Interior Passage in the Colosseum François Diday (1802-1877) (The metropolitan museum of art) |
Colloque international Fortune de la philosophie cartésienne au Japon
– Université libre de Bruxelles, 16-17 octobre 2014 –
Existe-t-il une rationalité non cartésienne au Japon ?
– vers une issue à l’acosmie bas-moderne –
Résumé – Si le cogito, et à sa suite le sujet moderne, a prétendu affranchir son être de tout lieu et de tout milieu, NISHIDA Kitarô (1870-1945), et à sa suite l'école de Kyôto, a prétendu à l'inverse subsumer l'être dans le lieu ou le milieu (basho). Ce culbutage du paradigme occidental moderne classique fascine toujours de nombreux philosophes, tant japonais qu'étrangers. Effectivement, il peut sembler remédier au défaut essentiel de ce paradigme, qui à force d'abstraire le sujet humain de son milieu en est arrivé à menacer la possibilité de son existence même sur la planète Terre. Il mène toutefois à l'excès inverse : un ethnocentrisme mystique incapable de prendre en compte rationnellement les problèmes concrets de l'existence humaine dans son milieu terrestre (l'écoumène). On cherchera ici une voie moyenne entre ces deux extrêmes, dans le fil de la mésologie de Jakob von UEXKÜLL (1864-1944) et de WATSUJI Tetsurô (1889-1960) .
1. Dans l’axe du grand torii de Miyajima
L’un des trois plus célèbres paysages de la tradition japonaise est le grand portique (ô torii 大鳥居) du temple d’Itsukushima, sur l’île de Miyajima. Ce temple fut bâti en 593 par Saeki no Kuramoto, entièrement sur pilotis parce que, pour la religion shintô, l’île elle-même étant une déesse, l’on n’était pas censé y poser le pied. En 1168, Taira no Kiyomori y fit ajouter dans la mer le grand torii qui a rendu ce lieu célèbre entre tous, à l’égal de la flèche de sable d’Ama no hashidate et des îles de Matsushima – soit les fameuses « trois vues du Japon », Nihon sankei 日本三景. Le portique actuel a été rebâti en 1875. En 1996, l’UNESCO a classé le site au rang de patrimoine de l’humanité.
Or si l'on visite aujourd'hui Miyajima, l'on y verra, sur la rive opposée du détroit, soit à environ 1500 m dans l'axe exact du grand torii, une disneyesque bâtisse d'un blanc éclatant, « Musée des bois d’où l’on voit la mer », Umi no mieru mori bijutsukan 海の見える社美術館. Ce machin grotesque est l’œuvre de la secte néo-bouddhique Byôdôdaiekai (平等大慧会), qui en 1978 avait initialement installé ici sa « Résidence royale » (Ôshajô 王舎城)[2], puis l’a rebaptisée et agrandie dans son état actuel en 2005 – soit une dizaine d’années après le classement de Miyajima au patrimoine mondial, qui chaque année y attire une foule énorme du monde entier.
Le Musée des bois d’où l’on voit la mer, ce bras d’honneur adressé à l’histoire du Japon comme à l’humanité contemporaine, n’a rien de particulièrement exotique. Ce n’est pas une nipponerie, c’est une expression normale de la rationalité moderne, celle du POMC (le paradigme occidental moderne classique), dont le principe métaphysique fut posé par Descartes voici bientôt quatre siècles. Ce principe, que l’on appelle le dualisme, avec son atopisme corrélatif, est excellemment résumé par le Discours de la méthode (1637) dans la phrase suivante : « je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle »[3]. Voilà donc, en son épiphanie, le sujet individuel moderne détaché de tout lieu et de tout milieu concret, tout cela étant désormais non seulement converti en objets, mais aussi, quant aux êtres vivants, converti en machines puisque dénué de toute subjectité (hormis les semblables du cogito).
Certes, ce n’est pas le seul Descartes qui, d’un coup de baguette magique, aurait accompli cette objectification-mécanisation du monde ; il n’a fait que l’exprimer plus clairement que tout autre penseur. Toujours est-il que le dualisme, en découplant les choses de l’être de l’humain pour en faire de simples objets, les a du même coup vidées de toute valeur morale et livrées au seul calcul. Au calcul de qui ? Du sujet, cela va de soi. Du sujet abstrait de son milieu, et, partant, libre de manipuler celui-ci à sa guise, à la seule toise de son propre intérêt. C’est ce que traduira un peu plus tard l’utilitarisme, et que le marché imposera petit à petit sur la planète entière.
Quel rapport avec l’axe du grand torii de Miyajima ? Eh bien, que celui-ci n’aurait jamais été profané par les constructions que, sur l’image, on y voit en arrière-plan, si le dualisme moderne n’avait pas vidé ce paysage de toute valeur morale, en le convertissant en un simple objet de consommation. Consommation par qui ? Par le sujet moderne, en l’occurrence par les promoteurs et les acheteurs des manshon[4] qui s’y bousculent pour profiter de la vue imprenable qu’on y a sur Miyajima, tout comme Le Corbusier, en proposant la construction d’une barre de grande hauteur à la place de la gare d’Orsay (devenue aujourd’hui le musée d’Orsay, à Paris), vantait la vue imprenable qu’on aurait de là sur la Seine, le Louvre et le jardin des Tuileries. Que l’érection d’une telle barre, ou de telles manshon, ravage ipso facto le paysage qu’elle entend consommer, voilà qui n’entre pas dans le calcul rationnel du sujet individuel moderne : je consomme, je jette, et après moi le déluge.
L’utilitarisme de cette rationalité, certes, est un peu froid, et pour tout dire cynique. Il faut donc l’enrober de chocolat. C’est ce que la Résidence royale de la secte Byôdôdaiekai, tout en célébrant la vue qu’elle accapare – « sous les yeux s’étend le paysage de la mer Intérieure, et d’abord Miyajima »[5] –, effectue en assurant qu’il y a là « réconciliation de la nature, de l’homme et de la culture »[6].
Réconciliation ou pas, l’effet concret d’une telle rationalité revient à ce que le poète Li Shangyin (813-859), sous la dynastie Tang, qualifiait déjà de « tue-paysage » (shafengjing 殺風景, prononcé sappûkei en japonais). L’équivalent de cette notion aujourd’hui, c’est cet « espace foutoir » (junkspace) qu’a stigmatisé un Rem Koolhaas[7], tout en le pratiquant cyniquement lui-même à grande fanfare. L’espace foutoir est un espace décosmisé, ce qui s’ensuit fort rationnellement de la désertion de l’étendue par le sujet moderne. L’extensio cartésienne n’a en effet plus rien à voir avec ces valeurs tout humaines que Platon, à la fin du Timée, reconnaissait au kosmos : qu’il serait megistos kai aristos kallistos te kai teleôtatos, « le plus grand, le meilleur, le plus beau et le plus accompli ». L’étendue moderne, elle, n’est qu’un objet neutre en soi-même, sinon objectivement paré des valeurs du marché par l’invisible main dudit marché. Or cela, c’est l’effet on ne peut plus logique du dualisme, qui a découplé l’être du sujet moderne de tout lieu et de toute chose matérielle. C’est l’effet rationnel du POMC.
Mais comment une telle rationalité a-t-elle pu s’imposer dans une culture où les îles pouvaient être déesses, et la mer le parvis sacré d’un temple comme celui d’Itsukushima ? Tout simplement parce que c’est le principe même de la modernité.
2. Modernité, cartésianisme et acosmie
Au contraire de l’acosmie, le propre de la cosmicité, c’est d’intégrer dans une convenance générale (kosmos, mundus) la tenue du microcosme (le corps propre, la maison), du mésocosme (la ville, la campagne) et du macrocosme (le monde, l’univers). Or c’est cette intégration générale que le dualisme décompose, en y introduisant le clivage entre sujet et objet, et en rejetant donc dans les ténèbres du tiers exclu ce « troisième et autre genre » (triton allo genos) que Platon, dans le Timée (48e3), reconnaissait pourtant à la chôra, c’est-à-dire au milieu nécessaire à l’existence de l’être relatif (genesis)[8]. En effet, étant à la fois la matrice (mêtêr : mère, 50d2 ; tithênê : nourrice, 52d4) et l’empreinte (ekmageion, 50c1) de la genesis, donc à la fois une chose et son contraire, la chôra contrevient à la fois au principe d’identité (A est A) et au principe de contradiction (A n’est pas non-A). Le rationalisme de Platon évacue donc cette idée de milieu comme « difficilement croyable » (mogis piston, 52b2), relevant d’un « raisonnement bâtard » (logismo tini nothô, 52b2), ce qui fait qu’« on rêve en la voyant » (oneiropoloumen blepontes, 52b3).
Exit donc le milieu hors du champ de la raison (le logos) et de ce qui deviendra la science, du moins jusqu’à ce que deux millénaires plus tard, dans l’œuvre de Jakob von Uexküll (1864-1944)[9], la science moderne elle-même n’en prouve expérimentalement la réalité, et ne prouve par la même occasion que cette réalité ne relève pas de l’objet moderne (ce qu’Uexküll appelle Umgebung, le donné environnemental objectif), qui existe en soi, mais bien du milieu ou du monde ambiant (Umwelt), dont l’existence suppose celle du vivant comme sujet (l’interprète qui crée l’Umwelt à partir de l’Umgebung). Autrement dit, le milieu ne relève proprement ni de l’objectif ni du subjectif, mais d’un troisième et autre genre, que j’appelle le trajectif[10].
La trajectivité des milieux est insaisissable par le dualisme, qui la forclôt par définition. C’est ce dont Watsuji Tetsurô (1889-1960)[11] pose d’emblée le principe dans Fûdo. Le milieu humain[12] :
« Ce que vise ce livre, c’est à élucider la médiance en tant que moment structurel de l’existence humaine. La question n’est donc pas ici de savoir en quoi l’environnement naturel régit la vie humaine. Ce qu’on entend généralement par environnement naturel est une chose que, pour en faire un objet, l’on a dégagée de son sol concret, la médiance humaine. Quand on pense la relation entre cette chose et la vie humaine, celle-ci est elle-même déjà objectifiée. Cette position consiste donc à examiner le rapport de deux objets ; elle ne concerne pas l’existence humaine dans sa subjectité. C’est celle-ci en revanche qui est pour nous la question. Bien que les phénomènes médiaux soient ici constamment mis en question, c’est en tant qu’expressions de l’existence humaine dans sa subjectité, non pas en tant que ce qu’on appelle l’environnement naturel. Je récuse d’avance toute confusion sur ce point ».
On voit que ce que Watsuji appelle « environnement naturel » (shizen kankyô 自然環境) correspond à ce qu’Uexküll appelle Umgebung, et ce qu’il appelle « milieu » (fûdo 風土) à l’Umwelt selon Uexküll. On voit surtout qu’il introduit, dès la première ligne, le concept de « médiance » (fûdosei 風土性)[13], qu’il définit comme « le moment structurel de l’existence humaine » (ningen sonzai no kôzô keiki 人間存在の構造契機). « Moment » doit être ici entendu non comme un court laps de temps, mais comme en mécanique : une puissance de mouvoir engendrée par le rapport de deux forces, qui sont ici respectivement l’individu et son milieu.
Le principe ontologique de la médiance va directement à l’encontre du dualisme, en récusant l’abstraction qui sépare le sujet de l’objet. C’est justement le « sol concret » (gutaiteki jiban 具体的地盤) à partir de quoi le dualisme effectue cette abstraction ; à savoir ce lien entre l’être, les lieux et les choses matérielles dont le cogito affirme au contraire n’avoir nul besoin pour être ce qu’il est. En niant ce lien, donc en niant sa médiance, le cogito donnait ipso facto doublement naissance au sujet moderne et à l’objet moderne.
Du même pas, cette double abstraction fonda ontologiquement la modernité, qui petit à petit allait s’exprimer à la surface de la Terre, convertie de ce fait même en un environnement objectal (une Umgebung). Non plus un milieu mais, comme le professait Descartes, une étendue purement matérielle, une extensio dépourvue de tout lien ontologique avec l’existence du sujet. Autrement dit, un objet neutre.
Or l’architecture est ce qui par excellence, en combinant la technique et le symbole, bâtit l’habitation humaine de la Terre (i.e. l’écoumène) ; c’est-à-dire, concrètement, des constructions adéquates en des lieux particuliers. Que se passe-t-il donc lorsque le lien ontologique entre l’être et le lieu est coupé par le dualisme ? Deux choses éminemment modernes :
- D’abord, l’architecture perd son sol concret (sa médiance), qui se trouve remplacé par ce que Mies van der Rohe a nommé l’espace universel. Celui-ci est la traduction architecturale de l’un des principes fondateurs de la physique moderne classique : l’espace absolu de Newton, qui est homogène (partout pareil), isotrope (pareil dans toutes les directions), et infini ; c’est-à-dire exactement le contraire des milieux concrets, lesquels sont nécessairement hétérogènes (puisque les lieux concrets sont tous différents et singuliers), anisotropes (puisque, concrètement, le haut n’est pas le bas, la droite n’est pas la gauche, et l’avant n’est pas l’arrière), et fini (puisque, où que l’on soit sur la Terre, il y a nécessairement un horizon).
- Ensuite, l’expression architecturale de la cosmicité – la convenance réciproque – des trois valeurs humaines fondamentales (le Bien, le Beau, le Vrai) se trouve décomposée. Le Beau, incarné par l’ornement, est arraché du Bien et du Vrai, et l’ornement rejeté comme un mensonge – à la fois faux et mauvais, un simple cosmétique sans plus rien de cosmique. Pour Adolf Loos, l’ornement est un crime. Selon Didier Laroque, cet arrêt de mort de l’ornement, et du même coup la décosmisation de l’architecture, s’est exprimé symboliquement dès le XVIIIe siècle dans les fameuses gravures de Piranèse, le Champ de Mars, qui montrent les ruines d’anciens monuments romains (y compris les ruines de leurs ornements) : « Piranèse n’a pas représenté des ruines d’architecture, mais la ruine de l’architecture »[14].
Si l’ornement est un mensonge, où donc est le Vrai ? La réponse moderne est claire : dans la matière et dans la fonction. Cela n’est autre que l’essence du mécanicisme, lui-même entraîné par le dualisme. Effectivement, si la subjectité se trouve concentrée dans le seul cogito, alors le reste du monde n’est qu’une machine objectale. Ce principe s’est d’abord exprimé dans la théorie cartésienne de l’animal machine, mais ses conséquences vont bien au delà. Cela signifie en effet que la totalité du milieu a cessé de vivre (c’est ce que j’appelle l’arrêt sur objet)[15], cessant ipso facto d’être un milieu (une Umwelt participant de la vie du sujet), pour se muer en un environnement mécanique (une Umgebung). Traduit en termes d’architecture et d’urbanisme, cela donne la Charte d’Athènes et la fameuse déclaration de Le Corbusier : « Une maison est une machine à habiter ».
Comme on l’a vu, cela commence avec la double abstraction du sujet et de l’objet hors du sol concret qu’est la médiance. Désormais, le Vrai doit être cherché, analytiquement, dans la machinerie d’éléments toujours plus simples. Cela engendre le réductionnisme : le complexe doit être réduit au simplex. Et comme le physique est plus simple que le biologique, et celui-ci plus simple que l’humain, il faut donc réduire l’humain au biologique, et celui-ci au physique (y compris le chimique). Plus c’est simple, plus c’est vrai ! Ce principe – la lex parsimoniae – remonte au rasoir d’Occam, au XIVe siècle.
Le problème, c’est que le véritable déploiement de l’être sur la Terre est allé dans le sens exactement inverse, par émergence d’états toujours plus complexes, irréductibles à ce dont ils émergeaient. La planète (physico-chimique) a progressivement engendré la biosphère (combinant la vie au physico-chimique), laquelle à son tour a engendré l’écoumène (combinant la technique et le symbole aux écosystèmes). L’écoumène (l’ensemble des milieux humains) est éco-techno-symbolique, pas seulement écologique comme la biosphère, qui déjà n’était pas seulement physico-chimique comme la planète. C’est dire que le réductionnisme, pour commode qu’il soit, est ontologiquement faux. Et d’abord, les animaux ne sont pas des machines. Comme Uexküll l’a prouvé, ce sont des sujets, pas des objets. À plus forte raison, une maison n’est pas une machine ; c’est un aspect de la médiance humaine, et par suite, si elle doit être fonctionnelle, cela ne peut qu’être en tant que moment structurel de notre propre existence. Bien plus qu’une machine, la maison est un facteur de l’être de l’humain.
Cela vaut pour l’architecture, l’aménagement et la cosmicité en général. Le plus simple n’est pas le plus vrai, la réalité est plus complexe. Couplé au mécanicisme, l’adage superbe de Mies van der Rohe, less is more, n’a donc plus rien à voir avec, disons, le principe du wabi 侘び chez Rikyû, selon lequel le dépouillement devient source de richesse éthique et esthétique[16] ; cela n’aboutit qu’à la misère, esthétique aussi bien qu’éthique, ce qui ne pouvait manquer d’entraîner chez Robert Venturi l’adage inverse : less is bore. L’être humain ne peut vivre dans de simples parallélépipèdes, parce que la vie humaine excède la géométrie. Elle a besoin d’architecture[17], pas qu’on l’inféode à une mécanique.
Certes, comme Charles Jencks nous en a informés dès les premières lignes de The Language of Post-Modern Architecture (1977)[18], « L’architecture moderne est [censée être][19] morte à Saint-Louis, Missouri, le 15 juillet 1972 à 15h32 ou des poussières », quand furent dynamités les premiers blocs du grand ensemble de Pruitt Igoe. C’était il y a près d’un demi-siècle. Mais est-elle réellement morte, l’architecture moderne? Pour sûr, le postmoderne a libéré la forme, que la fonction avait asservie. L’ornement est revenu au premier plan, et des formes splendides ont fleuri aux quatre coins du monde. Mais la plupart du temps, ce ne sont que des formes cosmétiques, de simples katachi 形 à l’esthétique déconnectée de l’éthique de toute forme matricielle (kata 型), larguant n’importe où leur forme individuelle (sugata 姿) sans le moindre égard pour les formes environnantes. Normal, puisque l’objet moderne est abstrait de l’écoumène ! Le postmoderne est ainsi devenu l’âge d’or de ce que j’ai appelé l’architecture E.T. – une architecture descendue des étoiles, pour ainsi dire une starchitecture[20], atterrissant librement où que ce soit sur la planète.
En fait, l’architecture postmoderne n’a nullement renversé le lointain principe de l’architecture moderne, à savoir la double abstraction du sujet et de l’objet hors de l’écoumène, convertie en extensio cartésienne par le dualisme. Au contraire, ce fut une péroraison de ce même principe, substituant à l’impératif moderne « Partout la même chose ! » le mieux-disant « N’importe quoi n’importe où ! » ; ce qui n’était que passer à l’autre branche de l’alternative mécaniciste entre le hasard et la nécessité, forclosant la contingence, ce troisième genre de l’être qu’introduit historiquement la subjectité du vivant. Loin de redécouvrir la médiance, c’était nier plus encore le lieu et le milieu. Un bel exemple de cette attitude a été donné par une œuvre de Takamatsu Shin, l’immeuble Syntax (1990, aujourd’hui démoli) à Kyôto :
Dans sa pratique, exemplaire illustration de l’atopisme – plus exactement de l’achorisme : la forclusion de toute chôra – propre à la modernité, Takamatsu mettait un point d’honneur à ne pas se rendre sur le site d’un futur bâtiment, préférant le concevoir à huis clos dans son atelier, et déléguant seulement des sous-fifres sur place afin d’y prendre les mesures indispensables. Le résultat, en l’occurrence, fut une forme évoquant de près le robot volant Great Mazinger (connu plus tard en France sous le nom de Goldorak), atterrissant là comme il l’eût pu n’importe où ailleurs. L’appeler Syntax ne fut qu’un bras d’honneur supplémentaire adressé par dérision à la composition urbaine, le machinami 街並み (ou 町並み)[22] traditionnel ; car s’il est une chose dont ce machin-là ne se souciait pas, c’était bien d’enchaînement formel avec son entourage.
Ce coup de pied de l’âne du postmoderne à la composition urbaine a engendré l’acosmie de l’espace foutoir, le junkspace à la Koolhaas. C’est la marque de la basse modernité sur la Terre.
Devant ce phénomène, la raison peut choisir deux attitudes :
- La première, de ratifier l’espace foutoir, comme l’a fait Koolhaas lui-même, et, par rapport à l’architecture E.T., surenchérir par une architecture toujours plus Alien, moquant les repères les plus basiques de la condition terrestre, comme la gravité. De ce principe résultent ces œuvres koolhaasiennes entre toutes, purement cosmétiques, que sont l’énorme De Rotterdam, qui évoque un jeu de quilles sur le point de crouler, ou ce que les habitants de Pékin ont surnommé le Grand Calebar (dà kùchă 大裤衩), le siège social de la télévision chinoise (CCTV) – sobriquet bienvenu, parce que ce machin évoque effectivement l’enjambée d’un caleçon long, avec un gros derrière en surplomb, derechef sur le point de s’abattre.
- Ou l’on peut, au contraire, chercher à dépasser l’espace foutoir de la basse modernité. En vertu du principe hölderlinien[23]
Wo aber Gefahr ist, wächst Mais là où il y a danger, croît
Das Rettende auch Aussi ce qui sauve
c’est au Japon, pays où l’espace foutoir aura fait le plus de ravages[24], que nous chercherons la solution.
3. Dépasser l’acosmie de la basse modernité
L’acosmie que manifeste l’architecture contemporaine a des racines profondes. Sa cause première est ontologique, et sous-tend l’ensemble de notre civilisation. Et de même qu’il aura fallu trois siècles pour que le mouvement moderne en architecture exprimât pleinement les principes cartésiens du dualisme et de l’achorie de l’être individuel moderne, de même il faudra longtemps sans doute pour que nous sortions de l’espace foutoir que ces principes ont fini par engendrer. Ce qui est certain du moins, c’est qu’à s’en tenir à de tels principes, notre civilisation court à l’abîme[25]. Pour autant, nous ne pouvons pas revenir en arrière, avant la modernité ; nous devons la dépasser.
« Le dépassement de la modernité » (kindai no chôkoku 近代の超克), l’on sait que ce fut un leitmotiv issu de l’école philosophique dite de Kyôto, Kyôto gakuha 京都学派, qui s’était formée autour de la pensée de Nishida Kitarô (1870-1945)[26]. Celle-ci a-t-elle vraiment dépassé la modernité ? Je ne le crois pas[27]. Elle a simplement culbuté le POMC, fondé sur le double principe de l’être substantiel et de l’identité du sujet dans la logique aristotélicienne, en se proposant de mettre à la place le double principe du néant absolu (zettai mu 絶対無) et de l’identité du prédicat. Cette « logique du prédicat » (jutsugo no ronri 述語の論理) était également appelée « logique du lieu » (basho no ronri 場所の論理) – ledit « lieu » (basho 場所) évoquant du reste beaucoup plus la chôra platonicienne que le topos aristotélicien[28]. Corrélativement, le monde cessait d’être l’extensio substantielle du POMC pour devenir un prédicat insubstantiel – un « monde-prédicat », jutsugo sekai 述語世界 –, assimilé en fin de compte au néant absolu. Le monde fut ainsi absolutisé. Concrètement, et du reste fort logiquement, cela revint historiquement à absolutiser le monde japonais, donc à un pur ethnocentrisme, sous la forme de l’ultranationalisme et du tennôïsme (le culte de l’empereur, assimilé lui aussi au néant absolu, et capable donc de recevoir toutes les nations de la Terre). Loin de dépasser la modernité, la logique du lieu se consuma dans la guerre et finit dans les cendres de Hiroshima.
Il semble donc clair que renverser les principes du POMC – notamment l’achorie du cogito – ne permet pas de dépasser la modernité. Mais d’autre part, ces principes nous ont menés à l’acosmie de la basse modernité, prémice d’un chaos plus terrible. Il faut donc dépasser la modernité. Or une troisième voie est possible, hors de la stérile alternative entre le POMC et sa mise à l’envers. Il s’agit de revenir sur cette chôra que Platon déjà, et définitivement Aristote, avaient forclose dans les ténèbres du tiers exclu ; c’est-à-dire sur la pensée du milieu, dans ce qui serait une mésologie au sens où Uexküll parlait d’Umweltlehre, et Watsuji de fûdoron 風土論[29].
Il s’agit, autrement dit, de penser la concrétude – mieux : la concrescence, le croître-ensemble – de ce « sol concret » dont le dualisme, voici bientôt quatre siècles, a abstrait le sujet d’une part, l’objet de l’autre. Toutefois, cela ne peut revenir à noyer le poisson dans le monisme absolu du basho nishidien, dont l’histoire a montré où il mène. Cette aventure catastrophique est venue de la confusion entre la réalité concrète de l’écoumène et un parti métaphysique qui a justement nié ce sol concret, le néant absolu invoqué par la pensée nishidienne s’accompagnant d’un métabasisme radical qui mettait – encore une fois très logiquement – un « sans-base » (mukitei 無基底) explicite à la place de la substance (sub-stantia, hupo-stasis) occidentale[30].
Si l’erreur de Nishida aura été d’absolutiser mystiquement son basho, du moins nous a-t-il laissé l’idée lumineuse de considérer le monde comme un prédicat. Reprenons cette idée dans une autre perspective, concrète celle-ci : le monde est le prédicat P selon lequel nous saisissons (par les sens, l’action, la pensée, les mots) cette base universelle (cet hupokeimenon : ce sujet S) qu’est la Terre qui nous porte, autrement dit la nature. D’où la formule centrale de la mésologie : la réalité r, c’est S en tant que P : r = S/P. Avec toutefois ce bémol décisif : cela non pas dans l’absolu, mais pour un certain existant, qui est concrètement un être vivant (espèce ou organisme, culture ou personne). Il ne s’agit pas de la binarité abstraite S-P dont peut se contenter le logicien, mais de la ternarité concrète S-I-P, où I est l’interprète, i.e. l’être pour qui S existe en tant que P.
C’est dans cette ternarité que s’effectue la trajection de S en tant que P, d’où concrètement résulte la réalité des choses (S/P). Cette trajection correspond à ce qu’Uexküll appelle « tonation » (Tönung), i.e. ce qui fait exister telle donnée de l’Umgebung en tant que telle chose de l’Umwelt ; par exemple, dans le milieu d’une vache, ce qui fait exister l’herbe (S) en tant qu’aliment (S/P, ce qu’Uexküll appelle Esston, « ton alimentaire »), alors que dans le milieu d’un bousier, cette même herbe (S) existera en tant qu’abri (Schutzton, soit S/P’).
Pour le dualisme, S relève de l’objectif, et P du subjectif. En effet, la substance « herbe » (S) garde son identité d’objet ; P ne saurait donc être qu’une projection subjective et arbitraire sur ce même objet. Mais une telle vue n’est qu’abstraction ; car toute l’évolution de la vie sur Terre s’est faite, en réalité, dans la co-suscitation indéfinie de S et de P en une chaîne trajective, où S et P sont alternativement la matrice et l’empreinte l’un de l’autre. C’est ce dont rend compte la formule suivante : (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’…, où il y a indéfiniment assomption de S en tant que P (soit S/P) et hypostase de S/P en S’ par rapport à P’ (etc.)[31]. D’où, entre autres, les phénomènes de coévolution. Tout cela sur le mode de la ternarité S-I-P, donc de la contingence, et non pas de l’alternative binaire « nécessité vs hasard (ou arbitraire) » que peut seule envisager le dualisme, en particulier de par son mécanicisme.
Or la langue japonaise, au contraire des grandes langues européennes, conduit naturellement à envisager cette ternarité. En effet, l’un de ses traits marquants est ce qu’on peut appeler son aspectivisme. Une scène (bamen 場面) quelconque supposera toujours l’existant à qui cette scène apparaît concrètement, c’est-à-dire sous un certain aspect. Alors par exemple que le français peut dire, sous la forme d’un énoncé binaire (S-P) et apparemment objectif « Marie est triste », le japonais ne le peut pas. Il dira « Mari wa kanashisô da », soit « Marie a l’air triste » ; ce qui est tenir compte de l’existence du locuteur qui, concrètement, dit que Marie est triste, alors qu’il n’est pas Marie et, en toute logique, ne peut donc rendre compte de son intimité, mais seulement de la manière dont celle-ci lui apparaît. Soit S-I-P, et non pas S-P.
Cette ternarité, c’est bien le « sol concret » qu’il nous faut retrouver non point « avant que nature meure », comme un jour l’écrivit Jean Dorst , mais avant que notre monde (P) ne s’écroule pour s’être absolutisé soi-même, comme l’eût prévu Nishida s’il n’était pas lui-même tombé dans le piège de son propre métabasisme. Autrement dit, avant que le dualisme, à force d’abstraire notre existence de ses systèmes d’objets (S), ne finisse par nous supprimer pour de bon[32].
La place manque ici pour détailler la feuille de route que cet impératif implique[33], mais, outre la piste ouverte par Uexküll et Watsuji, reconnaissons que cela n’est autre, au fond, que l’intimation que nous adresse désormais la physique elle-même, pour laquelle, comme l’écrivit Heisenberg, la nature (S) ne peut plus être un pur objet, mais l’aspect de cet objet (S/P) suivant la relation que nous avons expérimentalement avec lui :
« S’il est permis de parler de l’image de la nature selon les sciences exactes de notre temps, il faut entendre par là, plutôt que l’image de la nature, l’image de nos rapports avec la nature. (…) C’est avant tout le réseau des rapports entre l’homme et la nature qui est la visée de cette science. (…) La science, cessant d’être le spectateur de la nature, se reconnaît elle-même comme partie des actions réciproques entre la nature et l’homme. La méthode scientifique, qui choisit, explique, ordonne, admet les limites qui lui sont imposées par le fait que l’emploi de la méthode transforme son objet, et que, par conséquent, la méthode ne peut plus se séparer de son objet »[34].
Or est-ce vraiment si neuf ? En termes proprement scientifiques, oui ; mais ontologiquement, ce n’est que reprendre la question de la chôra là où Platon l’avait forclose – ce qui du reste ne l’empêcha point de conclure le Timée sur une profession de foi proprement mésologique. En effet, en affirmant que le monde (kosmos) est un « vivant » (zôon, 92c6) « visible » (horaton, 92c6) doté de qualités suprêmes (aristos kallistos te kai teleôtatos, 92c8), il posait, près de vingt-cinq siècles à l’avance, le principe ontologique de l’Umwelt uexküllienne, dont l’existence dépend de celle du vivant dont elle est le milieu (ce milieu est donc « vivant »), dont la réalité justement est ce que perçoit cet être (ce milieu est donc « visible »), et qui donc, pour celui-ci, est le seul milieu qui convienne : le meilleur des mondes possibles, « le plus grand, le meilleur, le plus beau et le plus accompli »[35].
Voilà effectivement ce que c’est, la cosmicité. L’ontologie nous en indique la nécessité, la science nous la démontre ; alors, cessons de la défaire au nom d’un prédicat révolu !
Palaiseau, 13 octobre 2014.
[1] Source sur Internet : 宮島の景観問題 (Le problème du paysage de Miyajima), 10/2/2007. NB : le téléobjectif fausse la perspective ; le musée est exactement dans l’axe du portique.
[2] En sanskrit Rājagriha (« résidence royale », aujourd’hui Rajgir dans le Bihar en Inde ), capitale du Magadha, qui intervient souvent dans les écrits bouddhiques.
[3] P. 38-39 dans l’édition 2008, Paris, Garnier-Flammarion.
[4] Immeubles collectifs de luxe et de grande hauteur.
[5] Me no mae ni wa Miyajima wo hajime to suru Seto naikai no keikan ga hirogaru 眼前には宮島をはじめとする瀬戸内海の景観が広がる (même source que le document photographique).
[6] Shizen, hito, bunka no yûwa 自然.人.文化の融和 (même source).
[7] Par exemple dans « Junkspace », October, vol. 100, Obsolescence (Spring 2002), 275-190, consulté sur Internet.
[8] Je précise cet argument dans « La chôra chez Platon », p. 13-27 dans Thierry PAQUOT et Chris YOUNÈS (dir.) Espace et lieu dans la pensée occidentale, Paris, La Découverte, 2012 ; ainsi que, pour un cadrage plus général, dans Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2008 (2000).
[9] Dont Uexküll a résumé l’apport en 1934 dans Streifzüge durch die Umwelten von Tieren und Menschen (Incursions dans les milieux d’animaux et d’humains), Hamburg, Rowolt, 1956 ; traductions Mondes animaux et monde humain, Paris, Denoël, 1965 ; Milieu animal et milieu humain, Paris, Payot et Rivages, 2010.
[10] À partir de Le sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986. Pour une mise en ordre rétrospective des concepts corrélatifs, v. mon La mésologie, pourquoi et pour quoi faire, Nanterre-La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014.
[11] Les anthroponymes japonais sont ici donnés dans leur ordre normal, patronyme en premier.
[12] Paris, CNRS, 2011, p. 35. L’édition japonaise originale (Fûdo. Ningengakuteki kôsatsu) est parue en 1935 aux éditions Iwanami, Tokyo.
[13] Pour traduire le concept de fûdosei, j’ai forgé le néologisme médiance à partir du latin medietas (moitié), rendant donc le couplage dynamique de ces deux « moitiés » que sont le corps individuel et son milieu éco-techno-symbolique, couplage qui en fait l’être humain concret.
[14] Didier LAROQUE, Le discours de Piranèse. L’ornement sublime et le suspens de l’architecture, Paris, éditions de la Passion, 1999, 4e de couverture.
[15] Sur ce thème, v. mon Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000.
[16] Sur ce thème, v. mon Histoire de l’habitat idéal, d’Orient en Occident, Paris, Le Félin, 2010, chap. IV.
[17] Sur la différence entre architecture et géométrie, et notamment entre proportion (géométrique, i.e. dans l’extensio) et échelle (architecturale, i.e. dans l’écoumène), on consultera Philippe BOUDON, Sur l’espace architectural. Essai d’épistémologie de l’architecture, Paris, Dunod, 1971. L’architecture est affaire d’Umwelt, pas d’Umgebung.
[18] Sixième édition, Londres, Academy Editions, 1991.
[19] Crochets introduits par AB.
[20] Soit dit en jouant sur le terme starchitect, qui s’applique aux vedettes comme Koolhaas.
[21] Image prise sur Internet dans la « page de Takamatsu Shin » (高松伸のページ).
[22] La première graphie insiste sur l’aspect de la rue, la seconde sur celui du quartier.
[23] Sur Internet à « Hölderlins Hymne ‘Patmos’ ».
[24] Sur les raisons de ce phénomène, v. mes ouvrages Le Japon, gestion de l’espace et changement social, Paris, Flammarion, 1976 ; Le sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986 ; Du geste à la cité. Formes urbaines et lien social au Japon, Paris, Gallimard, 1993 ; Histoire de l’habitat idéal, op. cit.
[25] Entre mille diagnostics édifiants, l’on pourra lire à cet égard le fort éloquent petit livre d’Erik CONWAY et Naomi ORESKES, L’effondrement de la civilisation occidentale, Paris, éditions Les Liens qui Libèrent (LLL), 2014 (The Collapse of Western Civilization, 2014).
[26] Sur ce thème, v. A. BERQUE (dir.) Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, 2000, 2 vol.
[27] J’ai argumenté cette vue dans « La logique du lieu dépasse-t-elle la modernité ? », p. 41-52, et « Du prédicat sans base : entre mundus et baburu, la modernité », p. 53-62, dans Livia MONNET (dir.) Approches critiques de la pensée japonaise au XXe siècle, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2002.
[28] Sur l’essentielle différence entre chôra et topos, v. le chap. I (« Lieu ») de mon Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000. Le topos d’Aristote préfigure l’atopisme (en fait l’achorie, i.e. le découplage de tout milieu) que partagent le cogito et l’architecture moderne, car il est séparable de la substance (devenue plus tard le sujet et l’objet modernes), tandis que la chôra n’est pas séparable de la genesis dont elle est à la fois l’empreinte et la matrice, i.e. le milieu.
[29] Sur cette perspective, v. mon Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2014.
[30] On ne manquera pas de remarquer que ce métabasisme – cet « on-en-a-fini-avec-la-base » – anticipait de plus d’un demi-siècle celui de la French theory, cet autre avatar de la basse modernité, qui comme celle-ci n’est qu’un tardif sous-produit du dualisme moderne.
[31] Cette thèse est développée dans mon Poétique de la Terre, op. cit.
[32] Nous en avons un avant-goût avec l’implacabilité de la loi mécanique du marché, dont les délocalisations mènent toujours plus massivement à briser la vie des gens.
[33] On en trouvera des éléments dans Poétique de la Terre, op. cit.
[34] Werner HEISENBERG, La nature dans la physique contemporaine (Das Naturbild der heutigen Physik, 1955), Paris, Gallimard, 1962, p. 33-34.
[35] De ce triple principe, Uexküll a tiré une formule percutante : pessimale Umgebung, optimale Umwelt (le pire environnement, le meilleur milieu) ; ce que la découverte répétée d’espèces extrémophiles n’a cessé de corroborer par la suite. On connaît aujourd’hui des bactéries qui sont à l’aise dans une eau fortement radioactive et à plus de 110° !