Jean-Jacques Rousseau, vue depuis son pavillon d'Ermenonville, gravure (19e siècle, d'après G.F. Meyer) source |
Les formes végétales et les interactions homme-nature : de Rousseau à quelques idées récentes de la botanique
Luciano Boi (EHESS-CAMS / Équipe de Mésologie)
« Une plante est un chant dont le rythme déploie une forme certaine, et dans l’espace expose un mystère du temps. »
(Paul Valéry, Dialogue de l’arbre, 1943.)
1. Observation, théorisation et la corrélation entre sujet et objet
En face du monde naturel en général et de celui végétal en particulier, il faut beaucoup d’attention, et une méditation particulière, vouées à l’observation et ouvertes à la contemplation en même temps. Il s’agira d’une attention capable d’accueillir d’abord les appels qui viennent des choses avant même de les analyser avec un point de vue arrêté. C’est dire que l’observation ne doit pas se fonder sur des préjugés et encore moins être dictée par des dogmes, encore qu’elle peut s’inspirer de conceptions antérieures et être orientée par des points de vues existants qui nous indiquent seulement la perspective selon laquelle il convient d’observer.
Il faut bien reconnaître, cependant, que la perspective nous est souvent inconnue ou inaccessible et qu’elle s’éclaircit au fur et à mesure que les observations s’affinent et nous laissent entrevoir des connexions (ou des homologies) entre les différents éléments du phénomène observé jusqu’alors insoupçonnées. C’est à ce moment-là que l’opération d’observation devient importante car, en cessant d’être un acte purement empirique, elle va se transformer en une opération à la fois théorique et concrète complexe : théorique parce qu’elle nous fait “voir” les choses réunies sous un même phénomène selon un nouveau point de vue ; concrète parce qu’elle nous fait découvrir d’autres propriétés et qualités phénoménales de ces mêmes choses.
À cela s’ajoute le fait qu’une telle opération établit un lien plus riche entre celui qui observe, c’est-à-dire le sujet de l’opération, et le phénomène observé, c’est-à-dire l’objet de l’opération. Il s’agit plus précisément d’un lien de réciprocité (d’une corrélation) qui s’opère sous le mode d’une boucle d’actions et rétroactions entre sujet et objet, sans que ces deux termes soient à concevoir dans une position figée ou assignée de manière définitive (comme le conçoit notamment une certaine linguistique formelle). Il se peut très bien, en effet, que le sujet devienne (ou se transfigure en) “objet”, support actif et singulièrement sensible encore que discret dans ses dispositions et expressions, capable d’accueillir les mouvements quasi-imperceptibles des choses provenant de proche et de loin sans direction privilégiée. Et que l’objet devienne “sujet”, milieu qui se met soudainement à émaner des couleurs et des odeurs et d’autres effets variés en affectant tout ce que se trouve autour et peut-être même ce qui s’en trouve éloigné. L’ensemble des interactions entre l’« observateur » et la « chose observée » est ainsi à concevoir comme un champ continu d’actions et rétroactions, de perceptions et d’effets de sens, où l’opposition entre objet et sujet perd tout caractère absolu et où la séparation entre « qualité primaires » (quantités comme étendue, masse, position, et autres paramètres quantifiables) et « qualités secondaires » (perceptions, couleurs, sons et autres qualités sensibles) s’estompe de manière significative.
Les considération faites jusqu’à ici suggèrent qu’il est nécessaire de recomposer le quantitatif et le qualitatif afin d’élaborer ce qu’il convient d’appeler une rationalité étendue. Comme Italo Calvino le remarque, avec sa perspicacité habituelle:
« Il ne suffit pas que le dehors regarde au-dehors : c’est de la chose regardée que doit partir la trajectoire qui la relie à la chose qui la regarde. De l’étendue muette des choses doit partir un signe, un appel, un clin d’œil : une chose se détache des autres avec l’intention de signifier quelque chose… quoi ? Elle-même : une chose est contente d’être regardée par les autres choses seulement quand elle est convaincue de se signifier elle-même et rien d’autre, parmi toutes les choses qui ne signifient qu’elles mêmes et rien de plus. »
En effet, il n’existe pas d’observateur passif, détaché du monde qui l’entoure. L’observateur et le phénomène observé appartiennent au même monde, ils sont pris dans une relation de coprésence et ils s’influencent l’un l’autre. L’opération qui consiste à observer, équipée d’outils plus ou moins sophistiqués et de points de vue plus ou moins élaborés, investit d’emblée le champ phénoménal en le transformant. Même quand il s’agit d’une relation de contemplation, celle-ci est loin d’être “neutre” puisqu’elle comporte une “lecture” et une interprétation que l’observateur pourra modifier en fonction des propriétés et des qualités des phénomènes, elles aussi changeantes. En d’autres termes, l’observateur modifie le phénomène qu’il est en train d’examiner, et le phénomène, lui, influence la méthode et les résultats de l’observation, de sorte qu’entre les deux s’établit un champ continu d’actions et rétroactions, une corrélation à portée ontogénétique, c’est-à-dire capable de modifier le mode d’être de l’observateur et la manière d’être du phénomène. Ce qui précède suggère qu’il existe une sorte d’“intrication”[1] ou “non-séparabilité” entre l’observateur avec ses moyens et le phénomène observé, les deux forment un seul et même monde. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’observateur et l’objet observé puissent être identifiés, ou qu’on puisse mettre sur le même plans leurs propriétés respectives.
Quelques simples exemples peuvent aider à mieux comprendre. Un son émanant d’un organisme vivant ou d’un environnement donné ne nous laissera pas dans un état passif, mais il suscitera en nous une certaine écoute qui sera peut-être le début d’une nouvelle attitude envers le paysage sonore qui nous entoure. La conformation d’un arbre ou le parfum d’une fleure seront à même d’éveiller en nous une attention autre, voire une perception plus riche de la présence d’un organisme vivant et de ses qualités. Une certaine lumière frappant les objets-surfaces situés dans notre environnement nous fera apercevoir des qualités des choses autour de nous que nous ne discernerions pas si les conditions qualitatives et quantitatives de luminosité avaient été différentes. Pour le dire autrement, c’est notamment par l’entremise de la forme, de la lumière et du son que les observateurs et les phénomènes observés, les sujets et les objets entrent en relation et forment un seul et même monde.
Ce nouveau regard sur la réalité, au lieu de considérer les faits pour les fixer en une unique description empirique ou en un seul modèle formel, cherche à comprendre tout phénomène et son spectre de manifestations et réalisations en tant que processus et événement. On définit la connaissance de processuelle ou événementielle lorsqu’on reconnaît dans quelque chose la projection ou le signe d’une autre chose. On peut considérer, par exemple, que les signes de trace, d’empreinte, de marque, d’indice ne sont par importants comme tels, mais en tant que signes d’un nouveau phénomène ou d’une nouvelle situation, comme marqueurs ou vecteurs nous indiquant la piste pour découvrir de nouveaux éléments de connaissance. Par exemple, la trace peut être le signe d’un paysage, une empreinte le signe d’une présence ou d’une absence, et ainsi de suite. Ainsi conçus, les signes permettent de reconstruire les phases d’un processus survenu ou d’en anticiper les phases successives, et aussi de comprendre quelques-unes des raisons qui font qu’un objet advienne chose ou un phénomène advienne événement. Une trace visible, d’une étoile dans la voute céleste, d’un oiseau sur un terrain, d’un hiéroglyphe sur un roché, d’une note dans un cahier, est toujours est toujours le signe de quelque chose d’invisible qui a déjà eu lieu ou qui s’annonce. La connaissance processuelle nous fait connaître moins les états physiques, que les transformations dynamiques (les passages ou transitions) d’une situation spatiale à une autre, d’une phase temporelle à une autre. L’“état” indique la solidité, la résistance mécanique, en somme les forces conservatives d’un objet ou d’un matériau, tandis que l’élasticité, la plasticité, la capacité de déformation et d’autres propriétés dynamiques (température, énergie, entropie) déclenchent et diffusent des processus pouvant donner lieu à des événements non-conservatifs et non-réversibles.
2. Science, philosophie de la nature et connaissance du vivant
Jean-Jacques Rousseau, Portrait source |
Nous soutiendrons ici que la science actuelle a besoin d'une nouvelle philosophie de la nature. En particulier, elle en a besoin pour dépasser certaines de ses limites. Essayons d’abord d’indiquer ce qu’il faut entendre par « nouvelle philosophie de la nature », puis de désigner les limites.
La science ne peut à elle seule donner lieu à des développements théoriques féconds sans l'apport d'une réflexion philosophique fondamentale sur l'origine, la signification et la portée des concepts qu'elle utilise afin de construire ces représentations abstraites qui paraissent les plus aptes à interpréter et à expliquer les phénomènes réels.
C'est là une condition nécessaire, encore que non suffisante, qui permet une libre circulation constante entre les concepts scientifiques et les idées philosophiques, pour que des découvertes expérimentales importantes s'en suivent. Ce rapprochement conceptuel entre la science et la philosophie paraît d'autant plus nécessaire à une époque où les sciences fondamentales connaissent une double tendance très forte qui semble conduire à une stagnation grave de la pensée théorique et, plus généralement, de la connaissance.
D'une part, elles s'hyperspécialisent de plus en plus dans les méthodes et les techniques employées, en perdant ainsi de façon irrémédiable une vue d'ensemble des phénomènes et des problèmes, de leurs relations et liaisons profondes.
À ce propos, Paul Valéry, dans un très beau texte[2], avait déjà attiré notre attention su ce qu'un même phénomène naturel ne peut résulter que du concours de plusieurs éléments et matériaux à la fois. Il nous dit que très probablement lors de la croissance du mollusque et de sa coquille, selon le thème inéluctable de l'hélice spiralée,
« se composent indistinctement et indivisiblement tous les constituants que la forme non moins inéluctable de l'acte humain nous a appris à considérer et à définir distinctement : les forces, le temps, la matière, les liaisons, et les différents “ordres de grandeur” entre lesquels nos sens nous imposent de distinguer ».
Et il continue :
« la vie passe et repasse de la molécule à la micelle, et de celles-ci aux masses sensibles, sans avoir égard aux compartiments de nos sciences, c'est-à-dire de nos moyens d'action ».
C'est un véritable plaidoyer de l'interdisciplinarité théorique et empirique des connaissances qui se dégage de ce texte, et une critique passionnée de la compartimentation de nos sciences, mais aussi une mise en garde du risque qu'il y a à réduire la science à leur efficacité pratique et applicabilité technologique.
Valéry nous invite aussi à réfléchir sur un autre point important, qui est celui du pouvoir effectif des connexions entre espace, temps et matière dans la formation des êtres vivants. Nous reviendrons plus loin sur cette question.
De son côté, l'éminent mathématicien et philosophe René Thom a insisté à maintes reprises sur la nécessité de réduire l'écart qui s'est creusé au fil des siècles entre la science et la philosophie, ce qui peut être fait en redonnant une place essentielle à la pensée et à la théorisation, qui doivent primer sur la simple observation et les applications purement expérimentales. Le terme « théoriser » signifie précisément la recherche d'images ou des modèles qui nous permettent d'établir des liens de nécessité (connexions multi-causales) entre des objets et des phénomènes à première vue divers et parfois disparates, ou, ce qui revient au même, d'englober chacun d'entre eux en une seule et même théorie, grâce à laquelle on arrive généralement à fournir l'explication cherchée de ce qui les unit, et également de ce qui éventuellement les différencie.
D'autre part, la science est de moins en moins une forme de connaissance créatrice, conjecturale et désintéressée, et elle dépend de plus en plus d'autres intérêts, économiques, sociaux et politiques, complètement extérieurs à ses théories et méthodes, à son « espace vital » de pensée. Il suffit de penser à la pression qu'exercent les industries pharmaceutiques sur certains secteurs importants de la recherche médicale, ou au pouvoir qu'ont les lobbies militaires et financiers sur la recherche spatiale... . Chacun peut constater que la science aujourd'hui, dans une large mesure, est privée de ses propres caractéristiques et qualités, dépossédée de son autonomie, à cause du pouvoir excessif qu'exerce la technique sur elle, et également sur d’autres formes de connaissance.
À mes yeux, les trois limites essentielles de la science contemporaine peuvent être caractérisées comme suit : premièrement, un excès de spécialisation à outrance et la conséquente perte d'une vision globale et qualitative (c’est l’analyse et le quantitatif qui priment sur la synthèse et le qualitatif) ; deuxièmement, l'influence parfois néfaste des applications technologiques sur la pensée scientifique proprement dite (ou le pouvoir illimité, dans certains cas, des technosciences) ; troisièmement, la tendance à réduire le travail de découverte et de création scientifiques à un « fait » purement social (le relativisme culturel étendu à la science).
Face à une telle situation, un nouveau projet de philosophie de la nature doit chercher en premier lieu à fournir des explications des phénomènes plutôt que de se contenter de les décrire. L'observation et la description, certes importantes, n'épuisent pas pour autant le travail de découverte et de création scientifiques. Une nouvelle philosophie de la nature doit, en d'autres termes, s'efforcer de comprendre les rapports de coexistence et d'interdépendance entre ces mêmes phénomènes, souvent d'apparence très disparate. Ce souci de rapprocher problèmes et concepts, qui est éminemment d'ordre théorique, n'a de sens effectif que s'il conduit à trouver une explication commune pour des phénomènes hétérogènes. La découverte de cette connexion est un premier pas fondamental et ouvre la voie à l'élaboration d’une modélisation de base suffisamment générale permettant de mettre en évidence un substratum commun à une grande variété de phénomènes, une analogie structurale essentielle entre eux, par exemple, des homologies structurelles et fonctionnelles.
On trouve chez Rousseau quelques échos de la nécessité de développer un tel projet de philosophie naturelle. Par exemple, lorsqu’il écrit :
« … ne connaître simplement les plantes que de vue et ne savoir que leurs noms ne peut être qu’une étude trop insipide pour des esprits comme les vôtres… […] Je vous propose de prendre quelques notions préliminaires de la structure végétale ou de l’organisation des plantes, afin, dussiez-vous ne faire que quelques pas dans le plus beau, dans le plus riche des trois règnes de la nature, d’y marcher du moins avec quelques lumières. » (Lettre sur la botanique à sa cousine du 22 août 1771)
Pour le philosophe naturel sui generis Jacques Rousseau, l’un des principaux buts de la philosophie naturelle consiste à explorer le monde végétal, et en particulier à connaître les plantes, ce qui revient à
« […] les nommer, les classer, les décrire, jusqu’à ce que par des idées comparatives devenues familières aux […] yeux et à l’esprit […] l’on parvienne à classer, ranger et nommer celles que l’on voit pour la première fois, science qui seule distingue le vrai botaniste de l’herboriste ou nomenclateur. »
Pour résumer, le principal propos d'une nouvelle philosophie de la nature nous semble pouvoir être les suivant : expliquer les principes sous-jacents à l'actualisation spatiale et temporelle de l'unité de la matière et de la forme dans des processus de nature physique, biologique, morphologique, physiologique, psychologique et autres.
Un autre aspect important de la philosophie de la nature concerne les connexions entre structures mathématiques, propriétés dynamiques et processus fonctionnels des phénomènes vivants. Citons un exemple tiré de la biologie, et sur lequel nous aurons l'occasion d’y revenir. Nous pensons, et cela a été montré en partie, que toute la régulation épigénétique et comportementale d'une espèce repose sur une structure géométrique de caractère dynamique qui se réalise dans l'espace substrat des activités métaboliques de l'organisme[3]. Évidemment, cette structure formelle est beaucoup plus que la structure géométrique-chimique de la double hélice qui est la base du code génétique, et que les biologistes moléculaires ont érigé à prétendu deus ex machina de la vie, et elle inclut des processus fondamentaux encore largement incompris (et dont l’importante a d’ailleurs été sous-estimée par l’approche purement génétique du vivant), tels que la différentiation cellulaire et la formation des tissus et des organes, la genèse de nouvelles formes dans tout organisme vivant, les mécanismes topologiques de régulations enzymatique liés aux fonctions vitales de l'ADN, et les processus d'organisation spatiale tridimensionnelle et en particulier de repliement des protéines.
3. Morphologies en biologie
D'une manière générale, on assiste ces derniers temps à une redécouverte de l'intérêt pour la morphologie des structures en biologie. En effet, les biologistes moléculaires, qui se sont montrés en général réticents à reconnaître l'importance du niveau morphologique dans l’organisation structurale et fonctionnelle du vivant, aboutissent souvent tout naturellement à l'observation de la morphologie au cours du développement, de la formation concrète de l'organisme.
À partir de ses bases moléculaires les plus fines, l’étude des êtres vivants « remonte » de plus en plus vers la morphologie complexe tridimensionnelle, du niveau macromoléculaire à celui cellulaire, puis vers l'organisme complet, achevé ou en cours de développement. Mais l’intérêt de l’approche morphologique réside davantage dans le procédé inverse : partir d’une étude de la morphologie structurale et fonctionnelle complexe propre à chaque organisme pour mieux comprendre leur fonctionnement physiologique e métabolique aux échelles tissulaire, cellulaire et moléculaire. Dans cette perspective, les morphologies complexes des organismes, étudiées dans leurs évolutions historiques et dynamiques concrètes, deviennent une clé de lecture irremplaçable pour comprendre les différents niveaux d’organisation du vivant.
Rousseau est très proche d’une approche morphologique dans la mesure où il cherche à mettre en évidence les caractéristiques fondamentales du principal être vivant du monde végétal, à savoir la plante. La description morphologique fait intervenir des définitions ostensibles et invisibles, des caractères ou propriétés spécifiques de nature structurelle et fonctionnelle, des classifications en genres, espèces et cas particuliers, et une langue adaptée à la chose. Il écrit :
« Une plante parfaite est composée de racine, de tige, de branches, de feuilles, de fleurs, et de fruits : car on appelle fruit en botanique, tant dans les herbes que dans les arbres, toute fabrique de la semence. Vous connaissez tout cela […] ; mais il y a une partie principale qui demande un plus grand examen. C’est la fructification, c’est à dire la fleur et le fruit. Commençons par la fleur, qui vient la première. C’est dans cette partie que la nature a renfermé le sommaire de son ouvrage, c’est par elle qu’elle le perpétue, et c’est aussi de toutes les parties du végétal la plus éclatante pour l’ordinaire, et toujours la moins sujette aux variations. […] Prenez un Lis. […] Avant qu’il s’ouvre vous voyez à l’extrémité de la tige un bouton oblong verdâtre qui blanchit à mesure qu’il est prêt à s’épanouir ; et quand ils est tout à fait ouvert, vous voyez son enveloppe blanche prendre la forme d’un vase divisé en plusieurs segments. Cette partie enveloppante et colorée qui est blanche dans le Lis s’appelle la Corolle et non pas la fleur comme chez le vulgaire ; parce que la fleur est un composé de plusieurs parties dont la Corolle est seulement la principale. […] » (Lettre sur la botanique à la cousine, du 22 août 1771).
Toute description morphologique ne se contente pas de décrire les parties d’un tout, mais elle s’organise autour de deux choix méthodologiques : rendre compte de l’organisation de la structure et de ses propriétés en procédant du général (de l’ensemble) au particulier (au détail), puis justifier l’agencement de ces parties en montrant leur rôle et leur cohérence par rapport à l’ensemble (au tout)[4]. Ainsi, par exemple, à propos de l’examen des parties différentes de la fructification et des caractères du jeune fruit des pois, Rousseau écrit (dans la lettre du 16 mai 1772) :
« Si vous y regardez de bien près, vous trouverez que ces dix étamines [Ce sont dix filets bien distincts formant une sorte de membrane cylindrique et qui entourent l’ovaire, c’est-à-dire l’embryon de la gousse] ne font par leur base un seul corps qu’en apparence. Car dans la partie supérieure de ce cylindre il y a une pièce ou étamine qui d’abord paraît adhérente aux autres, mais qui à mesure que la fleur se fane et que le fruit grossit, se détache et laisse une ouverture en dessus par laquelle ce fruit grossissant peut s’étendre en entrouvrant et écartant de plus en plus le cylindre qui sans cela le comprimant et l’étranglant tout autour l’empêcherait de grossir et de profiter. Si la fleur n’est pas assez avancée vous ne verrez pas cette étamine détachée du cylindre… [….] »
4. Complexité et auto-organisation des systèmes vivants
Considérons maintenant un autre aspect qui est celui de la complexité et de l'auto-organisation. Les propos d'une théorie de la complexité consiste à trouver ces lois qui régissent le comportement des systèmes soi-disant complexes : ce sont des lois phénoménologiques qui ne sauraient être, dans la plupart des cas, facilement déductibles des lois qui « contrôlent » chacun des constituants de tel ou tel système. Par exemple, le comportement de beaucoup de neurones contenus dans notre cerveau est aujourd'hui, du moins sous certains aspects, relativement bien compris, mais on est très loin d'avoir compris les raisons qui font que dix mille milliards de neurones, connectés entre eux par cent mille milliards de synapses, forment un cerveau qui pense. D’où les remarques suivantes :
(i) Il est donc plus que raisonnable de supposer qu'il y a là émergence de certains comportements « collectifs » nouveaux.
(ii) La théorie de systèmes complexes repose sur l’idée que s’il est important de connaître la nature des interactions entre les constituants d’un système, il est en fait encore plus important de connaître les lois globales qui contribuent à l’émergence de comportements collectifs. Cela parce que le comportement collectif d’un système peut rester invariant par des faibles modifications des lois auxquelles obéissent ses constituants.
(iii) On peut alors dire qu’une des caractéristiques des systèmes complexes est d’admettre un nombre assez grand d’états d’équilibre différents, en ce sens que ce qui ne change pas et qui donc reste toujours identique à lui-même au cours du temps ne présente pas de complexité, alors qu’on dira qu’un système est complexe s’il peut prendre plusieurs formes (et admettre plusieurs états) différents, tout en tendant vers une certaine stabilité fondamentale.
Il est clair, de ce point de vue, qu’un organisme biologique est un système complexe par excellence, car il passe par plusieurs formes différentes au cours de l’évolution, dont chacune correspond à un stade précis de son développement. Et toutefois, ces différents stades semblent suivre un plan général d’organisation de l’organisme dont la principale fonction est d’assurer, à l’intérieur de certaines limites et contraintes biochimiques et morphologiques précises, son métabolisme et sa régénération. On pourrait dire, en d’autres termes, qu’il est un système «canalisé », bien que contingent et ouvert.
On remarquera à ce propos qu’il existe une différence importante entre le fait de connaître les réactions biochimiques de base d’un être vivant et la compréhension de son comportement global. Prenons l’exemple d’un organisme vivant apparemment parmi les plus simples comme l’Escherichia Coli, une minuscule bactérie qui contient environs trois mille types de protéines différentes qui interagissent entre elles pour permettre le métabolisme et la synthèse des cellules. Or, même si un jour on arrivait à connaître les fonctions de chacune de ces protéines, cela ne permettrait pas pour autant une compréhension véritable des raisons profondes qui font qu’un système se comporte globalement comme un organisme vivant. Le problème se pose donc d’arriver à déduire les caractéristiques globales du comportement des systèmes complexes doués d’auto-organisation par des méthodes dynamiques beaucoup plus fines que par de simples simulations statistiques ou numériques.
5. Symétries et symétries brisées dans le monde vivant
Le concept de symétrie joue un rôle capital dans l’engendrement des formes naturelles et vivantes, et également dans la transition d'un type de forme à un autre type lorsqu'on élargit, par exemple, le groupe euclidien à d'autres types de symétries. On peut engendrer la forme caractéristique de certaines classes d'objets naturels par une application répétée d'une transformation infinitésimale par similitude à un espace courbe, cette transformation constitue alors la « forme » de l'objet. La transformation par similitude la plus générale dans le plan euclidien, est la similitude de type spirale, qui est une combinaison d'une rotation et d'une dilatation avec le même centre. Une telle transformation, et son inverse, engendrent un sous-groupe de dimension 1 du groupe des similitudes. Il en résulte un système de points réguliers associés à ce sous-groupe.
Il existe une unique spirale logarithmique et équiangulaire qui contient tous les points du système. En botanique, on l'appelle spirale ontogénétique. On sait d'ailleurs que les surfaces minimales ou les singularités (par exemple, de la théorie des catastrophes) sont des générateurs de formes naturelles, aussi bien dans le monde organique que dans celui inorganique. L'ensemble de ces possibilités définit ce qu'on peut appeler une sémantique des formes.
Il nous semble qu’une sémantique des formes comporte toujours une structure géométrique-topologique de nature dynamique qui, faite agir sur un certain espace substrat, est capable d'engendrer une ou plus famille(s) d'entités qualitativement différents et doués d'un certain nombre de propriétés caractéristiques.
Tout comme on peut dire que la réalité mathématique (en particulier la géométrie et la topologie) est une source inépuisable d'informations, qui est irréductible à tout système de type fini ou même donné récursivement que l'on puisse imaginer, l'étude de la nature et du vivant est elle aussi une source inépuisable d'informations qualitativement variées. Les mathématiques (les entiers et les réels, la topologie et la géométrie) informent le monde, et le monde réel, grâce à l'action de ses principes et phénomènes fondamentaux, exercent une influence sur ses structures mathématiques, si bien qu'il est concevable qu'elles puissent évoluer dans un certain espace substrat et par l’action du temps. Les phénomènes des symétries et des brisures de symétries sont deux exemples très significatifs montrant que certains processus naturels et biologiques sont à même de créer de nouvelles structures mathématiques dans les phénomènes.
La réduction de la géométrie et plus généralement des mathématiques à un système d'axiomes (et de règles formelles) fini vu comme des jeux de symboles (qui a été le rêve de l'école formaliste et qui est actuellement celui des computationalistes) a compromis pendant des nombreuses années la possibilité de développer un projet d'ontogenèse géométrique des formes naturelles. Nous pensons qu'il est possible de développer un autre modèle théorique et empirique de science des formes.
6. Quelques idées de philosophie naturelle
Faisons maintenant quelques remarques sur l'ouvrage de D'Arcy Thompson, On Growth and Form (Cambridge, 1917). Ce n'est que récemment qu'on s'est aperçu que les idées du savant écossais présentaient quelque chose de fascinant et de profond aussi bien pour les naturalistes et les mathématiciens que pour les philosophes. On assiste aujourd'hui à un véritable renouveau de ses idées dans le cadre notamment de la biologie de l’évo-devo, c’est-à-dire d’une théorie qui cherche à comprendre les relations entre le développement des organismes depuis leur stade embryonnaire et leur évolution dans des conditions spatiales et biogéographiques variables.
Dans le livre de D'Arcy Thompson, un classique de philosophie naturelle, l'auteur s'attache à montrer que tout substrat matériel (biophysique) d'un être vivant recèle un problème authentiquement mathématique, ou, ce qui revient au même, que sa croissance morphologique obéit à une forme mathématique qui peut se réaliser dynamiquement en transformant son espace.
D’une manière plus générale, Thompson était persuadé que l'harmonie du monde transparaît dans la forme et le nombre, et que « le cœur et l'âme et toute la poésie de la philosophie naturelle sont personnifiés par le concept de beauté mathématique ». Il s'était efforcé de montrer au naturaliste combien quelques concepts mathématiques et quelques principes dynamiques pourraient lui venir en aide et le guider dans sa recherche d'une explication des phénomènes naturels. Pour lui, la forme d'un fragment de matière, vivante ou non, et les modifications de cette forme qui accompagnent ses mouvements ou sa croissance résultent de l'action de diverses forces. En bref, la forme d'un objet est la « résultante des forces », tout au moins dans le sens que nous pouvons déduire de sa forme les forces qui agissent, ou qui ont agi sur lui.
Dans le cas par exemple d'un solide, il s'agit bien d'une résultante des forces agissant sur lui au moment où il a pris sa configuration et des forces qui lui permettent de conserver cette conformation. Dans le cas d'un liquide (ou d'un gaz), il s’agit des forces qui, dans l'instant, agissent sur sa mobilité inhérente. Dans un organisme, grand ou petit, il nous faut interpréter en termes de forces (et de cinématique) non seulement la nature des mouvements de la matière vivante, mais aussi la conformation même de l'organisme dont la permanence ou l'équilibre s'expriment en termes physiques par l'interaction et l'équilibre des forces. Il est clair que D'Arcy Thompson pensait aux notions de force, de forme, et de géométrie comme d'un seul tenant, comme intimement entrelacées car indissociables dans leur action même. Dynamique (mouvements et actions des forces), géométrie (transformations conformes, courbure), et morphologie (conformation des organismes, configurations de leur équilibre, modifications de leur forme) sont pour le naturaliste écossais toutes également indispensables à l'étude et à la compréhension de la nature, elles sont un seul et même processus, une seule et même réalité.
Revenons à l'idée importante mentionnée plus haut, à laquelle les recherches récentes en biologie moléculaire et en biologie du développement apportent des preuves expérimentales de plus en plus décisives, selon laquelle toute régulation épigénétique et comportementale d'une espèce doit reposer sur une structure géométrie-topologique de nature dynamique qui se réalise dans l'espace des activités métaboliques de l'organisme. Ce qui signifie notamment, comme l'a souligné Alain Connes[5], qu ’« un être vivant ne peut pas être réduit à un état physique hautement improbable d'un ensemble de molécules. »
C'est en effet un point fondamental sur lequel il convient de s’arrêter davantage. La thèse matérialiste prétend qu'un être vivant est entièrement descriptible idéalement par l'état physique – nature, position, vitesse instantanée des molécules qui le composent – et, par conséquent, les paramètres de cet état physique déterminent ses champs de force, gradients, potentiels internes, de sorte que les lois de la physique et de la chimie suffisent à elles seules à rendre compte de l'ensemble de ses réactions métaboliques intérieures et avec le milieu extérieur. Mais il ne faut pas confondre modèle et réalité. Or ce modèle réductionniste est contredit par les caractéristiques les plus fondamentales et spécifiques des êtres vivants. Rappelons-les.
i) Les phénomènes biologiques ne sont pas (totalement) descriptibles par des simples lois physico-chimiques.
ii) Les systèmes biologiques sont constitués de plusieurs niveaux d'organisation correspondant à des échelles d'observation microscopique, mésoscopique et macroscopique. Il convient, en effet, de distinguer entre les niveaux moléculaire, macromoléculaire, de la cellule, de l'organe, de l'organisme, de l'individu, de l'espèce, de la communauté et de l'écosystème.
iii) Les structures du temps et de l’espace des organismes vivants, ainsi que les processus évolutifs et comportementaux, sont très différents selon l'échelle d'observation et le niveau d'organisation auxquels on se place. En plus, la nature des dynamiques correspondantes à chaque échelle est très importante afin de prendre en compte ces différents niveaux d'organisation.
Les comportements des organismes et surtout des individus ne sont pas descriptibles par un petit nombre de lois physiques et chimiques de nature mécaniste et déterministe, et moins encore par un ensemble fini de règles informatiques (logarithme ou code qu’il soit). Car les organismes et les individus sont des systèmes (biologiquement) ouverts et (historiquement) contingents aux dimensions et aux formes multiples et complexes, vivant dans un présent changeant, en quelque sorte tributaire du passé et continuellement projeté vers le futur.
En plus, et c'est là un point fondamental, même les macromolécules et les cellules, et a fortiori les organismes et les espèces, sont organisées par un schéma morphologique d'ensemble irréductible à une simple collection de molécules et qui est aussi autre chose que le code génétique. Ce schéma est une entité topologique et dynamique qui agit de façon hautement dynamique sur l'espace métabolique et fonctionnel de chaque être vivant en déterminant pour une grande partie ses propres processus de croissance et de régénération. Et c'est lui qui caractérise un individu beaucoup plus que l'état physique, nature, position, vitesse instantanée des molécules qui le composent.
Dans la nature, et surtout dans la nature organique, on sait qu'il n'y a pas d'individuation possible chez un organisme sans que se produisent genèse et évolution de formes. Les principaux stades du développement et de la croissance de tout être vivant conduit à l’apparition de nouvelles formes, d'abord par la différentiation cellulaire, puis par la construction de nouveaux tissus et organes, et enfin par le façonnage de l'organisme tout entier. La forme constitue ainsi la propriété la plus caractéristique des formations organiques du monde vivant – à la fois de son unité et de sa diversité. La morphogenèse est par conséquent la question centrale de l'ontogenèse, c'est-à-dire de la constitution de l'individu adulte depuis son développement embryonnaire jusqu'aux stades ultérieurs du développement physiologique et cognitif[6].
La vie est genèse et déploiement de formes, qui à leur tour sont capables de produire de nouvelles formes dans l'espace et le temps selon un mouvement sans fin. Remarquons que des nombreuses espèces végétales et animales, y compris notre espèce, sont douées du pouvoir de régulation et de régénération. Cette genèse se réalise selon deux processus, qui aboutissent à la reconstitution de l'organisme. Dans un cas, une partie forme un tout qui n'avait pas encore existé, tandis que dans l'autre elle reforme un tout, qui avait déjà existé à l'état d'organisme complet. Mais ce qui est aussi extraordinaire, c'est qu'aux origines mêmes de la vie on trouve des structures et des opérations mathématiques comme les symétries et surtout les brisures de symétrie dont l'action sur l'espace biologique concret d'un embryon ou d'un organisme adulte est à même de produire de nouvelles formes.
La compréhension des formes, de leur évolution et changement, ne peut en aucun cas se réduire à une pure description mécanique de leurs bases physiques, chimiques, ou bien encore, informatiques et algorithmiques. Cela est vrai aussi bien des formes naturelles et biologiques, que des formes esthétiques et symboliques. Par une méthode purement chimique et quantitative, on détruit la forme, ou plutôt, on détruit la structure interne de la forme. Comme le souligne Georges Canguilhem[7], la nature et la vie sont formation de formes, et dès qu'on prétend connaître ces formes en analysant et en déterminant ses composantes en dehors de sa morphogenèse et de son interaction avec leur milieu vital, on finit par traiter des matières informes, car les formes vivantes sont des « totalités» dont le sens réside dans leur tendance à se réaliser comme telles au cours du développement. Et c'est pourquoi, souligne Canguilhem, elles peuvent être saisies dans une vision, jamais dans une division.
7. Biodiversité et écodynamique
Le concept de biodiversité est lié à l’idée fondamentale que dans le monde vivant (humain, végétal et animal) chaque organisme occupe sa propre position et joue un rôle précis à l’intérieur d’un processus unitaire d’auto-organisation. La capacité d’auto-organisation constitue une caractéristique générale des systèmes vivants, et elle concerne des phénomènes qui apparaissent à plusieurs niveaux d’organisation et de régulation, notamment la cellule, l’organisme, l’écosystème, la nature.
La végétation constitue un exemple par excellence de milieu auto-organisé au niveau d’écosystème. Elle peut être conçue comme un système ouvert, faisant partie d’un flot cyclique (de création et utilisation) d’énergie. On a une source d’énergie sous forme de radiation lumineuse, et l’énergie lumineuse, en principe propre et libre, est disponible pour les êtres vivants. C’est aux plantes, seules capables de réaliser la photosynthèse, qu’on doit la production de l’énergie utilisée par les animaux et les humains. C’est également grâce aux plantes que l’entropie de notre planète, qui fonctionne sous le mode d’un immense système thermodynamique, ne devient pas complètement irréversible et que le déséquilibre entre énergie propre et énergie polluante n’est pas définitivement altéré. Et comme toute forme de vie serait impossible sans énergie, les plantes et leur fonctionnement complexe sont donc essentiels à notre propre existence. Ainsi, cette réalité ontologique incontournable du végétal apparaît bien un fait constitutif de notre relation au monde.
Au sein d’un écosystème complexe les organismes sont à même de s’adapter aux conditions environnementales extérieures, en particulier à celles qui n’altèrent de manière irréversible sa fonctionnalité et son métabolisme, et ce soit par la variabilité individuelle soit par la spéciation. En effet, la végétation a développé une grande capacité de s’adapter à des milieux et facteurs extérieurs en interagissant avec d’autres groupes d’organismes vivants. Or tout cela peut être interprété en termes d’auto-organisation, c’est-à-dire comme capacité de régénération et de changement. Toutefois, il est clair que l’auto-organisation nécessite de certaines conditions pour subsister et que cette capacité n’est pas illimitée. La forme la plus évidente et significative vers laquelle la végétation tend à s’auto-organiser est celle d’un système pluristratifié. Ce qui peut s’expliquer comme une conséquence de la fonction et caractéristique de la végétation qui est la photosynthèse. Plus précisément, l’auto-organisation peut être caractérisée comme l’apparition ou l’émergence progressive de structures spatiales évoluant dans le temps biologique et historique, c’est-à-dire suivant certaines phases et selon certains cycles.
Un élément central d’une nouvelle conception de la biodiversité et des milieux anthropiques est le lien étroit que l’on peut établir entre nature et soutenabilité, entre écologie et économie, à travers l’application d’indicateurs éco-dynamiques ou indicateurs de soutenabilité, qui généralement se réfèrent à des systèmes thermodynamiques ouverts. Deux indicateurs éco-dynamiques sont particulièrement importants : l’un, appelé indicateur d’empreinte écologique, étudie la différence entre la disponibilité de ressources d’un territoire et la demande de ressources par la population qu’y vit ; l’autre désigne le bilan du gaz à effet de serre et il sert à analyser l’écart entre les émissions et l’absorption de gaz carbonique. L’étude de ces indicateurs se fonde sur deux principes importants : le principe de rendement soutenable, selon lequel les ressources doivent être utilisées à un rythme qui permette à la nature de se régénérer ; et le principe de capacité d’absorption, qui dit que la production de biens ne doit produire de débris et déchets (solides et organiques) impossibles à absorber par tel et tel écosystème particulier (et par l’écosystème global, la Terre) dans un temps biologique et historique raisonnable et compatible avec une certaine qualité de la vie. Autrement dit, il faut physiquement (et éthiquement) éviter que ces débris et déchets s’accumulent et produisent de l’entropie.
Le vrai enjeu aujourd’hui est qu’il faut travailler avec trois indicateurs intégrés, dans le triple but d’améliorer qualitativement l’économie (par une décroissance visée et une diminution de la consommation destructrice), de réguler l’usage de l’énergie (en privilégiant les énergies propres et renouvelables) et de respecter l’intégrité des équilibres des milieux vivants et humains. La plupart des modèles économiques actuels, héritiers sur le plan théorique, d’un certain déterminisme mécaniciste et réductionnisme scientiste, considèrent l’environnement (l’ensemble des écosystèmes naturels et anthropiques) comme une externalité ou comme une variable dépendante (du marché, du profit, des technosciences). Or le paradigme écodynamique de la soutenabilité, qui s’appuie sur une démarche visant une intégration profonde entre les milieux naturels et milieux humains, exige en revanche que l’on réunisse dans un même modèle les milieux naturels et anthropiques et le cycle productif ; à ce moment-là, c’est le marché qui fait fonction d’externalité. Autrement dit, le marché ne doit pas avoir de priorité par rapport à aux milieux de vie, la véritable priorité réside dans une nouvelle relation entre économie et écologie, entre nature et culture.
8. Le paysage comme milieu intégré et comme œuvre de création
L’étude du paysage par une approche globale et complexe exige un changement de paradigme épistémologique. Les comportements humains et animaux supposent la présence d’un « milieu vital » (un « Umwelt ») qui englobe tout organisme dans un seul et même tout. Considéré en tant qu’organisme ou « formation organique », le paysage devient ainsi à la fois naturel et culturel. Les hommes tirent du paysage différents types d’informations et significations qu’ils utilisent ensuite pour mieux comprendre les comportements des autres organismes vivants, végétaux et animaux. La perception humaine est ainsi fondée sur cette interaction et symbiose qui acquière les caractères d’un fait culturel. Le paysage anthropique comprend donc la sémio-sphère qui, à son tour, englobe tout organisme et transforme le paysage en un milieu spécifique propre à chaque organisme vivant.
Il est important de reconnaître que la vie est un processus de connaissance et une œuvre de création, et que, en même temps, le juste rôle de l’homme dans ce contexte se construit en accord et dans le respect des phénomènes naturels et des autres êtres vivants. La Terre et les différents écosystèmes qui la composent doivent être considérés dans une dimension intégrative et systémique. Chacun de ces écosystèmes constitue en effet un “tout organique” qui, loin d’être simplement la somme de ses parties, exprime une organisation spécifique et des propriétés émergentes, différentes de celles des parties. On peut ainsi dire que le paysage est une “entité réelle”, une portion du monde au sein duquel se substantifient tous les processus, soit naturels qu’anthropiques, qui adviennent à l’intérieur d’un mosaïque complexe d’écosystèmes.
Le dépassement du clivage entre rationalité scientifique objective et rationalité sensible subjective devient possible à la condition de se rapprocher du caractère vital complexe et de la nature pluridimensionnelle de la relation homme, nature et culture. La redécouverte de cette relation comporte une attention concrète nouvelle des paysages, des territoires et des êtres vivants.
L’exigence de paysage répond moins à une esthétique abstraite et conventionnelle qu’à la recherche profonde d’une attitude nouvelle portée vers les espaces habités et les temps vécus, qui renvoie à la qualité des milieux de vie, à une réappropriation des dynamiques historiques et anthropologiques de ces mêmes milieux. Avant d’être une ressource économique, le paysage constitue une source essentielle de diversité culturelle et biodiversité. C’est ce qui permet de construire une interaction vitale entre les milieux naturels et les milieux vivants.
9. La question de la forme
Le problème conceptuel de la forme et ses enjeux actuels sont tels que nous devons tous – chercheurs en sciences mathématique, naturelles et humaines, et aussi philosophes, historiens et artistes – nous sentir concernés par l'exigence impérieuse d'esquisser les jalons d'une nouvelle conception de la réalité, dans laquelle les notions d'application et de réduction doivent être remplacées par les concepts théoriques et concrets de morphogenèse et d'auto-organisation.
Par ailleurs, cette nouvelle pensée des formes apparaît plus que jamais nécessaire pour sauver notre Terre, protéger la biosphère, préserver la diversité extrêmement riche des espèces naturelles, animales et végétales, et également la diversité des cultures, des langues et de la mémoire historique et symbolique à travers le monde entier.
C'est à la condition que la morphogenèse et la morphologie à vocation spatiale et dynamique retrouvent leur juste place dans la recherche scientifique, philosophique et esthétique, que l'on peut espérer réaliser un nouveau rapprochement entre la science, la nature et le vivant. C'est pourquoi aujourd'hui la réhabilitation d'une pensée rationnelle et sensible des formes correspond à la nécessité encore plus qu'au besoin d'une nouvelle intelligibilité scientifique et philosophique de la nature, des êtres vivants et de la perception.
L'essence, le teleos et la dignité de toute chose résident dans la forme. La forme est ainsi l' « être » en devenir de tout phénomène. En ce sens, elle unit le présent au passé, mais en même temps, loin d'être perpétuel (immobile et atemporel), le présent et le réel que nous vivons portent en soi autre chose qui ouvre vers un futur aux résultats inattendus. Toute forme est la trace ou le témoignage vivant des trajectoires multiples qu'a suivies l'évolution sur notre planète, et des transformations de la matière, des organismes et des cultures transmises de génération en génération par les systèmes physiques, biologique et symboliques.
L'individuation des êtres vivants est l'expression la plus essentielle de la genèse des formes. L’individuation s’accompagne toujours d’une série ordonnée de déformations topologiques fondamentales ; c’est le cas notamment de l’embryogénèse animale. En particulier, les stades de la division cellulaire, de la gastrulation et de la neurulation s’avéreraient incompréhensibles sans la prise en compte de cette transformation et réorganisation spatiales. Rappelons que la gastrulation est ce stade du développement embryonnaire et de la morphogenèse où se produit la formation des trois feuillets germinatifs : ectoderme, mésoderme, endoderme, qui correspondent à des états d’organisation primordiaux caractérisant tout organisme vivant à l’échelle de la cellule et de l’organisme. Cette construction de l’organisme, et notamment des tissues, des organes et de ses principaux systèmes physiologiques, est une étape fondamentale de l’ontogenèse.
Il n’y aurait pas d’individuation sans plasticité des formes vivantes. En effet l’ontogenèse du vivant et son histoire naturelle (celle de la diversification des formes de vie par l’évolution et la spéciation, ou celle, toujours renouvelée, de l’élaboration des individus) se fondent, à toutes les échelles, sur une caractéristique et fondamentale : la plasticité. Je l’entends ici comme la capacité que possède le vivant, ou certains de ses constituants, de se déformer, de se modeler (son étymologie grecque, plassô, l’indique), ou d’être façonné en réponse à diverses sollicitations du milieu qui est le sien, tout en conservant une cohérence et une unité profondes. Ainsi on pourrait définir la plasticité comme une tension dynamique entre fragilité et robustesse.
La propriété essentielle de la vie ne se situe pas seulement dans la liberté que la forme pourrait avoir par rapport à la matière, ou que la structure pourrait avoir par rapport à un substrat matériel (physique-chimique par exemple) qui la conditionne, mais bien davantage dans la liberté que la forme semble avoir par rapport à elle-même, c’est-à-dire dans sa capacité transformatrice à se réorganiser de l’intérieur et à se régénérer aussi par des apports extérieurs. La forme ne se réduit jamais à une “base” qui la supporte, et encore moins à un code qui la fabrique, ni non plus à une structure qui en révélerait son noyau essentiel invariant et en en épuiserait ses possibles variations. La forme est le fruit d’un processus dans lequel agissent d’un seul tenant des forces et processus dynamiques et des transformations géométriques et topologiques. Elle émerge et se stabilise lorsque se réalise une adéquation optimale entre capacité de déploiement dynamique et changement qualitatif d’un objet investi par des tensions et des mouvements.
Cette relation entre fragilité et robustesse ou entre instabilité et stabilité pourrait bien constituer un des maillons essentiels d’une relecture philosophique nouvelle du vivant, et peut-être aussi, de manière plus générale, de la nature et de la culture.
Repenser le labyrinthe du vivant en suivant le fil d’Ariane de la plasticité morphologique, fonctionnelle et historique n’est pas une entreprise à finalité seulement théorique ou spéculative. Car si la plasticité, telle que nous l’avons caractérisée plus haut, est une condition cruciale du vivant et de son ontogenèse et phylogenèse, elle en permet aussi la manipulation, voire la destruction, lorsqu’on s’y restreint à sa signification la plus réductrice que soit, c’est-à-dire applicative et technologique. D’où aussi la nécessité, à l’heure où se multiplient les innovations biotechnologiques et ses applications parfois douteuses et indésirables, de poursuivre et d’affermir une réflexion éthique sur le statut de la vie et du vivant, de l’être humain. L’horizon philosophique de toute recherche théorique et empirique en biologie, et la pré-condition essentielle de ses possibles applications, ne peut être que la reconnaissance de la valeur éminente de la dignité de l’être humain. Or, sans reconnaissance et respect de sa singularité ontologique et cognitive, il n’existe pas de dignité, et sans dignité, le respect vient à manquer. Toutefois le respect n’est pas ici une catégorie morale mais plutôt une attitude de vie, et elle ne concerne pas que les hommes et les femmes, c’est-à-dire qu’il ne devrait pas y avoir de vision anthropocentrique du respect, mais indistinctement tous les êtres vivants, végétaux et animaux.
Il est clair que la nature du vivant est sujette à des changements, mais ces changements doivent être compatibles et s’harmoniser avec la liberté des êtres humains en tant que réalité ontologique première. C’est la liberté qui définit les limites du champ d’applicabilité des modifications que la science et la technologie peuvent apporter au vivant et à la nature humaine, et non pas le contraire. La vie est par essence transformation, processus, dynamique d’échange entre interne et externe, tout autant qu’imprédictibilité, champs des possibles, contingence historique, et encore, autonomie, finalité, libre choix. Et si nous voulons la conserver, elle doit continuer à être toutes ces propriétés, qualités et significations réunies.
Rousseau n’a pas été étranger à ce genre de réflexions concernant la question de la forme des êtres vivants. On en trouve plusieurs indications dans ses lettres qui témoignent de son attachement à une conception désintéressée de la connaissance et une critique (bien qu’implicite) des manipulations contraires à la nature propre aux formes vivantes. Par exemple, dans la lettre du 2 mai 1773, il écrit :
« … [La botanique] est une étude de pure curiosité et qui n’a d’autre utilité réelle que celle que peut tirer un être pensant et sensible que l’observation de la nature et des merveilles de l’univers. L’homme a dénaturé beaucoup de choses pour les mieux convertir à son usage, en cela il n’est point à blâmer ; mais il n’est pas moins vrai qu’il les a souvent défigurées et quand les œuvres de ses mains il croit étudier vraiment la nature, il se trompe. Cette erreur a lieu surtout dans la société civile, elle a lieu de même dans les jardins. Ces fleurs doubles que l’on admire dans les parterres, sont des monstres dépourvus de la faculté de produire leur semblable dont la nature a doué tous les êtres organisés. Les arbres fruitiers sont à peu près dans le même cas par la greffe ; vous aurez beau planter des pépins de poires ou de pommes des meilleurs espèces, il n’en naîtra jamais que des sauvageons. Ainsi pour connaître la poire et la pomme de la nature, il faut les chercher non dans les potagers mais dans les forets. La chair n’en est pas si grosse et si succulente, mais les semences en murissent mieux, en multiplient davantage, et les arbres en sont infiniment plus grands et plus vigoureux. »
8. Quelques remarques en guise de conclusion
· Les plantes sont des organismes vivants aussi complexes que l’homme, d’un point de vue biologique, physiologique, perceptif et adaptatif ; elles sont au moins aussi évoluées que les animaux.
· Il y a de nombreuses propriétés et comportements des plantes encore peu connues : le mimétisme, le système reproducteur, le système immunitaire, les processus de symbiose entre les plantes et les animaux, entre les plantes et les humains, la physiologie (rôle des couleurs et des parfums), les croisements entre les végétaux et les animaux (plantes carnivores…, trois familles de monocotylédones, tels les palmiers et les graminées, dont les embryons ne contiennent qu’une seule ébauche de feuille, à l’inverse des dicotylédones, présentent des formes primitives de carnivorie…).
· Il existe des processus surprenants de transformation et de transitions d’un genre à un autre et d’une espèce à une autre : des animaux marins, tels les coraux, les anémones et les aplysies, se transforment en plantes par endosymbiose avec des algues chlorophylliennes (ce qui nous amène à revoir notre classification de ce que sont les « plantes » et les « animaux », et aussi à supposer qu’il existe des ensembles monophylétiques, c’est-à-dire qui regroupent un ancêtre commun et tous ses descendants).
· Les végétaux sont tout aussi adaptés que les autres organismes vivants, et survivront probablement aux animaux et a fortiori aux hommes. De fait, les animaux ont besoin dés végétaux pour vivre (alimentation, environnement, etc.), alors que l’inverse n’est pas vrai !
On peut dire que cela avait déjà été en quelque sorte compris par Rousseau lorsqu’il écrivait, au tout début de ses Fragments de Botanique :
« La Botanique est la partie de l’histoire naturelle qui traite du règne végétal, et comme ce règne est le plus riche et le plus varié des trois, la botanique est la partie la plus considérable de l’étude du naturaliste. »
Aujourd’hui on connaît mieux les raisons qui nous font dire que Rousseau avait vu juste. De nombreuses études récentes montrent clairement que les plantes, loin d’être inférieures aux animaux comme on le croit souvent, les dépassent dans bon nombre de domaines du monde biologique. Les quelques raisons que nous allons mentionner devraient clairement le montrer.
(i) Les plantes sont capables de percevoir non seulement la lumière mais la couleur de cette lumière. Elles concentrent et emmagasinent l’énergie, tandis que les animaux l’absorbent et la dispersent.
(ii) Les plantes produisent de l’énergie à travers la photosynthèse. En particulier, elles édifient le 99% de la biomasse des organismes multicellulaires, avec une très grande sobriété de moyens – trois types d’organes seulement, de l’eau et des excréments comme squelette –, et cette édification s’effectue par concentration d’énergie.
(iii) La cellule végétale est probablement plus perfectionnée que la cellule animale. De cette dernière elle réalise la quasi-totalité des fonctions en y ajoutant la clé de toute la biologie : la photosynthèse (le mécanisme par lequel l’énergie lumineuse en provenance du soleil est transformée en énergie chimique utilisée par les animaux et les humains.) Elle parvient pourtant à conserver sa totipotence, ce dont la cellule animale n’est pas capable.
(iv) Les monde végétal est le noyau même de la biodiversité, voire une condition indispensable de la diversité des cultures et des langues à travers la planète, partant de l’existence d’une pluralité de formes de vie. En plus, c’est une entité capable de créations esthétiques et artistiques, ainsi que de perceptions et d’actions ludiques. Il présente également une grande variété de signes qui sont interprétés par des êtres vivants du même règne ou d’autres règnes (animaux et humains) pour permettre toutes ces formes de mimétisme, d’association et de symbiose essentielles au développement et à l’évolution.
(v) Le lien à la nature est vital. La biodiversité, notamment, nous est vitale pour l’entretien du corps et de l’esprit. Ce lien est à la fois proche et lointain : proche parce que la nature est notre corps même, notre physiologie complexe ; lointain parce que les expériences formatrices et ludiques que nous avons vécues en contact avec la nature reviennent constamment à la mémoire en revivifiant et en inspirant notre vie. Ce lien donne un sentiment d’équilibre profond, un équilibre joyeux. La relation à la nature est un lien qui construit la psyché humaine. C’est dans ce lien-là qu’on découvre une humanité faite de curiosité, bonté et respect. La plante et la fleur aident au bien-être. Elles ont une fonction thérapeutique tout autant que fonctionnelle. C’est leur langage spécial, fait de couleurs harmoniquement variées, de formes mélodieusement différentiées et de parfums singulièrement agréables, qui ont une action bénéfique sur nous en nous apportant ce dont psychiquement nous sommes privés ou en magnifiant nos sentiments ou plaisirs, en somme notre bonheur.
Autant de bonnes raisons qui font que nous devons nous intéresser aux plantes, au moins tout autant qu’aux animaux et aux humains. Or, pour cela il nous faut changer de perspective. Il s’agit d’abord de se placer au plan d’une comparaison fructueuse qui montre en quoi les plantes diffèrent des animaux et en quoi ils se ressemblent. Ensuite, il faut comprendre pourquoi l’étude du végétal est importante pour élucider la question de la forme et de ses relations à l’espace et au temps, de la croissance et de la morphogenèse, du fonctionnement et de la communication cellulaires, de l’évolution, de l’appropriation d’énergies propres, de l’écologie et de la formation de sociétés humaines et animales spécifiques.
Ainsi, il est temps de revenir à la botanique, notamment parce que les plantes, et plus généralement le monde végétal, reflètent plusieurs mécanismes généraux de la régulation et de la perception vivantes. En tout cas, les plantes en savent assez sur les secrets de l’action de la lumière et sur les profondeurs de la vie pour que nous n’en méconnaissions leur importance. Il nous faut désormais songer à une botanique qui prenne en compte la plante elle-même, comme une forme de vie originale, comme un modèle en matière d’autonomie et de restauration de l’environnement. C’est alors qu’elle pourrait reprendre sa place au centre des sciences de la vie.
La plante, vue non pas en tant que ressource économique, comme dans les sociétés industrielles, ou en tant que source d’énergie, comme dans les sociétés postindustrielles, mais bien plutôt comme élément essentiel d’une nouvelle phénoménologie et esthétique de la vie fondées sur une véritable recomposition de la ville et de la campagne et sur une pratique qui réconcilie le corps et l’esprit, les différents systèmes sensoriels en une pratique perceptive intégrée. La plante est un être vivant et un bien vital, avant tout pour notre bien-être physiologique parce qu’elle permet une partie des réactions chimiques et métaboliques dont a besoin notre organisme, mais aussi pour nos possibilités d’imagination et de création, et enfin parce qu’elle peut nous apprendre beaucoup en ce qui concerne le respect des autres êtres vivants et sur le plan de la bonté humaine.
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[1] À ne pas confondre avec l’intrication quantique, qui signifie qu’il existe une relation étroite entre deux particules. Plus précisément, le terme désigne l’idée que ces deux objets, même séparés par une certaine distance, sans lien mécanique entre eux, ne forment en réalité qu’un seul tout, qu’une seule entité. Ainsi, lorsqu’on agit sur un des membres d’une paire de photons intriqués, l’autre réagit immédiatement en conséquence, qu’ils soient éloignés d’un millimètre ou de vingt kilomètres l’un de l’autre.
[2] Il s'agit de « L'Homme et la coquille », dans Cahiers, t. I, Pléiade, Paris, 1974.
[3] Cet aspect du développement a été particulièrement mis en évidence par l’embryologiste et généticien H. C. Waddington et par le topologue René Thom.
[4] Léonard de Vinci s’était posé le même type de problème. Il parle de “phénomène particulier”, par lequel il n’entend jamais quelque chose d’isolé du reste, mais bien plutôt un phénomène qui, bien que manifestant des comportements spécifiques, il reflet des règles et des principes généraux. On peut citer, à ce propos, quelques exemples particulièrement significatifs. Les remarquables observations que Léonard fit en botanique le conduiront à postuler que les feuilles ne sont pas disposées sur les branches au hasard, mais selon des lois mathématiques, dont la formulation précise sera donnée trois siècles plus tard par les frères Bravais (“Essai sur la disposition des feuilles curviseriées”, Annales des Sciences Naturelles, Botanique, 7, 1837, 42-110). En effet, la croissance des feuilles évite leur superposition afin de capter la plus grande quantité de lumière. Léonard découvrit également que les anneaux concentriques dans les troncs indiquent l’âge de la plante, une observation qui fut confirmée plus d’un siècle plus tard par Marcello Malpighi.
[5] Alain Connes (avec A. Lichnerowicz et M. P. Schützenberger), Triangle de pensées, Odile Jacob, 2000.
[6] Cf. : C. H. Waddington, Principles of Embriology (Londres, 1956) ; N. Le Dourain, Des chimères, des clones et des gènes (Paris, 2000).
[7] Dans La connaissance de la vie (Paris, 1965)