Cette semaine, première séance du séminaire
"Mésologiques : philosophie des milieux"
(A. Berque, L. Boi)
Vendredi 8 novembre, 18h-20h
Salle Lombard, 96 bd Raspail
La première séance, intitulée "Mésologie et poétique de la Terre" sera ouverte par Yoann Moreau avec un exposé de 10 minutes destiné à rappeler, au moyen du test de Rorschach, l'essence de la relation des espèces vivantes et des sociétés humaines à l'étendue terrestre : un interprétant (I) interprète la Terre (le sujet logique S) en tant qu'un certain monde (le prédicat P) ; soit la triade prédicative S-I-P ("S est P pour I") qui représente un milieu, l'ensemble des milieux vivants formant la biosphère, et l'ensemble des milieux humains l'écoumène.
Extrait : "Le test psychologique proposé par Hermann Rorschach (1884-1922)opère en proposant à l'interprétant d'énoncer ce que lui évoque une tache fabriquée par pliage d'une feuille contenant une encre liquide. Puisque l'on ne peut prétendre avoir voulu représenter quelque chose de spécifique au moyen de cette technique, toute évocation est plausible et aucune ne peut revendiquer d'énoncer l'absolue réalité de ce qui est représenté. Le sujet soumis au test énonce donc une réalité relative, qui dépend de sa posture même d'interprétant : il lit une tache en tant que (quelque chose), faisant chose de ce qui - a priori - n'a ni fonction, ni figure. Ce type de prédication, qui donne prise sur des formes floues - qu'il s'agisse d'une tache d'encre, d'un nuage, d'un marc de café ou des viscères d'un poulet - illustre l'un des mouvements existentiels qui tendent à "faire monde" (Umwelt) de tout ce qui environne (Umgebung) un certain être, qu'il soit individuel (un organisme, une personne...) ou collectif (une espèce, une société, l'humanité...). "
Test de Rorschach, planche 1 |
Puis Augustin Berque abordera le thème principal de la séance : "Mésologie et poétique de la Terre" : On commencera par la question du sujet, en montrant que l’exaltation du sujet individuel moderne a entraîné une décosmisation qui à terme est mortelle, car aucun être ne peut vivre sans un monde commun (kosmos). Nous devons donc recosmiser notre existence. Puis on montrera que l’arrêt sur objet propre à la modernité aboutit à dépouiller les choses de leur sens, faisant notamment du langage une aporie. Nous avons à remettre les mots et les choses dans le fil de leur histoire commune (leur croître-ensemble : concrescence), c’est-à-dire à les reconcrétiser. On montrera enfin que réembrayer la nature et la culture passe nécessairement par la question du rapport entre histoire et subjectivité, ce à tous les degrés de l’être, allant, par l’évolution, de la vie la plus primitive jusqu’à la conscience la plus humaine, dans une poétique (une poïétique) de la Terre.
Recosmiser, reconcrétiser, réembrayer : devant ces trois urgences, la pensée occidentale est aujourd’hui plombée par ce qui hier a fait sa force : la structure mère sujet-verbe-complément, qui à partir de la langue a orienté notre logique (avec le modèle sujet-prédicat), notre métaphysique (avec l’identité de l’être) et de là notre science (avec l’en-soi de l’objet), toutes fondées sur le double principe d’identité et de tiers exclu, c’est-à-dire sur la forclusion du symbolique. Des exemples tels que la langue japonaise, dont la structure mère était d’un autre genre, ou que le tétralemme développé par les penseurs indiens, qui inclut systématiquement le tiers, nous montrent la voie : dépasser les apories de la modernité ne se fera pas sans l’appoint, logique et ontologique à la fois, des grandes civilisations de l’Asie.
On ambitionne ainsi de faire mentir le fameux adage de Kipling, Oh, East is East, and West is West, and never the twain shall meet.
Argument général du séminaire 2013-2014
Mésologiques: philosophie des milieux
Augustin Berque, directeur d'études*
Luciano Boi, maître de conférences
Mésologie, Umweltlehre, fûdoron : racines épistémologiques et débats actuels
Les 2e et 4e vendredis du mois de 18h à 20h (salle Lombard, 96 bd Raspail 75006 Paris).
La question des milieux est entendue comme la spécificité du rapport que le vivant en général, ou l’humain en particulier, entretient avec son environnement. Le milieu, ce n’est pas l’environnement ; c’est la réalité de son environnement pour une certaine espèce ou une certaine culture, c’est-à-dire un certain environnement, spécifiquement approprié à/par cette espèce ou cette culture. Ce n’est pas le donné environnemental universel que, par abstraction, peut saisir la science ; c’est ce qui existe concrètement dans le monde propre à telle ou telle espèce, telle ou telle culture. Ainsi le milieu n’est ni donné, ni universel ; sa réalité singulière ne cesse de se construire, au fil contingent de l’évolution et de l’histoire, dans le rapport dynamique et réciproque d’une espèce ou d’une culture avec son environnement spécifique. Cette distinction entre milieu et environnement était déjà révolutionnaire lorsque, sous l’influence de la phénoménologie, elle apparut en biologie dans l'Umweltlehre d’Uexküll (1864-1944) et en philosophie dans le fûdoron de Watsuji (1889-1960). Elle acquiert aujourd’hui une portée nouvelle avec le bouleversement que l’épigénétique a introduit dans la question de l’évolution. De la biologie moléculaire à la crise écologique du monde actuel, du quantique à l’histoire et à la géographie, de la médecine à l'œuvre d'art et à l'architecture, le déploiement de la perspective mésologique remet en cause les fondements ontologiques et logiques de la civilisation moderne.
Liste des exposés prévus en 2013-2014 :
- 8 novembre : Augustin BERQUE "Mésologie et poétique de la Terre"
- 22 novembre : Claude PLOUVIET "Logique du tiers inclus: vision mésologique transdisciplinaire"
- 13 décembre : Didier ROUSSEAU-NAVARRE "Art et mésologie" (exceptionnellement dans l'amphi du 105 bd Raspail)
- 10 janvier : Louis MAITRIER, "De la mésologie au projet d'architecture"
- 24 janvier : Claude CALAME "Prométhée généticien? Pour dépasser l'opposition 'nature/culture', une perspective anthropopoïétique"
- 14 février : Daniel EJNES, Emmanuelle LADET "Handicap neurologique: une mésologie clinique?"
- 28 février : KURATA Takashi "Mesological life in 1928"
- 14 mars : Patricia MARMIGNON "Milieu urbain et socialité nippone"
- 28 mars : Mathieu ARMINJON "Milieu et neurosciences cognitives"
- 11 avril : Marie-Pierre LASSUS "Mésologie, musique et musique des sens"
- 9 mai : Sarah BORTOLAMIOL "Milieu chimpanzé,milieu humain à Sebitoli (Ouganda)"
- 23 mai : Francine ADAM "La médiation toponymique"
- 13 juin : Luciano BOI "Sur la symbiose biologique, ou des relations entre vivants et milieux”.