mardi 29 septembre 2020

Au delà de Kipling

Time cover, 27 sept. 1926
Conférence, pour le 90 e anniversaire de la Maison du Japon, à la Cité internationale universitaire de Paris, 26 octobre 2019.

Au delà de Kipling

par Augustin Berque

The Ballad of East and West, poème que Rudyard Kipling publia en 1889, commence par ce vers devenu proverbial: 
"Oh, East is East, and West is West, and never the twain shall meet" 
Peu importe que la suite du poème montre qu’au contraire, deux hommes d’honneur – un brigand afghan et un officier britannique – peuvent se comprendre et s’apprécier mutuellement ; c’est le premier vers qui compte, à tel point que c’est aujourd’hui une expression usuelle dans le monde anglophone, équivalant aux locutions « comme chien et chat » en français ou ken.en no naka 犬猿の仲 (il s’entendent comme chien et singe) en japonais, signifiant que deux choses ou deux personnes sont à jamais inconciliables. C’est ainsi que l’édition 2002 du McGraw-Hill Dictionary of American Idioms donne cet exemple (il s’agit là de deux personnes qui ne sont pasd’accord politiquement) : « In our case, I’m afraid that East is East and West is West ».

mercredi 16 septembre 2020

À paraître dans Abécédaire Arts, écologies, transitions. Construire une référence commune

While Our Tryst Has Been Delayed (Sookyung Yee, 2010)

LIEU

Augustin Berque
Sous la direction d’Isabelle GINOT, Makis SOLOMOS et Roberto BARBANTI

LIEU (du latin locus, même sens)


Dans l’abstrait, un lieu est un point définissable par ses coordonnées cartésiennes : l’ordonnée, l’abscisse et la cote ; cette abstraction ne nous concernera pas ici. Concrètement, un lieu, c’est là où il y a quelque chose ou quelqu’un, et c’est l’y de cet « il y a ». C’est donc en relation avec l’existence de cette chose ou de cette personne ; car s’il n’y avait rien, il n’y aurait pas de lieu, et il n’y aurait donc pas lieu de se poser la question. Si j’ai lieu de le faire, c’est aussi parce qu’un lieu, c’est là où il se passe quelque chose, donc une question d’espace-temps, pas seulement d’espace.

mercredi 2 septembre 2020

Extrait de Recouvrance

Kyoto, Pedro Szekely

Retour à la terre et cosmicité en Asie orientale

(Bastia, éditions Éoliennes, à paraître)
Augustin BERQUE

§ 55. L’y-présence : la ville japonaise

Vous avez vu la Ford Mustang GT Fastback de Frank Bullitt (Steve McQueen) dévaler les rues de San Francisco dans le film de Peter Yates (1968) ? Non ? Alors ouvrez La Terre et Moi, du géographe Luc Bureau , à la page 98, où vous trouverez un plan de San Francisco, avec comme légende cette citation de L’Amérique au jour le jour, de Simone de Beauvoir :

« San Francisco est un scandale d’abstraction têtue, un délire géométrique. Le plan a été tracé sur le papier sans que l’architecte jetât un coup d’œil sur le site : c’est un damier aux lignes bien droites, exactement comme New York et Buffalo. Les collines, ces accidents trop concrets, on les a simplement niées ; les rues les escaladent et les dévalent sans s’écarter de leur dessin rigide ».

San Francisco a été fondé en 1776 , alors en Nouvelle-Espagne, mais n’a pris sa configuration actuelle qu’après la conquête de la Californie par les États-Unis (1846) , qui ont systématiquement géo-maîtrisé le continent à l’aide du gril orthogonal du township. Le gril, ils n’en étaient évidemment pas les inventeurs. On dit communément que le premier à l’appliquer à un plan de ville fut l’architecte Hippodamos (-498/-408), à Milet, mais le plan orthogonal de Milet avait été précédé de neuf siècles par celui d’Akhetaton, la nouvelle capitale construite par Akhenaton (Aménophis IV, -1371 ou -1365/-1338 ou -1337), qui, le temps d’un règne, imposa dans la religion égyptienne le monothéisme du Soleil (Rê), dont il était à la fois le prophète et l’incarnation.
Ce lien entre la géométrie, la géo-maîtrise de l’étendue par le pouvoir et le monothéisme aura marqué l’histoire de l’Occident.