de S (le physique) en P (le phénoménal), je parle de la trajection entre ces deux termes ; rapport dans lequel il y a, historiquement, assomption de S en tant que P, et hypostase (substantialisation) de P en S. Cette trajection peut se représenter par la formule r = (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’… et ainsi de suite, où l’on voit que la prédication initiale de S en P (soit S/P), étant au fil de l’histoire surprédiquée en P’ (puis sur-surprédiquée en P’’,  et ainsi de suite), en vient à se trouver en position de S par rapport à des prédicats toujours renouvelés, ce qui est effectivement une hypostase[15]. C’est ce que nous allons illustrer par le cas des meisho.

5. L’assomption de la Terre en monde
De ce qui précède, on retiendra que dans la réalité des milieux humains, un lieu n’est jamais réductible à son seul topos, car il est toujours aussi, et en même temps, une chôra. De même, la réalité d’une chose ne se borne pas à sa définition physique (son topos) ; elle s’étend toujours aussi dans une certaine chôra, qui est son rapport à l’existence humaine. Autrement dit, de par son rapport à cette instance prédicatrice, elle n’est pas S, mais S/P. Réduire une chose à son topos, comme le fait la science, c’est l’abstraire de cette relation (i.e. la réduire à S) ; et tel est bien le principe de la démarche scientifique, qui réduit les choses à des objets ; mais il faut être conscient que cette démarche est une forclusion (i.e. un lock out) de l’existence humaine : elle la met dehors, et lui ferme la porte[16]. Déshumanisant les choses, elle prend l’histoire et même l’évolution à rebours[17].
            L’interprétation que Derrida fit de la chôra ne porte pas sur cette question, mais sur celle du mythe. Effectivement, la chôra tient du mythe, dans la mesure où le phénoménal n’est pas le physique ; mais sa réalité première, concrète, c’est celle d’un territoire ; par exemple l’Attique pour Athènes, la Béotie pour Thèbes, la Laconie pour Sparte, etc. La chôra, c’est en effet la campagne qui entoure une ville (l’astu), avec laquelle elle forme le couple constitutif d’une cité (la polis). C’est bien la ville qui est le cœur de la cité, mais elle ne pourrait pas exister sans la chôra où elle se situe, et qui la nourrit. C’est pourquoi Platon, dans le Timée, peut comparer la chôra à une mère (mêtêr, 50 d 2) et à une nourrice (tithênê, 52 d 4)[18] ; car, littéralement, la chôra donne le sein à la ville ; et c’est cette métaphore, issue de l’expérience d’un milieu concret, qui a engendré l’onto-cosmologie dans laquelle Platon fait de la chôra le « milieu »[19] nécessaire à l’existence de l’être relatif, la genesis ; c’est-à-dire, en somme, le monde sensible.
            Traduisons. De même que l’existence d’Athènes ne saurait se borner au topos de la ville enclose par les Longs Murs, mais inclut nécessairement l’Attique (et, au delà, l’empire maritime d’Athènes), de même le lieu d’une chose, dans un milieu humain, excède son topos pour comprendre une certaine chôra : le tissu relationnel où sa réalité s’insère concrètement. Celui-ci n’est pas seulement un entour physique (ce qui ne serait qu’un topos plus englobant) ; c’est l’ensemble des relations éco-techno-symboliques en vertu de quoi elle commence à exister (ek-sistere) véritablement, c’est-à-dire à « être au dehors de soi » (ausser sich sein)[20]
             
     La limite n’est pas ce où quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l’avaient observé, ce à partir de quoi quelque chose commence à être (sein Wesen begint). […] Il s’ensuit que les espaces reçoivent leur être des lieux et non de « l’ » espace »[21].

            « L’ » espace (der Raum) en question dans ce passage de Bâtir habiter penser, c’est celui que Heidegger n’a cessé de dénoncer, à savoir l’étendue cartésienne, censée contenir et précéder tous les objets qu’on y trouve, et qui est strictement mesurable. Peu importe que ce « les Grecs » oublie que ce sont justement certains Grecs, tels Euclide et Aristote avec sa définition du topos, qui sont les prédécesseurs de Descartes en la matière ; ni que ce que Heidegger appelle « lieu » (Ort par opposition à Stelle, qui n’est qu’une position dans l’étendue cartésienne) tient beaucoup de la chôra platonicienne, qu’il a commis le contresens de prendre pour l’ancêtre de « l’ » espace[22].  L’important, c’est que le propos heideggérien revient justement à dire que la réalité d’une chose ne se borne pas à son topos, mais se déploie dans une chôra.
             Selon moi, c’est aussi ce déploiement qui est en jeu dans le « litige » (Streit) entre Terre et monde que Heidegger évoque dans L’origine de l’œuvre d’art :

Ce vers où l’œuvre se retire, et ce qu’elle fait ressortir par ce retrait, nous l’avons nommé la Terre. Elle est ce qui, ressortant, reprend en son sein (das Hervorkommende-Bergende). […] Installant un monde, l’œuvre fait venir la Terre (Indem das Werk eine Welt aufstellt, stellt es die Erde her). […] L’œuvre porte et maintient la Terre elle-même dans l’ouvert d’un monde. L’œuvre libère la Terre pour qu’elle soit une terre[23].

Le pont Taiko et la colline Yūshi à Meguro en hiver.  Cent Vues d'Edo, Hiroshige
Le pont Taiko et la colline Yūshi à Meguro en hiver.
Cent Vues d'Edo, Hiroshige, 1857.
source
            Dans la réalité des milieux humains, en effet, ce que Heidegger a ici « nommé la Terre » (die Erde), c’est effectivement la Terre ; c’est-à-dire à la fois le sol phénoménologique de notre existence, et la planète qui physiquement la porte et en est objectivement l’origine. La métaphore heideggérienne, qui voit l’origine de l’œuvre d’art dans un certain rapport à la Terre (rapport qu’il nomme « litige »), est homologue à la métaphore platonicienne, dans laquelle la réalité géographique du rapport entre astu et chôra devient le rapport ontologique entre genesis et chôra ; et comme elle, sa source n’est autre que l’expérience d’un milieu concret. Mais pourquoi donc le rapport en question serait-il litigieux ? Parce que, nous dit Heidegger, c’est dans le fait même (indem) que l’œuvre installe et ouvre  un monde, qu’elle fabrique ou élabore (herstellt) « une terre », propre à ce monde, à partir de « la Terre » ; car en elle-même, « la Terre » n’est pas là pour ce monde ; elle est là « pour rien », sinon pour elle-même :

Sur le roc, le temple repose sa constance. Ce « reposer sur » fait ressortir l’obscur de son support brut et qui pourtant n’est là pour rien[24].

            Traduisons encore. Le « support brut », l’à-partir-de-quoi de toute œuvre humaine, c’est bien la Terre, qui, dans le rapport constitutif de la réalité (S/P), se trouve en position de S, et que P trajecte en « une terre », dans sa réalité concrète et singulière, à nulle autre pareille : la Grèce, le Japon ou Landerneau. Le « litige » dont parle Heidegger, c’est cette trajection, dans laquelle la Terre est assumée en un certain monde ; c’est-à-dire l’ensemble des en-tant-que par lesquels, historiquement, une société humaine élabore (herstellt) la réalité singulière de son territoire.  
            Litige il y a effectivement, parce qu’en soi, S n’est pas P ; ce n’est qu’en fonction de l’existence humaine qu’une certaine histoire le prédique en tant que tel. Cela n’est certainement pas étranger au fait que le bouddhisme, et spécialement la doctrine du madhyamāpratipad (le « chemin du milieu »), a conçu la relativité du monde phénoménal sous le signe de la négation[25].  Il est de fait que le physique n’est pas le phénoménal, et que la Terre n’est pas les mondes qui s’y déploient ; mais qu’en même temps, pour autant que nous existons, la réalité les identifie, et qu’elle ne saurait être que cela même : indéfiniment, la trajection de S en P. Cette logique bizarre, ce tétralemme où les choses à la fois sont et ne sont pas ce qu’elles sont, c’est ce que le bouddhisme oriental a résumé par le sinogramme (lu soku en japonais)[26].
            Ce que je lis aujourd’hui dans Michiyuki-bun, c’est cela : cette assomption de la Terre (S : le support brut qu’est la physicalité de l’archipel nippon) en un certain monde (P : la phénoménalité des lieux de cet archipel, par exemple leur nom). Les meisho illustrent ce passage du physique au phénoménal, i.e. ce déploiement du topos en chôra, qui a donné au territoire nippon le sens qui lui est propre ; c’est-à-dire qui en a fait la réalité concrète (S/P). Les lieux d’un territoire sont en effet concrets dans la mesure même où ils ne se réduisent pas aux positions du GPS, qui sont abstraites de notre existence.
Odawara-juku Hiroshige, 1830, Série Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō
Odawara-juku
Hiroshige, 1830, Série Les Cinquante-trois Stations du Tōkaidō
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            Au delà du réflexe dualiste qui, voici bientôt trente ans, me faisait intituler mon compte rendu de Michiyuki-bun « Des lieux réels aux lieux de l’imaginaire », c’est cela que j’aurais dû y voir :  comment s’élabore ce phénomène qu’est la réalité d’un territoire. Ces michiyuki, en somme, ce sont des images de la trajection qui engendre les réalités humaines.  C’est qu’en effet, comme on l’a vu plus haut, la trajection n’est pas seulement l’assomption de S en P ; c’est aussi, en retour, l’hypostase de P en S. En l’occurrence, le sens des lieux de ce territoire en a guidé les aménagements ultérieurs, transformant alors physiquement l’archipel[27] ; et ainsi de suite, dans l’enchaînement indéfini que résume la formule r = (((S/P)/P’)/P’’)P’’’…
            Bien entendu, la littérature n’est pas là seule en jeu ; toute l’histoire de la société japonaise y concourt ; néanmoins, en exagérant ludiquement le principe même de ce phénomène, les meisho y ont tenu un rôle paradigmatique, et la thèse de Jacqueline Pigeot, en mettant ce rôle en lumière, aura été pour moi tout aussi exemplaire.

Palaiseau, 10 juin 2010.          


[1] Paris, Maisonneuve et Larose, 1982.
[2] Cité par François CHENG, L’écriture poétique chinoise, Paris, Seuil, 1977, p. 128, qui pour sa part donne la traduction suivante : Les oiseaux s’envolent, disparaissent / Un dernier nuage, oisif, se dissipe / À se contempler infiniment l’un l’autre / Il ne reste que le mont Révérencieux.
[3] Oronyme qui signifie : Pavillon des respects.
[4] « Des lieux réels aux lieux de l'imaginaire », Critique, n° 428-429, 1983, p. 135-140.
[5] Aux Presses universitaires de France.
[6] Jacqueline Pigeot m’avait fort aimablement dédicacé un exemplaire de sa thèse, dans l’élan d’un échange de bons procédés où, peu auparavant, je lui avais dédicacé la mienne (La Rizière et la banquise. Colonisation et changement culturel à Hokkaidô, Paris, Publications orientalistes de France, 1981) ; mais je soupçonne mes histoires de banquise de l’avoir moins marquée que je ne l’ai été par Michiyuki-bun !
[7] Le Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986.
[8] LUCRÈCE, De la nature, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 6 (I, 54-56). Alfred Ernout traduit :  Car c’est un système qui pénètre l’essence même du ciel et des dieux que je me prépare à t’exposer ; je veux te révéler les principes des choses… (p. 7).
[9] Jacques DERRIDA,  Khôra, Paris, Galilée, 1993, p. 90.
[10] L’ouvrage initial était une colossale compilation qui atteignait peut-être trente livres, dont quinze nous ont été transmis. Réédition partielle Les Deipnosophistes, Paris, Les Belles Lettres, 2002.
[11] Sur ce thème, v. A. BERQUE et Ph. NYS (dir.) Logique du lieu et œuvre humaine, Bruxelles, Ousia, 1997 et A. BERQUE (dir.) Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, 2000, 2 vol.
[12] Repris dans le vol. IV des Œuvres complètes de Nishida, Nishida Kitarô zenshû, Tokyo, Iwanami, 1966. Précisons que si le sens dans lequel dans lequel j’entends ici le « prédicat » doit à Nishida l’idée fondamentale que le monde est un « monde prédicat » (jutsugo sekai 述語世界), c’est sans adopter les raisons qui ont conduit Nishida lui-même à une telle conception. De mon point de vue, il n’est pas question de faire comme lui dudit prédicat un absolu, puisqu’il suppose nécessairement la Terre, qui est son sujet (v. plus loin). Chez Nishida au contraire, le prédicat subsume ou « engloutit » (botsunyû suru 没入する) son sujet.
[13] Sur ce thème, v. A. BERQUE, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000.
[14] Plus d’éclaircissements à cet égard dans mes Le Sens de l’espace au Japon. Vivre, penser, bâtir (avec Maurice SAUZET), Paris, Arguments, 2004, et La Pensée paysagère, Paris, Archibooks, 2008.
[15] Dans l’histoire de la pensée européenne, il y a eu homologie entre le rapport sujet/prédicat en logique et le rapport substance/accident en métaphysique. Subjectum (du grec hupokeimenon) et substantia (du grec hupostasis, d’où le français hypostase) sont tous deux issus de l’image de quelque que chose qui « gît dessous » (hupo keimai), d’un « se-tenir-dessous » (hupostasis) qui fonde la réalité. Le sujet « gît » sous le prédicat, comme la terre sous le ciel : hê gê hapasê hê hupo tô kosmô keimenê, « toute la terre étendue sous le ciel », comme l’écrit Isocrate (cité par le Bailly à l’entrée kosmos).
[16] Sur les ravages que cette forclusion exerce dans le monde sensible, v. Écoumène, op. cit., et plus spécialement mon Histoire de l’habitat idéal. De l’Orient vers l’Occident, Paris, Le Félin, 2010 ; sur son impossibilité ultime dans le domaine de la science pure, v. Michel BITBOL, De l’intérieur du monde. Pour une philosophie et une science des relations, Paris, Flammarion, 2010.
[17] Sur ce thème, v. mes articles « Les travaux et les jours : histoire naturelle et histoire humaine », L’espace géographique, tome XXXVIII, n°1, 2009, p. 73-82 ; et « Les fondements terrestres de l'existence humaine : la perspective écouménale », p. 35-53 dans Hicham-Stéphane AFEISSA (dir.) Écosophies. La philosophie à l'épreuve de l'écologie, Paris, Editions MF, 2009, 295 p.
[18] Ce mot vient d’une racine indo-européenne, TIT, qui a donné en français téter, téton.., et qui se retrouve encore telle quelle dans l’anglais tit (téton).
[19] L’expression est de Luc BRISSON, Le Même et l’autre dans la structure ontologique du Timée de Platon, Sankt Augustin, Akademia Verlag, 1994, p. 222 .
[20] Cette expression, introduite par Heidegger dans Être et temps, s’applique chez lui au seul Dasein ; mais dans la relation r = S/P qui institue les choses en tant que quelque chose, il est évident que cette ek-sistence concerne tous les existants.
[21] Martin HEIDEGGER, Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958 ; traduction d’André Préau (ce passage est extrait de Bauen  wohnen  denken). Italiques de Heidegger.
[22] Comme l’a observé Alain BOUTOT, Heidegger et Platon, Paris, PUF, 1987, p. 131.
[23] Martin HEIDEGGER, « L’origine de l’œuvre d’art », dans Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1962, pp. 49-50. Traduction de Wolfgang Brokmeier. Pour la raison que j’explicite un peu plus loin, j’ai ici orthographié “Terre”, non pas “terre” comme dans la traduction de ce passage par Brokmeier, qui d’ailleurs flotte entre les deux graphies tout au long de L’origine de l’œuvre d’art. En allemand, la question ne se pose pas : c’est toujours die Erde.
[24] Op. cit., p. 44.
[25] Sur cette logique, ou plutôt cette lemmique, v. YAMAUCHI Tokuryû, Rogosu to renma (Logos et lemme), Tokyo, Iwanami, 1974. Plus généralement, v. Claire PETITMENGIN, Le Chemin du milieu, Paris, Dervy, 2007.
[26] Plus de précisions à ce sujet dans Yamauchi, op. cit. ; en particulier le chap. XI, « Soku no ronri即の論理 (Logique du soku) ».
[27] Entre mille exemples, on pourra lire à ce sujet l’étude de TSUCHIYA Kazuo sur l’évolution géographique d’un meisho classique, Okitsu : « L’effet de lieu d’Okitsu. Considérations fondées sur la représentation du mont Fuji dans Vue du Fuji, de Miho et du Seiken-ji (attribué à Sesshû) », p. 292-301 dans A. BERQUE, Ph. BONNIN et C. GHORRA-GOBIN (dir.), La Ville insoutenable, Paris, Belin, 2006.