mardi 11 mars 2014

Prométhée généticien / C. Calame

Prométhée G. Moreau
Prométhée, G. Moreau (1868)

 Prométhée généticien ?

Pour dépasser l'opposition 'nature/culture', une perspective anthropopoiétique

Claude Calame (EHESS, Paris)

La distinction en contraste entre nature et culture a en quelque sorte été canonisée par la pensée structurale des années 70 du siècle dernier. Elle tire apparemment son origine de la réflexion universalisante des Lumières européennes sur les sociétés des hommes ; et cela de deux points de vue.
            D’une part, objectivée, une « nature » est posée face à la raison de l’être humain ; une raison qui se définit en son autonomie, affranchie qu’elle est désormais du pouvoir divin et des instances surnaturelles. La nature devient une nature-objet sur laquelle l’homme raisonnable peut agir et dont il pourra exploiter les ressources ; selon l’une des définitions proposées par d’Alembert dans l’Encyclopédie (Paris 1751-1765/1772), la nature c’est « l'ordre et le cours naturel des choses, la suite des causes secondes, ou les lois du mouvement que Dieu a établies » (c’est-à-dire la  nature physique, soumise aux lois formulées par Newton). 


Note de l'auteur : version provisoire : ne pas citer (toutes propositions d’amendements sont bienvenues).

D’autre part, l’opposition entre la nature et la culture des hommes va orienter une vision anthropologique du développement de l’être humain, dans sa phylogénèse comme dans son ontogénèse : de la nature à la culture, et de manière corollaire de l’animal à l’humain pour marquer autant la transition du primitif au civilisé que le passage de l’imperfection de l’enfance à la maturité de l’âge adulte. Dans cette perspective anthropologique qui se situe à la croisée entre l’anthropologie comme science de l’homme et l’anthropologie comme savoir sur les sociétés humaines, la nature correspond moins à l’environnement mondain de l’homme qu’à la dimension animale et biologique, constitutive de l’espèce humaine en général.
            La distinction ainsi tracée entre nature et culture n’a pas manqué d’être intégrée dans la sémantique des contraires organisée par l’opposition d’inspiration structurale. Celle-ci consacre une séparation entre deux ordres qui, en fait, vont s’avérer largement perméables. Artisans d’une opposition binaire souvent naturalisée,  les anthropologues structuralistes ont été à vrai dire les premiers à en relativiser la portée : « Sans doute la discontinuité entre les deux règnes (scil. : de la nature et de la culture) est-elle universellement reconnue, et il n’est pas de société, si humble soit-elle, qui n’accorde une valeur éminente aux arts de la civilisation par la découverte et l’usage desquels l’humanité se sépare de l’animalité. Cependant chez les peuples dits “primitifs“, la notion de nature offre toujours un caractère ambigu : la nature est pré-culture et elle est aussi sous-culture ; mais elle est surtout (comme “surnature“) le terrain sur lequel l’homme peut espérer entrer en contact avec les ancêtres, les esprits et les dieux » (Lévi-Strauss, 1973 : 374).
            De là le parcours sémantique proposé ici dans une démarche d’anthropologie historique critique : on partira de la nature telle qu’elle est conçue en relation avec la culture des hommes dans la pensée de l’écart qu’offre l’Antiquité grecque pour adopter la perspective oblique à laquelle nous engage à cet égard l’épistémologie implicite du génie génétique, revisitée dans la confrontation critique avec la culture antique[1]. En effet une approche anthropologique des manifestations de la culture gréco-romaine implique non seulement une attention aux catégories propres, dans leurs définitions et leurs contextes indigènes ; mais elle implique aussi un retour critique, par le regard oblique qu'induit toute démarche anthropologique, sur nos propres concepts.

1. En Grèce ancienne : l’homme et son milieu
            Quelles que soient les controverses et les malentendus entraînés par sa sémantique, le terme phúsis renvoie en Grèce classique à l’idée du développement, de la formation d’un être à partir de celles de l’« accomplissement comme devenir » et du « procès comme réalisation objective ». À partir de phúein/phúesthai qui signifie « engendrer », « naître », « croître » et « devenir » ; sans doute le sens étymologique du terme fonde-t-il, de manière générale, ses différents emplois. Quoi qu’il en soit, les « physiciens » ou « physiologues » préplatoniciens, en rédigeant souvent en vers des Perì phúseos, ont tenté de décrire en termes matérialistes les différents processus d’engendrement et de développement du monde et de ses composants[2]. Mais du cosmos, cette perspective causale qui s’abstient de faire intervenir toute force divine se porte aussi sur les processus de développement de l’homme.
                       Je vais te dire autre chose encore. Pour aucun parmi les êtres mortels
                       il n’y a de naissance (phúsis), ni de terme à la mort destructrice,
                       mais uniquement un mélange et un échange d’éléments mélangés ;
                       ce sont les hommes qui dénomment cela « nature »  (phúsis).
Tels sont les vers récités en diction épique par Empédocle (fr. 22 B 8 Diels-Kranz), dans le premier livre d’un poème didactique dénommé plus tard Phusiká[3]. Naissance et mort, et par conséquent phúsis au sens de ce qui nous semble « naturel », ne sont que les apparences d’un processus physique de changement par associations et dissociations successives. C’est ainsi que le médecin hippocratique qui consacre à la « maladie sacrée »  qu’est l’épilepsie un traité fameux peut l’affirmer d’emblée : cette maladie n’a rien de plus divin ni de plus sacré que les autres maladies. De même que toutes les autres maladies ont une origine (phúsis) de laquelle elles proviennent, la « maladie sacrée » a elle-même une « nature » (phúsis) et une « cause » (próphasis ; Hippocrate, Maladie sacrée 1, 1) – c’est-à-dire, probablement, un principe de croissance interne et une cause externe, « déclenchante ».
            Le processus dynamique de développement impliqué par la notion de phúsis est donc reporté du cosmos sur l’homme. Or l’idée d’une nature dynamique de l’humain s’insère dans une anthropologie en tant que conception du genre humain, et les Grecs, implicitement ou explicitement, n’ont pas manqué de se demander ce qui fait que l’homme est homme – un homme marqué par la mortalité puisque c’est ce qui dans le régime polythéiste grec distingue l’être humain de la divinité.

1.1. Définitions de l’humain et définitions de la culture
            Anthropos au singulier ou ánthropoi au pluriel, les êtres humains sont englobés en Grèce ancienne dans une catégorie indigène ; cela dès la poésie homérique où le genre humain se définit précisément par la mortalité, en contraste avec l’immortalité des dieux. Citons encore une fois les mots iliadiques d’Apollon retenant Diomède dans ses tentatives d’abattre Énée : « Prends garde, fils de Tydée, recule ! Ne nourris pas des intentions égales à celles des dieux ! Jamais la race (phûlon) des dieux immortels et la race des hommes qui marchent sur le sol ne seront égales » (Homère, Iliade 1, 272). « Race » ou plutôt « genre », tant il est vrai qu’étymologiquement il y a entre les immortels et les mortels une différence de l’ordre du phúein : les uns et les autres disposent de leur propre processus de développement vital. Par ailleurs, incluant les hommes (ándres) et les femmes (gunaîkes), les ánthropoi sont aussi, dès la poésie homérique, des brotoí, mortels qui se distinguent des immortels que sont les ámbrotoi, (p. ex. Iliade 22, 8-9 et Odyssée 1, 31-32),  d’un mot formé sur la même racine que le mortuus latin.
            Quant à l’Odyssée, c’est en particulier en contraste avec la divinité qu’Ulysse tente d’identifier les différents êtres, de sexe masculin ou féminin, auxquels le confronte ses errances dans la Méditerranée occidentale. Sans véritable orientation par rapport à la Grèce du monde homérique, cet espace géographique correspond largement à une anthropologie de conte et de fiction. Sur son île flottante, Éole, cher aux immortels, vit comme un dieu alors que dans une première approche de Circé, le compagnon d’Ulysse envoyé en éclaireur se demande s’il s’agit d’une déesse ou d’une mortelle ; ses pouvoirs de séduction et de ruse magicienne situeront la belle femme du côté du divin (Odyssée 10, 1-12 et 10, 226-228). En complément avec le pôle de la divinité cette définition en creux de l’humanité à travers la narration d’Ulysse prend forme en contraste avec le pôle de la monstruosité (davantage que celui l’animalité). Les puissants Lestrygons ressemblent davantage aux Géants qu’à des hommes (ándres Odyssée 10, 118-120). Les Cyclopes sont aussi parents des Géants. D’emblée ces êtres monstrueux sont présentés comme des êtres violents, ne reconnaissant ni lois, ni dieux ; vivant isolés les uns des autres, ils ne connaissent ni assemblées, ni vie sociale et politique ; pas de pratiques cultuelles chez les Cyclopes ; pas non plus d’agriculture, sinon du blé et de la vigne qui poussent spontanément, comme à l’âge d’or ; pas davantage de navigation, et par conséquent ni artisanat, ni commerce. Certes, berger sachant soigner ses brebis et buveur de lait, Polyphème se comporte néanmoins comme un sauvage en absorbant du vin non mélangé avant d’avaler, en anthropophage, deux des compagnons d’Ulysse. Acte d’húbris complémentaire que mainte figure de la saga héroïque aura à payer de sa vie, Polyphème reconnaît l’autorité d’un seul dieu, le violent Poséidon. Comparé à un pic boisé se dressant seul au milieu des montagnes, Polyphème n’a rien de l’homme « mangeur de pain »  et de sa sociabilité (Homère, Odyssée 9, 105-135 et 187-192)[4]. De même dans le premier contact avec les Lôtophages qui consomment la fleur d’oubli ou dans l’approche anthropologique des Lestrygons anthropophages, la question est de savoir s’il s’agit d’hommes « mangeurs de pain » (Odyssée  9, 82-97 et 10, 100-117).
            C’est donc bien par le régime alimentaire que l’homme se distingue d’autres êtres vivants appartenant au supra- ou à l’infra-humain, proche de l’animal, dans des environnements sociaux et écologiques correspondant à leurs qualités. Du labourage à la cuisson alimentaire, ce sont toutes les pratiques qu’implique la fabrication du pain qui définissent l’homme mortel comme être civilisé. Au partage du vin dûment mélangé dans le symposion rituel en général sous l’égide de Dionysos, au partage des viandes à l’issue l’acte sacrificiel qui rétablit sur le mode rituel la communication des hommes mortels avec les immortels, s’ajoute donc tout le processus de la production agricole du blé, de la cuisson du pain et de la consommation conviviale de galettes qui intervient aussi dans les pratiques cultuelles[5]. Symbole de l’action civilisatrice de Déméter, l’alimentation culturelle implique non seulement la survie matérielle rendue nécessaire par la mortalité, mais aussi l’action socialisée par la communication des hommes avec les hommes et avec les dieux et dans un environnement marqué par ces pratiques de survie civilisée.

1.2. Phusis, nomos et environnement
            La phúsis se définira-t-elle dès lors comme « nature  » dans le contraste, cher aux sophistes, avec nómos, la loi ? phúsis comme « nature des choses » par le contraste avec le nómos en tant que « coutume », « règle », instituée et partagée par les hommes ? Vient à l’esprit le fameux aphorisme de l’atomiste matérialiste Démocrite, cité par Galien à propos des impressions des sens : « Par convention (nómoi) la couleur, par convention le doux, par convention le piquant ; de fait, des atomes et du vide » (fr. 68 B 126 Diels-Kranz). En grec, eteêi, et non pas phúsei ; c’est-à-dire « en réalité » (d’une forme qui dès la poésie homérique désigne ce qui est ») et non pas « par nature », dans une opposition souvent travaillée entre les apparences et la réalité.  Si les sophistes de plaisent à opposer nómos à phúsis, c’est uniquement dans le domaine de l’humain et de manière en général complémentaire.
            Sans doute est-ce au sophiste Hippias tel que le conçoit et le met en scène Platon dans le Protagoras que l’on doit l’usage le plus marqué des deux concepts de nómos et de phúsis en opposition. Dans une tentative de réconciliation entre Protagoras et Socrate quant au caractère enseignable ou non de la vertu (c’est le thème du dialogue), le philosophe d’Élée affirme fortement l’amitié et l’identité citoyenne qui associe les participants à l’entretien : ils peuvent se considérer comme des parents, comme appartenant à un même génos ; ce sont des suggeneîs, par « nature » (phúsei) et non par un effet de convention, de règle (nómoi). « En effet », ajoute l’Hippias de Platon, « par “nature“ le semblable est parent du semblable, alors que la “loi“, tyran des hommes, engendre beaucoup de violences, contre “nature“ » (Platon, Protagoras 337cd). Tandis que phúsis se réfère ici certainement au processus de formation des sages assemblés autour de Socrate dans ce prytanée du savoir qu’est Athènes, l’idée du pouvoir tyrannique attribué au nómos fait écho au fameux fragment poétique de Pindare sur la « loi souveraine » (fr. 169a Maehler). Le nómos basileús est cette coutume royale qui domine les mortels aussi bien que les immortels et qui heurte la justice par la violence comme le démontrent certains parmi les travaux d’Héraclès. C’est dans le sens d’un usage souverain d’ordre culturel qu’Hérodote interprète le nómos quand, par le biais de Darius, il oppose les coutumes funéraires des Indiens qui mangent les cadavres de leur pères décédés à celles des Grecs qui les brûlent (3, 38, 4). La conclusion à tirer de ce décentrement de la symétrie anthropologique c’est que chaque peuple peut rejeter avec horreur les coutumes instituées par d’autres. Mais de phúsis, il n’est plus question.
            Revenons donc à la nature humaine. S’interroger sur la phúsis comme le fait Empédocle c’est en effet, selon l’auteur hippocratique de l’Ancienne médecine (20, 1-3), s’interroger sur l’être humain. Nulle mieux que la technique médicale est à même de répondre par l’enquête à la question « qu’est-ce que l’homme ? ». Dans cette conception hippocratique de la nature humaine, l’homme se définit autant par l’origine de son advenir que par sa constitution (le texte parle de « coagulation »). La bonne constitution humaine repose sur la coction équilibrée et le juste mélange des humeurs et des qualités fondamentales (sec/humide, froid/chaud). À cet égard essentiel est le régime alimentaire ; c’est l’alimentation qui détermine la communication et l’interaction entre le système organique interne de l’homme et l’environnement. Dans une représentation anthropologique à proprement parler « anthropopolétique », valable pour tout être humain sans considération de son statut de sexe ou de son statut social, la nature constitutive de l’homme se trouve donc en relation interactive et contrainte avec le monde environnant.
            Consacré aux airs, aux eaux et aux lieux, un autre traité hippocratique contemporain s’interroge explicitement sur les relations entre la constitution physiologique de l’homme et les qualités correspondantes de l’environnement. Or non seulement les variations dans  le mélange organique constitutif de la nature humaine ont un impact sur la morphologie et sur les dispositions morales des êtres humains ; mais morphologies et caractères des hommes varient suivant l’exposition aux vents et suivant la qualité des eaux propres aux cités qu’ils habitent. Ainsi, de manière générale, si les Européens présentent dans leur taille et dans leur morphologie des différences plus marquées que les Asiatiques, c’est dans la mesure où ils sont soumis à un régime de saisons plus contrastées dans un environnement montagneux plus âpre (Hippocrate Airs, eaux, lieux 12-13) . Les altérations étant plus fréquentes au moment de la coagulation du sperme dans la formation de l’embryon, les uns se caractérisent par sauvagerie, fougue, indépendance et courage belliqueux ; les autres par douceur, indolence, soumission et lâcheté. À partir d’une constitution universellement partagée, cette conception climatique de la nature humaine conduit à une série de différenciations d’ordre ethnique et culturel.
            Or qui dit relations entre physiologie et dispositions morales et culturelles dit possibilité d’interaction entre phúsis et nómos. Ainsi en va-t-il des Macrocéphales dont la morphologie crânienne remonte à la coutume culturelle de façonner la tête des enfants par des bandes. Mais avec le temps, le nómos s’est inscrit dans la « nature » (en phúsei) et n’a plus exercé sa contrainte (Airs, eaux, lieux 14, 1-5) ; avec, pour effet secondaire, d’affaiblir la morphologie du crâne caractéristique des Têtes Allongées ! Ainsi régime alimentaire individuel et coutumes culturelles partagées interviennent de manière secondaire dans la définition d’une nature humaine qui se diversifie sous l’influence du climat, dans l’interaction entre l’organique et le moral, le physique et le psychique. Les communautés ethniques et culturelles composant le genre humain se définissent dans cette interaction entre un environnement physique et une physiologie humaine perméables parce qu’elles sont fondées sur les mêmes qualités[6].
            D’un côté donc la nature humaine conçue comme physiologie, morphologie et caractère en devenir, de l’autre un environnement comme espace terrestre (gé et khóra), comme milieu dont les qualités climatiques sont celles qui fondent aussi la physiologie de l’homme. Non pas nature et culture, mais une phúsis dynamique et différenciée qui est aussi bien celle du monde environnant que celle de l’homme  qui en tire les ressources de son bíos, de sa survie civilisée comme mortel. Loin de correspondre au partage moderne entre nature et culture, la collaboration parfois contrastée entre phúsis et nómos revient en somme à la distinction entre l’inné et l’acquis : d’une part ce qui est donné par une nature animée par un principe de génération et de développement (dans une écologie donnée) ; d’autre part ce qui est admis et par conséquent pratiqué par les communautés des hommes, en particulier par l’effet de l’éducation. Significatif est de ce point de vue un fragment, récemment complété, du traité Sur la vérité rédigé par le rhéteur et sophiste Antiphon : « Nous comprenons et nous respections (les coutumes) de nos voisins, mais pas celles de ceux qui habitent au loin. En ceci nous nous faisons les barbares les uns des autres, car par nature (phúsei) nous avons été engendrés (pephúkamen) pour être aussi bien barbares que grecs »[7].

1.3. Formes d’intelligence pratique et interprétative
            Mais au-delà de cette conception physiologique et morale de l’homme mortel appréhendé dans la composition humorale et qualitative de son organisme en relation avec son environnement géo-terrestre et climatique, les penseurs de la phúsis qui ont précédé Socrate n’ont pas manqué de tenter de définir ce qui fait la spécificité de l’humain[8]. Dans le traité qu’il consacre aux parties des animaux, Aristote s’interroge sur la relation entre l’intelligence caractérisant l’homme et l’usage des mains comme instrument.  À ce propos Aristote cite Anaxagore de Clazomène ; pour ce contemporain des sophistes dans l’Athènes de Périclès, ce sont les mains qui font de l’être humain le plus intelligent (phronimótatos) de animaux. Et d’ajouter que c’est en fait  l’intelligence de l’homme qui lui permet l’usage de ses mains et que « c’est donc à l’être susceptible de recevoir les arts techniques (tékhnai) les plus nombreux que la nature (he phúsis) a donné la main, de loin le plus utile des outils » (Anaxagore fr. 59 A 102 Diels-Kranz, cité par Aristote, Parties des animaux 10, 687a 6-23)[9]. Qui dit mains pour l’être humain dit donc unórganon pensé à la fois comme organe et comme instrument, et qui dit órganon dit par conséquent techniques instrumentales. On va y revenir.
            De plus nous savons par Aristote également que le même Anaxagore définissait l’intelligence pratique qui caractérise l’homme en termes de phroneîn, c’est-à dire en tant que réflexion prudente fondée sur sentiment juste et  présence d’esprit. Quant à son contemporain Alcméon de Crotone identifiait l’être humain par la compréhension : au contraire des autres êtres animés qui perçoivent sans comprendre, l’homme « saisit » (xuníesi ; fr. 24 A 5 et B 1 a Diels-Kranz, dans des fragments cités par Théophraste, Des sens 25-26)[10]. L’homme se distinguerait donc des animaux par cette forme d’intelligence pratique qu’est la súnesis. Pour l’historiographe contemporain Thucydide, cette forme d’intelligence distingue les grands hommes politiques athéniens, tels Thémistocle ou Périclès, ou encore le héros tutélaire d’Athènes, Thésée.
            Lui-même animal, l’homme se distingue donc des autres êtres vivants à la fois par une intelligence technique s’exerçant à l’aide d’un organe tel que la main et de différentes « techniques », et par une intelligence politique d’ordre à la fois moral et social. C’est la combinaison de ces deux types d’intelligence pratique qui permet la vie en société caractérisant ce que nous appellerions la civilisation des hommes mortels, la culture. Attribuant aux hommes un phroneîn compris comme attitude et jugement à la fois prudents et sages, Héraclite affirme que « il a été donné à tous les hommes de se connaître soi-même et de penser sagement (sophroneîn) » (fr. 22 B 113 et 116 Diels-Kranz). Dans la sagesse delphique c’est ce sophroneîn comme sage modération qui permet à l’homme mortel, avec la connaissance de soi-même, de ne point dépasser les limites assignées à sa condition de mortel. C’est pourquoi, ajoute Héraclite, « la sage modération est la plus grande des vertus et la sagesse (sophíe) revient à dire la vérité et à agir selon la nature (katà phúsin) en étant à son écoute » (fr. 22 B 112 Diels-Kranz)[11]. La culture des hommes mortels, de manière universelle, est à l’écoute de la nature…
            Or cette conception philosophique de l’homme en tant qu’animal civilisé est non seulement fondée sur le partage universel de qualités intellectuelles permettant d’une part des actes techniques producteurs et d’autre part des relations sociales équilibrées ; mais cet « humanisme » culturel est aussi basé sur une intelligibilité partagée du monde environnant par l’intermédiaire d’arts interprétatifs dans la lecture de signes. Pour revenir à un traité hippocratique, c’est par exemple un principe herméneutique de sémiotique qui fonde le pronostic médical : « Il faut savoir à propos des marques de preuve (tekméria) et des indices (semeîa) qu’en toute région et chaque année, les mauvais signes indiquent quelque chose de mauvais et les bons un bien ; en effet les indices énumérés disent la vérité en Libye, à Délos, en Scythie » (Prognosticon 25). Notons que du point de vue géographique, cette définition de l’extension spatiale de l’art sémiotique à la grecque est significative du caractère ambivalent de son universalité : la validité universelle de l’interprétation médicale des symptômes s’inscrit dans une représentation du monde habité qui, des régions extrêmes du sud libyen et du septentrion scythe, est focalisée sur Délos, le centre religieux et économique d’une mer Égée dominée à l’époque classique par les Athéniens[12]. Étant donné le caractère universel de la physiologie de l’être humain, la « nature » (phúsis)  des maladies se prête à une lecture d’ordre sémiotique, ici indépendamment des variations géo-terrestres et climatiques.

1.4. Prométhée et les pratiques sémiotiques
            C’est ici qu’interviennent les tékhnai telles que les transmet aux hommes mortels le Prométhée mis en scène par Eschyle, un peu avant la diffusion des premiers traités hippocratiques. Enchaîné à un rocher dans une région déserte et sauvage aux confins septentrionaux du monde habité, Prométhée décrit dans un scène fameuse l’état animal auquel les mortels étaient à l’origine condamnés. Vivant sous terre comme des fourmis les humains regardaient sans voir, ils écoutaient sans entendre. Pour les tirer d’un état premier où les humains sont incapables d’utiliser leur sens, le héros civilisateur invente et leur enseigne une série de savoirs et d’arts pratiques : les levers et les couchers des astres pour l’organisation des travaux des champs ; des arts mnémotechniques tels l’arithmétique et l’écriture « mémoire de toutes choses » ; les techniques de la domestication des animaux pour l’agriculture et le commerce ; les nombreuses recettes de médicaments pour se libérer des maladies ; les différents arts de la divination parmi lesquels l’interprétation des songes nocturnes, une herméneutique des paroles à double sens, la lecture du vol et des mœurs des oiseaux, le repérage des présages inscrits dans la disposition des viscères des animaux sacrifiés ; et avant tout le feu, ce maître de « techniques (tékhnai) nombreuses », nécessaire notamment pour exploiter par l’artisanat les ressources sidérurgiques de la terre (Prométhée enchaîné 436-506 et 248-256)[13].
            Savoir-faire d’ordre technique, ces tékhnai sont tour à tour présentées par Prométhée comme des artifices (sophísmata), comme des moyens ingénieux (mechanémata) et comme des expédients (póroi) permettant à tous les hommes de se tirer d’une situation d’embarras et d’impasse. Non seulement tous ces savoirs techniques relèvent de cette intelligence artisane dont le dieu forgeron Héphaïstos et l’astucieuse Athéna sont les maîtres à Athènes[14] ; mais surtout ces savoirs correspondent tous à des lectures de systèmes de signes. D’ordre sémiotique ces arts pratiques présupposent donc que l’environnement de l’être humain constitue un système de signes. La phúsis est à déchiffrer par des arts de l’interprétation qui débouchent soit sur des pratiques permettant d’assurer la survie, soit sur la prévision d’un avenir dont l’orientation ne dépend pas des humains. Ainsi les techniques sémiotiques et herméneutiques du Prométhée mis en scène par Eschyle permettent à l’homme d’assurer sa survie  dans un environnement signifiant tout en connaissant les limites d’une condition de mortel aléatoire, marquée par de nombreux renversements de fortune. Présentées comme ophelémata (« avantages » et sources de profit) et fondées sur la lecture d’une « nature » à interpréter comme un système de signes, les techniques prométhéennes se caractérisent par leur utilité sociale ; fondées sur les astuces du déchiffrement prévoyant et de l’intelligence artisane, elles rendent possible la vie civilisée des mortels. En reformulant et en réorientant cet épisode de la légende héroïque de Prométhée dans le Protagoras, Platon explicite dans son récit cette dimension de l’utilité sociale des pratiques techniques ;  il en fait la politikè tékhne, art politique et justice civique, pour en attribuer à Zeus  le don aux hommes mortels[15].
            Ainsi les savoir-faire interprétatifs inventés et enseignés par le Prométhée d’Eschyle permettent aux hommes d’utiliser leurs capacités sensorielles vis-à-vis de leur environnement ; grâce à leurs sens doublés d’une intelligence pratique les êtres humains peuvent en faire un monde signifiant. Enchaîné au rocher situé aux confins septentrionaux de la terre habitée, mais représenté sur la scène attique face au public athénien, Prométhée s’exprime face au pouvoir dominateur de  Zeus un peu comme un sophiste avant la lettre ; il offre aux hommes mortels des pratiques herméneutiques telles que seuls pouvaient les concevoir ces maîtres de l’interprétation des oracles et des récits à double sens que sont les Athéniens du Ve siècle[16]. En tirant le genre humain d’un état premier d’aveuglement (et par conséquent d’incomplétude) pour lui accorder une clairvoyance à visée interprétative, ces différents arts techniques font accéder l’homme à un état de civilisation spécifiquement humaine. La culture des hommes mortels les porte à interagir avec une « nature » qui, signifiante, se laisse modeler par l’intelligence pratique et technique dans le sens du profit social.

2. Des Lumières aux anthropologues en passant par les romantiques
            Mais revenons à l’opposition européenne entre nature et culture telle qu’elle a été consacrée à partir des réflexions des Lumières : une nature soumise aux lois physiques et une culture animée par la raison, universellement partagée, de l’homme. Dans le passage cité de Lévi-Strauss lui-même (1973 : 374), le contraste entre nature et culture glisse dans une opposition entre « humanité » et « animalité », entre nature humaine et nature animale. En cela, l’anthropologue fondateur du structuralisme se montre une fois encore héritier des Lumières.
            Sans doute n’est-ce pas un hasard si, en plein XVIIIe siècle, Buffon est amené à reposer la question des relations entre l’homme et la nature non seulement en des termes qui rappellent la pensée hippocratique, mais aussi en opposant fortement l’homme à l’animal. Les quinze tomes de L’histoire naturelle, générale et particulière (Paris, 1749-1778 ) sont le résultat d’une longue entreprise de classification des espèces animales désormais révélées à la connaissance des Européens par leurs voyages et conquêtes sur les cinq continents. Au sommet de cette vaste taxinomie animale se trouve l’espèce humaine. Parmi les êtres vivants, seul l’être humain dispose d’une âme immatérielle ; elle est le siège de la pensée que l’homme est seul capable de communiquer par la parole. Contre ceux qui prétendent que par différenciations successives l’homme descendrait du singe, « en voilà plus qu’il n’en faut pour nous démonter l’excellence de notre nature et la distance immense que le Créateur a mise entre l’homme et la bête ; l’homme est un être raisonnable, l’animal est un être sans raison » – telle est la conclusion que Buffon tire des réflexions introductives au tome spécifiquement consacré à l’ « histoire naturelle » de l’homme (Buffon, 1774 : 171).
            La nature de l’homme est donnée comme universelle, et les différentes « races » ne représentent que des variétés de l’espèce humaine. Dans une nature fondamentalement homogène, ces différences s’expliquent par la fixation dans le patrimoine héréditaire de singularités morphologiques qui relèvent pour l’essentiel de l’influence du climat, en ses différents paramètres. En retour, le degré de civilisation qui marque les différents groupes humains dépend de l’action de l’homme sur son milieu naturel. Le climat détermine les variations dans la nature de l’homme. Mais en se multipliant l’être humain, nouveau démiurge, ne se contente pas d’interpréter tels les hommes instruits par Prométhée ; il transforme aussi son environnement en soumettant l’empire de la nature à son habileté technique (réf. Buffon )[17]. Ainsi dans l’interaction entre l’homme et son milieu est déterminante la raison humaine qui non seulement modèle, mais exploite une nature qui se modifie sous son action.

2.1. Premières anthropologies
            Par ailleurs, dès la Renaissance, par le contact colonial avec les communautés de « sauvages » que l’on place d’emblée à l’origine de l’humanité, la réflexion sur la nature de l’homme et sur la diversité des cultures va connaître, précisément au siècle des Lumières, une remarquable extension. Chez les théologiens missionnaires tel le père jésuite Joseph-François Lafitau, l’unité proclamée de l’humanité découle de son origine adamique unique. Dès lors la variété des états de culture est reconduite à un processus d’immigration à partir du lieu de la création par Dieu et à la dégradation progressive d’un sentiment religieux primitif, avant que n’intervienne l’entreprise unificatrice et civilisatrice du christianisme. Mais à l’idée d’une nature humaine créée les Encyclopédistes vont substituer, face à une nature physique soumise aux lois mécanistes du mouvement voulues par Dieu, l’idée d’un animal humain d’emblée doué de pensée et de sociabilité. C’est un homme de parole qui, au centre du monde et à l’écart du projet divin imaginé par Jean-Jacques Rousseau, façonne ce monde à son usage ; c’est un homme civil dont les arts et les sciences sont susceptibles d’imposer l’action civilisatrice de l’homme naturel contre les déviances d’une morale artificielle et dégradée. C’est désormais l’homme qui façonne la nature formant son cadre de vie, son milieu.
De plus, face à la civilisation universelle de l’homme des Lumières,  il appartiendra à Johann Gottfried Herder et aux Romantiques allemands de comprendre la culture à la fois commeBildung  et comme l’expression du génie d’un peuple particulier. D’une part donc la culture est envisagée comme formation qui permet de combler les lacunes d’un homme naturellement dépourvu, d’un homme inachevé, dans sa phylogénèse et dans son ontogénèse, d’un homme marqué par une incomplétude constitutive de la nature humaine ; d’autre part cette même culture est représentée comme l’expression multiforme et différenciée de l’esprit et de l’âme d’un peuple devenu nation[18] : de la Zivilisation des peuples primitifs et marginaux à la Kultur des grands peuples de la religion du livre (cit. )
Dans une brève incursion en retour à la Grèce classique on notera qu’il est apparemment revenu à l’un des premiers de ces sages pré-platoniciens évoqués dans un premier temps d’insister sur le rôle joué par l’éducation dans la fabrication de l’homme en tant qu’être humain. Dans le résumé que nous offre de sa pensées un traité attribué à Plutarque, le vieil Anaximandre de Milet aurait affirmé que « dès le début l’homme s’est distingué des êtres vivants à l’aspect différent dans la mesure où les autres êtres animés ont rapidement une vie autonome alors que les humains requièrent des soins éducatifs de longue durée » (fr. 12 A 10 Diels-Kranz)[19]. À partir de l’idée implicite que l’homme a pour spécificité un manque d’autonomie constitutif,  Anaximandre semble poser les bases de la procédure développée vingt-cinq siècles plus tard par Herder : l’homme n’est rien sans Bildung  et Kultur !
Quoi qu’il en soit d’un rapport qui n’a rien de généalogique, sans doute est-ce sur la dimension spirituelle conférée par Herder aux cultures humaines que se fondera la distinction décisive, tracée dans le cours du XIXe siècle, entre Natur- et Geisteswissenschaften.

2.2. Définitions globales de la culture des hommes
            « Culture ou civilisation, pris dans son sens ethnologique le plus étendu, est ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société », telle est la première définition à proprement parler anthropologique que donne Edward B. Tylor (1871 : 1) de la culture. Cette conception compréhensive englobe tous les aspects de la vie sociale de l’homme, y compris les pratiques que Pierre Bourdieu fera remonter plus tard à l’habitus. Héritière de l’universalisme des Lumières, cette conception se fonde sur l’unité d’un genre humain dont les cultures évoluent du plus primitif au plus développé, du plus « naturel » (die Natuvölker…) au plus « civilisé » dans une ligne assez diversifiée pour impliquer un certain relativisme. Transmissible, la culture comme style structurant de vie en société s’avère être le propre des communautés humaines ; leurs différences ont un fondement non pas biologique, mais de l’ordre de la convention et de l’acquis. Comme ensemble autonome des phénomènes sociaux propres à un peuple, la culture est coupée de la nature. Pour faire très vite, le concept social d’une culture de l’homme impliquant la diversité des cultures des communautés humaines fonde  la réflexion d’Émile Durkheim, puis celle de Marcel Mauss sur l’évolution non linéaire et les différences offertes par les « civilisations » ; obéissant à des formes élémentaires, les cultures sont animées par des « représentations collectives »[20].
            Néanmoins, en postulant l’existence chez l’homme de besoins premiers, universaux et pré-culturels, l’anthropologie fonctionnaliste développée par Bronislaw Malinowski restitue un rôle déterminant à la nature humaine, en relation avec un environnement diversifié. La culture est envisagée par l’ethnologue des Trobriandais comme « cette totalité où entrent les ustensiles et les biens de consommation, la charte organique réglant les divers groupements sociaux, les idées et les arts, les croyances et les coutumes » (Malinowski 1944/1968 : 35). La culture devient ainsi la réponse institutionnelle apportée, par chaque communauté singulière, aux impératifs fonctionnels découlant des exigences biologiques de l’homme dans un certain cadre de vie : réponses culturelles (subsistance, parenté, abri, protection, éducation, hygiène) à des besoins élémentaires (métabolisme, reproduction, sécurité, mouvement, croissance, santé). De même que chez Herder, l’éducation joue un rôle essentiel pour « l’enseignement graduel des aptitudes du savoir, de la coutume et des principes moraux » qui fondent toute culture, dans un processus beaucoup plus étendu que chez les animaux. Dans cette visée pragmatique, la nature de l’homme fait un grand retour en tant que présupposé fonctionnel de toutes les activités de culture d’un groupe humain donné ; elles sont insérées dans un tout organique, formé d’institutions contrôlant pratiques économiques, morales et rituelles, et pourvu d’une sorte d’intentionnalité sociologique.

2.3. Réintégration de la nature et pratiques symboliques
            Or, dès le milieu du XXe siècle, l’anthropologie culturelle et sociale tire son inspiration structuraliste de la réflexion moderne sur le fonctionnement des systèmes linguistiques et des systèmes sémiotiques. On voit dès lors la nature réintégrer le propos de l’anthropologie sur les configurations et les fonctions de la culture. On sait l’influence déterminante qu’a eue à cet égard l’hypothèse de Lévi-Strauss (1947 : 3-13) sur les structures élémentaires de la parenté. Fondant l’essence même de l’humain, la fonction naturelle et universelle de reproduction est chez l’homme l’objet de règles modelantes qui ressortissent à l’ordre, relatif, de la culture ; ces règles peuvent être reconduites à la norme universelle de la prohibition de l’inceste. Par extension, on pourra poser que « tout ce qui est universel chez l’homme relève de l’ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité, que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier» (1967 : 10). Ce retour implicite à l’opposition grecque entre phúsis et nómos ou à la distinction moderne entre l’inné et l’acquis est assorti d’une rupture avec le paradigme évolutionniste d’un passage progressif de la nature à la culture : l’homme ne serait pas homme s’il ne s’affirmait d’emblée dans la culture, dans la transformation réglée et symbolique de sa propre nature. Car, issues de la prohibition de l’inceste, les règles de la parenté fonctionnent comme un système sémiotique de communication qui informe les structures sociales et symboliques de la communauté : la nature comme procréation, la culture comme système de la parenté. La nature des anthropologues structuralistes n’est plus la nature physique des Encyclopédistes (cf. Stoczkowski ).
Le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau est ainsi revisité[21]. Des progrès de l’Esprit et de la Raison vers la civilité à partir d’un état de Nature qui livre l’homme sauvage aux instincts de l’animal on est donc passé à des règles culturelles ; elles sont  inscrites dans la nature même de l’homme, voire dans les structures inconscientes de l’esprit humain. L’homme s’affirme d’emblée dans la culture. À l’écart de toute canonisation structurale de l’opposition entre nature et culture, il s’avère que toute société se fait sa propre représentation d’une culture qui prévaut sur la nature et qui distingue par exemple l’homme de l’animal. Dès lors l’opposition entre nature et culture ne peut valoir qu’en tant que concept opératoire. D’ordre instrumental et donc relatif, le contraste structural permet par exemple de classer les différents modes symboliques selon lesquels les communautés humaines envisagent leurs rapports avec une nature envisagée comme milieu : une nature-milieu  d’emblée perméable au travail pratique et spéculatif de la culture ; une culture qui se réalise dans les systèmes de la communication des femmes, des biens et des messages, qu’ils soient verbaux ou qu’ils soient iconiques, un culture qui se réalise dans la communication practico-symbolique.

3. Au-delà des déterminismes anthropologiques : porosités
            Devenue structurale et centrée sur le symbolique, l’anthropologie sociale et culturelle moderne a focalisé son attention sur les représentations qu’on se fait dans d’autres communautés de l’interaction entre nature et culture ; avec le risque de naturaliser ce qui n’est qu’une opposition opératoire et de projeter ce dualisme de manière « étique » sur les conceptions « émiques ». Tel le système hippocratique, ces anthropologies indigènes intègrent l’homme et son environnement «naturel» dans un système  homogène, traversé par des forces, souvent anthropomorphes, qui animent l’un comme l’autre. Ces conceptions et représentations se caractérisent par la perméabilité d’ordres que la pensée occidentale s’est employée à distinguer : le physique, le biologique, l’animal, l’humain, le divin, etc.

3.1. Rapports symboliques de sexe et rapports éthologiques avec les animaux
            Par ailleurs, de l’anthropologie marxiste à la sociobiologie en passant par l’éthologie animale ou l’écologie culturelle, on a revisité, selon les différents paramètres de la vie des hommes en société, l’ancienne question de l’influence de l’environnement physique, biologique et social sur le comportement culturel de l’homme. Sur la base implicite d’un déterminisme unilatéral, les manifestations de culture sont vues comme des réponses adaptatives : réponses à une écologie géographique et climatique particulière, à des dispositifs biologiques innés caractérisant autant l’espèce humaine que les individus dans leur singularité, à des programmes de comportement d’ordre animal, à des rapports et des systèmes économiques et sociaux particuliers.
            [D’une part, déterminante a été l’étude anthropologique et comparative des identités et des rapports sociaux marqués du point de vue du sexe. La question est de savoir comment les marques physiques relatives aux fonctions biologiques et procréatrices différenciées de la femme et de l’homme sont  transformées en relations institutionnelles et sociales ; hiérarchisées par ce biais, les différences de sexe sont  « culturalisées » dans la mesure où elles sont intégrées à des représentations symboliques faisant un large usage de la métaphore (Héritier, 1996 : ). D’autre part, l’enquête anthropologique dans le domaine de l’éthologie animale n’a pas manqué de dénoncer l’anthropomorphisme qui marque l’attention portée aux comportements des animaux. Trop souvent marquée par un déterminisme d’ordre behaviouriste, la relation entre l’animal et l’homme est repensée sur la base de l’importante plasticité des comportements animaux : certains animaux ont tendance à modifier leurs gestes « rituels » au contact de l’homme (Lestel, 2003 : 387-407). Même en ce qui concerne les animaux, l’enquête anthropologique n’est pas neutre, mais elle s’avère être largement interactive.
            Cette sorte d’humanisation des rapports avec l’animal montre non seulement que la relation entre l’homme, l’animal et la nature ne peut être pensée qu’en termes dialectiques d’interaction, de même que la relation ethnologique entre l’homme et l’homme… Mais, de même que cette dernière, la relation homme – animal – nature est toujours anthropocentrée et, dans cette mesure, asymétrique :  l’interprétation du comportement des sociétés animales en termes culturels est le fait de l’homme. À l’humanisation de l’animal répond donc finalement une animalisation interactive de l’homme de culture[22]. De même que, sur la base de ses propres observations, l’homme construit la société animale, de même se reconstruit-il lui-même à travers l'animal.]

3.2. Porosités biologiques et interactions neuronales entre nature et culture
            Mais au-delà des relations que chaque communauté humaine entretient avec une écologie physique et un environnement animal particuliers, les recherches récentes aussi bien en biologie génétique qu’en sciences neuronales ont à nouveau focalisé l’attention sur la nature de l’homme. Comme dans l’Athènes classique des sophistes est en jeu le développement aussi bien phylogénétique qu’ontogénétique des capacités pratiques et intellectuelles de l’espèce humaine dans la diversité de ses communautés.
            Du point de vue anthropologique, il s’avère que les processus du développement neuronal et donc mental de l’homme dans son histoire collective dépendent autant de dispositifs innés et hérités que des ressources culturelles à disposition, en interaction avec différents écosystèmes. Il n’y a donc pas une nature humaine de base, il n’y a pas de constitution innée de l’homme à l’état pur ; mais il n’y a pas non plus d’en-soi de l’homme pensant, et donc de l’homme de culture (Geertz, 1973 : 55-83). Sans doute est-il vain de se fonder sur l’interaction entre l’homme de culture et son milieu pour appliquer la métaphore du texte à toute culture ;  on passerait ainsi du « livre de la nature » au « livre de la culture »... Il n’en reste pas moins que la nature de l’être humain se fait et se défait dans l’exercice même de ses capacités physiologiques et neuronales (et donc mentales), dans une relation de continuité constructive avec son environnement. À vrai dire, en pensant au rôle joué par métaphore et métonymie dans les classifications culturelles de l’écosystème duquel l’homme tire ses indispensables ressources (dans une relation partagée entre prédation et réciprocité), le dualisme « nature/culture » en perd même sa validité opératoire (Descola in Descola & Pálsson, 1996 : 82-102). La dichotomie entre « nous » et les « autres » risque du reste de connaître le même sort, fondée qu’elle est sur une conception des cultures comme systèmes fermés. Consacrant l’essentialisation de l’ « Autre » par une majuscule, elle a notamment conduit  conduisant à la naturalisation nationaliste et au postulat de « chocs » entre des ensembles cultures et identitaires qui ne se définissent en fait qu’en interaction dialectique et syncrétique avec leurs voisins (cf. Kilani in Galissot, Kilani, Rivera, 2000 : 9-31).
            Au constat philosophique de l’incomplétude de l’homme, on substituera donc l’idée de la plasticité de l’être humain, en tant qu’individu et en tant qu’espèce,  en raison de dispositions génétiques et surtout neuronales aux virtualités particulièrement développées (cf. Boi ). Cette plasticité dans la virtualité impose une constante construction culturelle de l’être humain, dans son identité singulière et dans on identité collective ; une construction créative et collective notamment dans l’ordre sémiotique et esthétique de la manifestation symbolique. Du point de vue génétique, l’indispensable fabrication culturelle de l’individu procède en interaction avec son environnement épigénétique et physiologique d’une part, avec son milieu biophysique de l’autre, dans une relation de continuité, de porosité et de réciprocité complexe qui échappe à tout modèle déterministe. Dans son extrême diversification, ce processus complexe et interactif d’anthropopoiésis (voir Remotti in Affergan et al., 2003 : 17-74) permet de dépasser le dualisme nature/culture. Il invite à penser autant la constitution humaine que son environnement dans les termes d’une porosité et d’une plasticité par lesquelles les dispositions génétiques, les capacités organico-neuronales, les facultés physico-psychiques et intellectuelles de l’être humain ne peuvent se réaliser qu’en relation et en interaction avec l’environnement biophysique et avec le milieu social qu’elles contribuent par ailleurs à façonner et à configurer.

4. Conclusion : « par-delà nature et culture » ?
            Sans doute le caractère nécessaire et constitutif de l’interaction entre l’homme et son milieu exige-t-il le passage d’une conception philosophique à une appréhension anthropopoiétique, et par conséquent anthropologique, de l’être humain. Sans doute une telle perspective sur l’homme et son milieu exige-t-elle l’abandon de la coupure structurale entre nature et culture, devenus des concepts universalisés et réifiés.
            Ne conviendrait-il pas dès lors de revisiter la distinction proposée par le biologiste et philosophe Jakob von Uexküll quant au milieu? Par rapport à la perception et à l’action de l’homme, ne faudrait-il pas distinguer entre la Umgebung, l’environnement comme « donné objectif » et la Umwelt, le milieu comme « monde ambiant » ? Augustin Berque nous rappelle opportunément que la distinction recoupe en partie celle dessinée par le philosophe japonais Watsuji Tetsurô : d’une part le shizen koukyô (kankyô) comme environnement naturel, comme donné environnemental ; d’autre part le fûdo comme milieu humain, en tant que « climat », ambiance, mœurs – une notion à laquelle on peut attribuer une dimension spatiale en lui adjoignant le suffixe -sei qui indique la localité : ensemble des traits naturels et culturels d’une contrée donnée que le géographe français lui-même reprend à son compte par le concept de « médiance »[23]. 
            Mais est-il possible à l’être humain de percevoir un environnement qui serait « naturel », qui serait objectivé en tant que nature ? Autant du point de vue de la théorie de la connaissance et de l’esthétique classiques que dans la perspective des sciences neuronales, la perception par le biais du corps propre implique une représentation de l’objet ; elle implique une construction sensorielle et intellectuelle d’une réalité que nous objectivons comme extérieure pour mieux agir sur elle. Quand Ludwig Wittgenstein distingue entre Vorstellung et Darstellung, c’est pour mieux définir, à côté de la représentation conceptuelle d’ordre cognitif, le mode de la « présentation » qui revient à montrer[24]. Or les procédures de la « monstration » dépendent de notre appareil sensoriel ; avant toute connaissance conceptuelle par le biais de la schématisation, de la catégorisation et de la modélisation abstraite, elles figurent l’objet pour le rendre communicable, pour le partager. Et l’interaction sensorielle se double d’une interaction pratique : l’être humain, par des pratiques d’ordre culturel, tire de son environnement les ressources qui assurent sa survie matérielle avant de promouvoir son développement symbolique en société, comme être de culture. Dans cette double mesure, l’homme modifie de manière interactive son environnement animal, végétal et physique, dans la continuité biochimique dont dépend son identité en tant qu’être humain. « Médiance » sans doute, « trajection » peut-être, entre le sujet et l’objet. Mais comme le remarquait Georges Canguilhem qui  reprend à Uexküll la notion d’Umwelt en tant que milieu de comportement propre à tel organisme : « Du point de vue biologique il fait comprendre qu’entre l’organisme et l’environnement, il y a le même rapport qu’entre les parties et le tout à l’intérieur de l’organisme lui-même. L’individualité du vivant ne cesse pas à ses frontières ectodermiques, pas plus qu’elle ne commence à la cellule (…). Le milieu de comportement propre (Umwelt), pour le vivant, c’est un ensemble d’excitations ayant valeur et signification de signaux » (Canguilhem, 1952/2009 : 184-185). En raison même de l’interaction nécessaire et constitutive entre l’homme et son milieu, la Umgebung ne peut être qu’Umwelt. On inclura dans cette interaction l’appréhension physique et surtout biologique que désormais que nous en avons.
            C’est donc ici que peuvent intervenir Prométhée, les systèmes sémiotiques et les tékhnai. Sans interaction avec son environnement l’être humain n’est qu’une fourmi qui voit sans voir et qui entend sans entendre – déclare le Prométhée mis en scène par Eschyle devant le public athénien du Ve siècle. Seuls les arts techniques dépendant de l’intelligence pratique propre à l’homme lui permettent d’activer ses capacités sensorielles, de déchiffrer dans l’environnement les indices susceptibles d’en faire un ensemble signifiant, d’en tirer ses ressources de vie et les moyens de parer dans une certaine mesure aux aléas et à la finitude de la condition de mortel ; ceci sans dépasser les limites assignées à l’homme au moment de la séparation d’avec le monde des dieux : l’húbris est inscrite dans le destin de Prométhée lui-même ! Est-ce à dire qu’en passant du régime de la phúsis cosmique qui indique et signifie au paradigme du déchiffrement du génome et du génie génétique, ce n’est plus la nature, mais le génome de l’animal et de l’humain qui deviendrait le « livre de la vie » ? 
            Le regard décentré et critique sur la modernité auquel nous invite l’approche anthropologique d’une culture différente, telle la culture de l’Athènes classique, conduit à une réponse négative. J’ai tenté de le démontrer ailleurs : le modèle déterministe du message codé qui sous-tend l’épistémologie du génie génétique ne tient compte ni des facteurs épigénétiques, ni des innombrables paramètres définissant l’environnement matériel et culturel indispensable au développement (phylo- et onto-) génétique de l’être humain. La part génétique de l’humain ne peut être pensée que dans le cadre d’un multidéterminisme aléatoire.
            Ainsi l’appréhension sensorielle et intelligente par les hommes de leur Umwelt entraîne, dans des proportions et à des échéances variables, de profondes modifications dans cet environnement. S’il est vrai que le milieu façonne l’homme qui ne saurait survivre sans ces déterminations matérielles, sociales et culturelles, en retour l’action intelligente et pratique des communautés humaines contribue à modeler cet environnement. L’indispensable interaction entre l’homme et son milieu connaît une historicité plurielle. Avec le développement européen des sciences «  de la nature », avec  l’industrialisation occidentale puis mondiale fondée sur l’idéologie capitaliste et sur le productivisme consumériste qui en découle, avec l’essor de technologies de plus en plus sophistiquées, avec l’informatisation de la communication humaine l’objectivation d’une nature face à la culture des hommes a permis de penser l’une et l’autre en termes de ressources : ressources naturelles et ressources humaines à exploiter dans la visée du rendement économique et du profit mondialisés. L’environnement terrestre et climatique en concomitance avec les communautés humaines subissent les conséquences de plus en plus destructrices d’une anthropologie économiste entièrement anthropocentrée, inspirée qu’elle est par le libéralisme (économique) anglo-saxon ; elle est fondée sur la seule motivation du profit (financier) individuel et de l’accumulation capitaliste, avec la priorité donnée à la marchandisation, au rendement, à la compétitivité et à la productivité.
            En dépit des profits que l’on compte en tirer, les sciences du vivant seraient susceptibles  d’inverser le mouvement. Elles font la démonstration que c’est le milieu (interne et externe) qui modèle l’homme avec son corps propre et son identité individuelle, et l’anthropologie culturelle tente de penser en termes d’interaction ce façonnement complexe, à partir d’une plasticité neuronale exceptionnelle. Une anthropologie anthropopoiétique ajoutera que le nécessaire modelage de l’homme, dans son individualité  biologique et neuronale, par son environnement matériel et social, lui permet précisément, en retour, d’agir sur ce milieu. Ce double mouvement implique sans doute une nouvelle théorie de la connaissance, non kantienne : se connaître c’est connaître son environnement physiologique et culturel, et connaître le monde extérieur c’est le modifier tout en nous modifiant nous-mêmes (pas de structures a priori de la perception) – tant l’être humain, dans sa constitution biologique et neuronale est sensible et perméable au milieu physique, biochimique, social et culturel qui soutient son existence et tant le milieu est constamment refaçonné par les pratiques de l’homme suivant la connaissance qu’il en a et les représentations qu’il s’en fait.
            « Par-delà nature et culture » ?  Animisme, totémisme, analogisme ou naturalisme ? Dépasser les quatre paradigmes de l’être-au-monde pour l’homme, les quatre ontologies dans les rapports de l’être humain avec son environnement, selon la définition qu’en donne Philippe Descola (2005)? Les schèmes des rapports de l’homme de culture avec une nature qui est d’emblée définie comme un environnement constitué par les « non-humains » seraient donc au nombre de quatre ; ces quatre modes des relations complexes de l’homme avec son environnement, correspondant en somme à quatre cosmologies, seraient à envisager dans une perspective de transformations d’ordre structural. Si l’animisme tend à projeter l’intériorité humaine sur la diversité du monde environnant, le naturalisme réfère les expressions culturelles de l’homme dans leur diversité aux lois universelles du monde physique et biologique ; et si le totémisme correspond à un système d’équivalences posées en réciprocité entre les physicalités et les intériorités, l’analogisme tend à fragmenter l’ensemble des existants  en des entités discrètes, à la fois différentes et proches, puis à les intégrer dans un  système où elles deviennent intelligibles par le biais des ressemblances fondant la procédure analogique.
            L’entrée de l’homme dans l’ « anthropocène » pourrait contribuer au dessin d’un cinquième mode de l’être à l’environnement[25]. On pourra dénommer ce nouveau paradigme le « biologisme » tant il est vrai qu’à l’impact sur l’environnement et finalement le climat des technologies mécanistes ayant permis l’industrialisation soumise au productivisme capitaliste en concurrence avec l’emprise soviétique se sont ajoutées les manipulations génétiques des organismes (plantes, animaux et humains) induites par les sciences du vivant. Par le « biologisme », les sciences du vivant autant que les sciences neuronales font la démonstration de la perméabilité constitutive d’ordres autrefois distincts – le physique, le végétal, l’animal et l’humain – pour le meilleur et pour le pire. Sans doute la pensée pratique et critique des sophoí de la Grèce classique  nous invite-t-elle à abandonner un dualisme que leurs successeurs ont contribué à sacraliser, ne serait-ce que par la distinction canonique entre l’âme et le corps, l’intériorité et l’extériorité. Reste à résoudre le problème de la prise en charge morale, sociale et politique des interactions constitutives entre les être humains et un environnement dont ils sont partie intégrante et dont dépend leur survie de même que sa survie dépend désormais d’eux.
            On pourra donc conclure avec Démocrite (fr. 68 B 33 Diels-Kranz ; cf. fr. 278) : « La nature (phúsis) et l’éducation (didakhé) sont comparables. En effet l’éducation façonne le rythme (metarusmoî) de l’homme et ce faisant elle crée la nature (phusiopoieî) ».


Paradigme économiste contemporain animé par l‘idéologie néolibérale d’inspiration anglo-saxonne. Mais en retour idées de plasticité, perméabilité, flexibilité sans doute filles du paradigme néo-libéral…




Bibliographie
Affergan F., Borutti S., Calame C., Fabietti U., Kilani M., Remotti F., Figures de l’humain. Les représentations de l’anthropologie, Paris, Editions de l’EHESS, 2003
Baldry H. C., The Unity of Mankind in Greek Thought, Cambridge (Cambridge University Press) 1965
Benveniste E., Noms d’agent et noms d’action en indo-européen, Paris (A. Maisonneuve) 1975 (éd. or.: 1948)
Berque A., Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2009 (2e éd.) 
—, « L’embrayage nature/culture : des intuitions watsujiennes à une mésologie de l’évolution », à paraître 
Boi, L., 
Borutti, S., Filosofia dei sensi. Estetica del pensiero tra filosofia, arte e letteratura, Roma, Cortina, 2006
Buccheri, A., « Costruire l’umano in termini vegetali : phúo phúsis nella tragedia greca », I Quaderni del Ramo d’Oro on line 5, 2012 : 137-163 (http://www.qro.unisi.it/frontend/node/138)
Buffon G.-L. Leclerc Comte de, Œuvres complètes IV. Histoire Naturelle de l’Homme, Paris, Imprimerie Royale, 1774
Calame C., « Les figures grecques du gigantesque », Communications 42, 1985, p. 147-171, repris dans Sentiers transversaux. Entre poétiques grecques et politiques contemporaines, Grenoble (Jérôme Millon) 2008, p. 109-132
— , « Nature humaine et environnement : le racisme bien tempéré d’Hippocrate », in Sciences et racisme », Lausanne (Payot) 1986, pp. 77-99, repris dans Masques d’autorité. Fiction et pragmatique dans la poétique grecque antique, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. 237-273 
— , « Interprétation et traduction des cultures. Les catégories de la pensée et du discours anthropologique », L’Homme 163, 2002, p. 51-78
— , Pratiques poétiques de la mémoire. Représentations de l’espace-temps en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 2006
— , Prométhée généticien. Profits techniques et usages de métaphores, Paris (Les Belles Lettres) 2010
— , « The Pragmatics of “Myth“ in Plato’s Dialogues : The Story of Prometheus in the Protagoras », in C. Collobert, P. Destrée, F. J. Gonzalez (edd.), Plato and Myth. Studies in the Use and Status of Platonic Myths, Leiden – Boston, Brill, 2012 : 127-143
Calame C. & Kilani M. (éds), La Fabrication de l’humain dans les cultures et en anthropologie, Lausanne, Payot, 1999
Canguilhem G., La connaissance de la vie, Paris, Vrin 2009 (éd. or. : 1952) 
Cerri G., Il linguaggio politico nel Prometeo di Eschilo. Saggio di semantica, Roma, Ateneo. 1975
Cuche D., La Notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Découverte, 1996
Descola Ph., Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005
Descola Ph. & Pálsson G. (éds), Nature and Society. Anthropological Perspectives, London & New York, Routledge, 1996
Duchet M., Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995 (1ère éd. : Paris, La Découverte, 1971)
Durkheim E. & Mauss M., « Note sur la notion de civilisation », Année sociologique 12, 1913 : 46-50 (repris dans M. Mauss, Œuvres II. Représentations collectives et diversité des civilisations, Paris, Minuit, 1969 : 451-455) ­
Galissot R., Kilani M., Rivera A., L’Imbroglio ethnique. En quatorze mots clés, Lausanne, Payot, 2000
Guthrie W. K. C., The Sophists, Cambridge, Cambridge University Press, 1971
Heinimann F., Nomos und Phusis. Herkunft und Bedeutung einer Antithse im Griechischen Denken des 5. Jahrhunderts, Basel, Reinhardt, 1954
Heritier F., Masculin/féminin. La pensée de la différence, Paris, O. Jacob, 1996
Lestel D., Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion, 2e éd., 2003
Lévi-strauss C., Les Structures élémentaires de la parenté, Paris & La Haye, Mouton,s 1967 (1ère éd. : Paris, Plon, 1947)
 Anthropologie structurale deux, Paris, Plon, 1973
Lloyd G.E.R., Methods and Problems in Greek Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 1991
— , Being, Humanity and Understanding. Studies in Ancient and Modern Societies, Oxford ,Oxford University Press, 2012 ( cf. “Humain”)
Longo O., « L’antropologia », in Cambiano G., Canfora L., Lanza D. (edd.), Lo spazio letterario della Grecia antica II. La ricezione e l’attualizzazione del testo, Roma, Salerno, 1995, p. 737-762
— , « La mano dell’uomo da Aristotele a Galeno », Quaderni Urbinati di Cultura Classica 95, 2000, p. 7-29
Malinowski B., Une théorie scientifique de la culture (1944), Paris, Maspero, 1968
Morel, P. M. 
Morgan K. A., Myth and Philosophy: From the Presocratics to Plato, Cambridge, Cambridge University Press 2000
Pucci P., The Songs of the Sirens. Essays on Homer, Lanham – Boulder – New York – Oxford. Rowman & Littlefield, 1998
Remotti F., « Thèses pour une perspective anthropopoiétique », in Calame & Kilani (edd.), 1999 : 15-31
Rivera A., « La construction de la nature et de la culture dans la relation homme-animal », in Calame & Kilani (edd.), 1999 : 49-72
Saïd S., Sophiste et tyran ou le problème du Prométhée enchaînéParis, Klincksieck, 1975
Stoczkowski, W., Anthropologies rédemptrices. Le monde selon Lévi-Strauss, Paris, Hermann, 2008 
Thomas R., Herodotus in Context. Ethnography, Science and the Art of Persuasion, Cambridge, Cambridge University Press, 2000
Trépanier S., Empedocles. An Interpretation, New York – London, Routledge, 2004 
Tylor E. B., La Civilisation primitive 2 vol. (1871), Paris, C. Reinwald, 1876 & 1878
Vegetti M., Il coltello e lo stile, Milano (Mondadori) 1987 (2e éd.)
Vernant J.-P., « À la table des hommes. Mythe de fondation du sacrifice chez Hésiode », in Detienne M. et Vernant J.-P., La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, Gallimard, 1979, p. 37-132
Vidal-Naquet (P.), « Valeurs religieuses et mythiques de la terre et du sacrifice dans l’Odyssée », Annales E. S. C. 25, 1970, p. 1278-1297, repris dans Le chasseur noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, Paris, La Découverte, 1983 (2e éd.), p. 39-68 
+ J.-M. Schaeffer
+ J. J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’égalité et Essai sur l’origine des langues



[1] L’Antiquité gréco-romaine a été envisagée comme un « territoire des écarts »par Dupont, 2013 : 279-301, à la suite d’un séminaire doctoral intitulé « Antiquité au Présent » et coorganisé entre l’Université de Paris Diderot – Paris 7 (Institut des Humanités) et l’EHESS (Centre AnHiMA).
[2] Cf. Lloyd, 1991 : . Voir l’analyse sémantique du terme phúsis proposée par Benveniste, 1975 : 78-80.
[3] Sur la question controversée des poèmes d’Empédocle et de leurs intitulés respectifs, voir Trépanier, 2004 : 1-30.
[4] Pour plus de détails sur la figure des Cyclopes odysséens, voir les études de Pucci 1998 : 113-32 et Calame 1985/2008.
[5] La définition par la production agricole et par le sacrifice sanglant de la civilisation dont se réclame implicitement Ulysse au cours de son périple fait l’objet de l’étude devenue classique de Vidal-Naquet 1970/1983. Pour la civilisation « au blé moulu » en relation avec l’institution du sacrifice, voir les belles pages de Vernant 1979 : 58-71.
[6] Avec l’Ionie, Athènes ou Délos comme point focal de référence, cette image hellénocentrée du monde habité est très répandue dès le Ve siècle ; elle marque en particulier la géographie de l’Enquête d’Hérodote : cf. Calame 1986/2005 : 267-273.
[7] Antiphon fr. 44 Pendrick , avec le commentaire offert par Thomas, 2000 : 102-134, sur la dialectique entre nómos et phúsis dans l’anthropologie de l’époque classique.
[8] On pourra se référer encore aux nombreuses attestations de ces conceptions « présocratiques » de l’essence de l’homme citées et bien commentées par Vegetti 1987, p. 95-116.
[9] Sur les représentations de la main de l’homme d’Aristote à Galien, on pourra lire l’étude de Longo, 2000. 
[10] Longo, 1995, a passé en revue ces définitions de l’homme par différentes formes d’une intelligence qui ne correspond pas forcément à l’intelligence artisane qu’est la mêtis !
[11] Kahn, 1979 : 14-23 et 116-123 montre bien qu’Héraclite fonde en définitive loi et ordre politique sur le lógos, entendu comme discours, ainsi que sur le noûs, compris comme entendement ; pour l’idée du genre humain chez les Sophistes, puis chez Platon, voir Baldry, 1965 : 35-45 et 72-87.
[12] Sur cette représentation du monde habité qui oriente notamment le traité hippocratique Airs, eaux, lieux, cf. supra note 6 + éd. Budé sur Pronostic .
[13] Pour le détail, voir Calame,  2010 : 36-48.
[14] Cf. Detienne & Vernant, 1974 : 176-200. 
[15] Platon, Protagoras 320c-323a ; sur cet usage platonicien du « mythe » de Prométhée, voir Morgan 2000 : 132-154, ainsi que mon étude de 2012.
[16] Cf. Saïd 1975 : 131-187, et Cerri 1975 : 45-53.
[17] Cf. Duchet, 1995 : 229-280 .
[18] Voir à ce sujet la mise en perspective proposée par Cuche, 1996 : 10-14, et l’approche « anthropopoétique » ouverte par Remotti 1999 : 21-3.
[19] On se référera encore aux nombreuses attestations de ces conceptions « présocratiques » de l’essence de l’homme citées et bien commentées par Vegetti, 1987 : 95-116.
[20]  cf. Cuche, 1996 : 22-29. « Les institutions politiques, juridiques, les phénomènes de morphologie sociale font partie de la constitution propre de chaque peuple. Au contraire, les mythes, les contes, la monnaie, le commerce,les beaux-arts, les techniques, les outils, les langues, les mots, les connaissances scientifiques, les formes et les idéaux littéraires tout cela voyage, s'emprunte, résulte, en un mot, d'une histoire qui n'est pas celle d'une société déterminée » cit..
[21]  1754 ; cf. Duchet, 1995 : 322-76.
[22] Voir à ce propos les conclusions de la bonne réflexion de Rivera, 1999 : 65-70.
[23] Cf. Berque  2 X + von Uexküll .
[24] Wittgenstein, Tractatus 2.221 – Borutti, 2006 : 4 et 39. Cf. aussi Schaeffer / Heinich.
[25] Anthropocène .