Ceci n'est pas la Terre Source : Mission Apollo-Saturn 8 (W. A. Anders, 1968) The Museum of Fine Arts, Houston |
Séminaire EHESS "Mésologiques"
Compte rendu de la séance du vendredi 8 novembre 2013
A. Berque
I. Mésologie et poétique des images (Yoann Moreau)
La séance commence par un exposé de Yoann Moreau, docteur de l'EHESS, sur le test de Rorschach (et d'autres documents iconographiques) comme illustration de la formule de base de la relation mésologique : r = S/P, ce qui se lit : "la réalité r, c'est le sujet S en tant que prédicat P". Dans cette relation, S (le sujet du logicien, i.e. l'objet du physicien) est ce dont il s'agit ; P est la manière dont on le saisit par les sens, par l'action, par la pensée et par la parole. Ce quatrième mode de saisie est propre à l'humain, et le troisième à une partie seulement des êtres vivants ; mais les deux premiers modes concernent la totalité du vivant. Cette saisie est donc plus qu'une prédication, opération seulement verbale; elle concerne tous les aspects de la réalité. C'est une trajection.
L'exposé d'Augustin Berque, intitulé "Mésologie et poétique de la Terre", résume le propos développé dans les deux textes ci-joints : "La mésologie, pourquoi et pour quoi faire?" et "Renaturer la culture, reculturer la nature, par l'histoire". "Poétique" est ici pris au sens large, celui de poïétique (une activité créatrice). Concernant plus particulièrement l'histoire et l'évolution, ce point de vue insiste sur la contingence, qui n'est ni le hasard ni la nécessité mais, comme dit Platon à propos de la chôra (le milieu propre à l'être relatif, la genesis), un "troisième et autre genre" (triton allo genos) de l'être.
Il peut s'illustrer par la formule latine natura natura semper (la nature sera toujours à naître) et par le poème d'Antonio Machado ci-dessous, Caminante, no hay camino (extrait de Campos de Castilla, 1912 ; trad. A. Berque) :
Il peut s'illustrer par la formule latine natura natura semper (la nature sera toujours à naître) et par le poème d'Antonio Machado ci-dessous, Caminante, no hay camino (extrait de Campos de Castilla, 1912 ; trad. A. Berque) :
Caminante, no hay camino Toi qui chemines, il n’y a pas de chemin
Todo pasa y todo queda, Tout passe et tout reste,
pero lo nuestro es pasar mais il nous revient de passer
pasar haciendo caminos passer en faisant des chemins
caminos sobre el mar (…) des chemins sur la mer (…)
Caminante, son tus huellas, Toi qui chemines, ce sont tes traces,
el camino y nada más ; le chemin et rien de plus ;
caminante, no hay camino, toi qui chemines, il n’y a pas de chemin,
se hace camino al andar. le chemin se fait en marchant.
Al andar se hace camino En marchant le chemin se fait
y al volver la vista atrás et quand on se retourne pour voir
se ve la senda que nunca on voit le sentier que jamais
se ha de volver a pisar (...) l'on n’aura plus à fouler (…)
se ha de volver a pisar (...) l'on n’aura plus à fouler (…)
Liens :
- "Mésologie et poétique des images" / Yoann Moreau
- "La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?" / Augustin Berque
- "Renaturer la culture, reculturer la nature, par l'histoire" / Augustin Berque
La prochaine séance aura lieu le vendredi 22 novembre, avec un exposé du Dr Claude Plouviet
A travers la logique du tiers inclus décrite par Stéphane Lupasco, Claude Plouviet propose à notre réflexion mésologique un voyage trans-disciplinaire à la recherche de concepts repérés dans les sciences fondamentales, les sciences humaines ou l’art.
Au delà d’une vision purement binaire, il évoque ainsi l’existence d’une troisième valeur, émanation des relations entre polarités : valeur linguistique chez F. de Saussure (1857-1913), auto-organisation du Nobel de chimie Jean-Marie Lehn (1939), tiers individuel et tiers social de Pierre Legendre (1930), acculturation selon R. Bastide (1898-1974), écart chez F. Jullien (1951), écoumène d' A. Berque (1942), émergence sonologique de Di Scipio (1962), énaction de F. Varela (1946-2001), affordance de J. J. Gibson (1904-1979), médiologie de R. Debray (1940) etc…
Cette logique à trois valeurs, dite logique du tiers inclus contradictoire, remet en question l'absoluité du principe de non contradiction de la logique binaire. Le tiers inclus portant en lui la dynamique et les caractères du devenir …
Le "Lever de Terre sur la lune", photo prise le 21 décembre 1968 par le spationaute W. A. Anders, ne montre pas la Terre (d'où le titre proposé : "Ceci n'est pas la Terre"). Cela au moins pour deux raisons.
La première est simple : nous ne voyons pas la Terre, mais une image de la Terre. Cela est déjà discuté par ailleurs.
La seconde est que nous ne pouvons voir la Terre (ie. la réalité objective de la planète que nous habitons), cela parce que nous ne pouvons pas percevoir l'Umgebung (l'environnement) mais une Umwelt (un monde ambiant). Nous ne pouvons voir la Terre sous quelque forme que ce soit (photo, film, peinture, etc.) parce qu'elle est en deçà de notre niveau de réalité. Ce que nous percevons et en fonction de quoi nous agissons, c'est une écoumène (Berque, 2000) : réalité à la fois anthropisée, hominisée et humanisée à l'étendue terrestre. Entre Terre et Mondes, il y a médiances organiques et - dans le cas de l'espèce humaine - poïétiques (voir Poétique de la Terre d'A. Berque, sous presse chez Belin).
Bref, Ceci n'est pas la Terre, mais l'image d'une manière de faire monde contingente à une mouvance historique (qui inclut Galilée) et technique (qui inclut les fusées).
NOTES SUR L'ICONOGRAPHIE (Yoann Moreau) :
La première est simple : nous ne voyons pas la Terre, mais une image de la Terre. Cela est déjà discuté par ailleurs.
La seconde est que nous ne pouvons voir la Terre (ie. la réalité objective de la planète que nous habitons), cela parce que nous ne pouvons pas percevoir l'Umgebung (l'environnement) mais une Umwelt (un monde ambiant). Nous ne pouvons voir la Terre sous quelque forme que ce soit (photo, film, peinture, etc.) parce qu'elle est en deçà de notre niveau de réalité. Ce que nous percevons et en fonction de quoi nous agissons, c'est une écoumène (Berque, 2000) : réalité à la fois anthropisée, hominisée et humanisée à l'étendue terrestre. Entre Terre et Mondes, il y a médiances organiques et - dans le cas de l'espèce humaine - poïétiques (voir Poétique de la Terre d'A. Berque, sous presse chez Belin).
Bref, Ceci n'est pas la Terre, mais l'image d'une manière de faire monde contingente à une mouvance historique (qui inclut Galilée) et technique (qui inclut les fusées).