Guêpe sur Epipactis helleborine Pierre la Treiche, 11 juillet 2005 (source) |
Sur la symbiose biologique
ou des relations entre vivants et milieux
Luciano Boi
Résumé :
Au cours d'un demi siècle (depuis le début des années 1950) la biologie, et tout particulièrement la biologie moléculaire, a considéré l'environnement, plus précisément les milieux naturels et culturels, comme une « extériorité » au vivant, à son développement tout comme à son évolution. Ainsi, la construction d'abord ontogénétique puis phylogénétique des organismes vivants a été coupée de leur histoire naturelle et culturelle.
Selon le modèle moléculaire et mécaniste, qui a dominé dans les sciences du vivant pendant longtemps, cette construction obéit à un programme génétique rigide et unique dont le noyau est constitué par un code physico- chimique, dont la molécule d'ADN en est le support biophysique, censé contenir toutes les étapes du développement morphologique et physiologique des organismes vivants, ainsi que leur évolution à travers des générations. Les recherches récentes sur l'épigénétique ont remis profondément en question ce modèle, en montrant notamment que les relations entre les organismes et leurs milieux constituent un niveau d'organisation et régulation structurel et fonctionnel fondamental des processus vivants, et ce depuis la morphogenèse jusqu'à l'évolution. Ces relations se caractérisent par une extraordinaire plasticité des formes organiques et une grande complexité fonctionnelle.
Les études sur l'épigénétique ont contribué à mettre en évidence que la construction du vivant doit beaucoup au dialogue entre forme et fonction, fait d'interactions multi-causales et multi-niveaux, d'actions et rétroactions: ainsi, par exemple, la forme spatiale de certaines structures macromoléculaires et cellulaires agit de manière essentielle sur l'acquisition de la fonction par les tissus, les organise ou par d'autres systèmes physiologiques complexes; et la fonction, elle, contribue au maintien et au “bon” fonctionnement de la forme. Un premier niveau fondamental où ce dialogue entre forme et fonction est à l'œuvre est celui de l'expression génique et de l'activité cellulaire.
L'épigénétique montre que les principales caractéristiques des êtres vivants dépendent de l'échange constant entre milieux “intérieurs” et “extérieurs” aux organismes, et qu'il est partant impossible de séparer nature et culture, organisation biologique et contingence historique, robustesse des structures et changements des formes. Loin d'être inscrite dans un code simple et mécanique obéissant à une logique binaire (du type gène protéine; protéine fonction ; fonction trait phénotypique), la vie est un phénomène essentiellement coévolutif et créatif, et tout être vivant est une entité multidimensionnelle, qui se déploie sur une pluralité de niveaux biologiques, morphologiques et cognitifs.
Ces dimensions et niveaux forment un tout intégré, dont la compréhension mène à une définition plus riche et plus complète de ce qu'est un être, un système ou un milieu vivant. Le dialogue entre échelles et niveaux différents, et entre l'être et son milieu, est une caractéristique essentielle de la vie. Le phénomène complexe de la symbiose, intra- et interespèces, illustre très bien cette interaction et coévolution vitale entre organismes biologiques et milieux naturels et culturels au sein du monde vivant. Nous décrirons à l'aide de quelques exemples, tirés du monde végétal et animal, ce processus de rencontre et de synthèse entre deux êtres, appartenant ou pas au même règne du monde vivant, qui est à l'origine mêmes des organismes pluricellulaires et de la constante réinvention de la nature, de la robustesse et créativité de la vie. Le phénomène de la symbiose (solidarité, échange, médiance) permet l'émergence de propriétés et de qualités nouvelles, d'où son importance fondamentale pour la diversité
écosysthémique et culturelle, que l'on soulignera dans la dernière partie de l'exposé.
L'auditeur/lecteur intéressé à ces thèmes pourra lires les publications suivantes :
Boi, L., “Epigenetic phenomena, chromatin dynamics, and gene expression. New theoretical approaches in the
study of living systems”, Rivista di Biologia/Biology Forum, 101 (3), 2008, 405-445.
— “Plasticity and Complexity in Biology: Topological Organization, Regulatory Protein Networks and
Mechanisms of Genetic Expression. Toward New Vistas in the Life Sciences”, in G. Terzis and R. Arp
(eds.), Information and Biological Systems. Philosophical and Scientific Perspectives, The MIT Press,
Cambridge (Mass.), 2011, 287-338.
— “Interfaces sciences du vivant et sciences humaine et pensée morphologique”, Kairos, 5 (2011), 13-30.