mercredi 25 novembre 2015

Le vent d'automne et les larmes de rosée / Julie Brock

Lespédèze de montagne 山萩
Lespédèze de montagne 山萩
Séminaire Mésologiques du 13 mars 2015

Le vent d'automne et les larmes de rosée

- un point de vue écouménal sur un poème du Man'yôshû -

Julie Brock

Résumé : Dans les poèmes du Man'yôshû (la plus ancienne anthologie de poèmes japonais dont la compilation s'est achevée au milieu du VIIIe siècle), on trouve fréquemment une figure appelée jo-kotoba : littéralement « les mots qui commencent ». Pour éclaircir le mode de fonctionnement du jo-kotoba, nous examinons un poème du Man'yôshû (vol. 8, n° 1617) dans lequel les deux premiers vers décrivent des lespédèzes couvertes de rosée par une fraîche matinée d'automne, tandis que les deux derniers vers, où les larmes jaillissent irrépressiblement, expriment la tristesse de la séparation. Entre ces deux parties s'intercale un vers médian signifiant « le vent souffle ». Entre les gouttes de rosée qui perlent sur les lespédèzes et les larmes versées par la poétesse, il y a un lien grammatical formé le verbe otsuru, « tomber », et un lien métaphorique engendré par le double sens de aki, qui, dans la graphie du poème signifie « l'automne », et a pour homonyme, dans une autre graphie, un mot signifiant « la rupture, la séparation ». Notre analyse montre que l'automne et la séparation constituent pour ainsi dire un couple de forces qui, portées par le vent, se combinent en un seul moment poétique. Elle conclut que les nombreux effets mis en oeuvre dans ce poème tendent à une combinatoire que les outils de la mésologie permettent de décrire avec justesse et précision.

mercredi 18 novembre 2015

Dépasser l'espace foutoir

Espace foutoir ?
(source)
École supérieure d’art et de design d’Orléans– Conférence, 7 janvier 2015 

Pouvons-nous dépasser l’espace foutoir (junkspace) de la Basse Modernité ?

par Augustin BERQUE

Résumé - Partant d'une citation de Rem Koolhaas, "The cosmetic is the new cosmic", on s'interroge d'abord sur la notion de cosmicité, qui s'exprimait dans toutes les cultures traditionnelles, notamment par l'architecture. En rapprochant cette cosmicité de ce qu'Uexküll a mis en évidence avec la notion d'Umwelt, on montre que cette expression, qui intègre les trois valeurs humaines fondamentales (le Bien, le Beau, le Vrai) en un tout cohérent, répond à une nécessité ontologique qui s'enracine dans le monde vivant. Puis on montre que le dualisme moderne a dissocié ces valeurs, aboutissant ainsi à l'acosmie, contraire de la cosmicité. L'espace foutoir (junkspace) prôné en tout cynisme par un Rem Koolhaas en est un exemple paradigmatique. Pour surmonter cette acosmie, les recettes architecturales ne suffiront pas ; c'est d'une révolution ontologique et logique que nous avons besoin, rétablissant le lien, par delà le dualisme moderne, entre la physique, la biologie et les valeurs humaines, comme y invite la mésologie nouvelle, dérivée de l'Umweltlehre d'Uexküll et du fûdoron de Watsuji (1).


(1) Cet article est la version française, plus élaborée et plus générale, d’une conférence donnée en japonais le 25 septembre 2014 à Okayama au congrès de l’Institut d’architecture du Japon (JIA) sous le titre « 建築の再コスモス化は可能か », et dont une version anglaise, sous le titre « Can we recosmize architecture ? », est également accessible sur notre site. NB : dans le présent texte, les anthroponymes japonais sont donnés dans leur ordre normal, patronyme en premier.

mercredi 11 novembre 2015

Programme de l'année 2015-2016

(source)
PROGRAMME DE L'ANNÉE 2015-2016

Augustin Berque, directeur d'études*
Luciano Boi, maître de conférences
Romaric Jannel, doctorant EPHE
Yoann Moreau, postdoctorant à l'IIAC (EHESS/CNRS)

 

Milieu et monde : l’approche mésologique de la perception

2e et 4e vendredis du mois de 18 h à 20 h (amphithéâtre François Furet, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 13 novembre 2015 au 10 juin 2016.


Dans la mésologie (Umweltlehre) d’Uexküll, la question de la perception tient une place centrale, chaque espèce percevant le donné environnemental brut (Umgebung) d'une manière qui lui est propre, et constituant par là son milieu spécifique (Umwelt). Cette question centrale est directement liée à ce qu'Uexküll a baptisé Bedeutungslehre, l'étude de la signification, qui a fait de lui le précurseur de la biosémiotique, en même temps que son Umweltlehre faisait de lui l'un des fondateurs de l'éthologie. Fortement influencé par Uexküll, Heidegger distinguera le niveau ontologique du minéral, qui est "sans monde" (weltlos), de celui du vivant, qui est "pauvre en monde" (weltarm), et de celui de l'humain, qui grâce à la parole est "formateur de monde" (weltbildend). De son côté, la mésologie (fûdoron) de Watsuji montrait que les différentes cultures humaines perçoivent et aménagent l'environnement  naturel (shizen kankyô) d'une manière spécifique, élaborant ainsi historiquement chacune son milieu propre (fûdo), élaboration qui la structure elle-même dans ce "moment structurel de l'existence humaine" qu'est la médiance (fûdosei). Le problème de la perception apparaît ainsi intimement lié à la mésologie, donc aux notions de milieu et de monde.
    Le séminaire entend renouer aussi avec la pensée de Merleau-Ponty comme de Simondon d’un côté, et avec l’écologie de la perception de Gibson de l’autre, en soulignant le rôle du mouvement dans la perception multimodale ainsi que l’importance de l’interaction entre la saisie corporelle de l’environnement et l’influence des propriétés de celui-ci. Nous tenterons de montrer que c’est cette interaction qui, en déployant un espace-temps singulier à partir de notre fondement terrestre, assure le développement de l’être et de sa relation signifiante au monde. De la physique à la psychologie, de la biologie à l'anthropologie, de la philosophie aux sciences sociales, de l'évolution des espèces à l'histoire humaine, de la vision bouddhique des divers niveaux de conscience jusqu'aux sciences cognitives, le séminaire approchera le problème de la perception par de multiples points de vue, pour rendre justice à sa complexité, mais avec le constant souci d'en tirer une interprétation unifiée par la relation entre milieu(x) et monde(s).

samedi 7 novembre 2015

La montée de la nature dans l’œuvre de Maurice Sauzet / Augustin Berque

« Une autre architecture ... »
(source)
Paru dans Chris Younès (dir.) Maurice Sauzet, poétique de l’architecture, Paris, Norma, 2015, p. 21-27.

La montée de la nature

dans l’œuvre de Maurice Sauzet

par Augustin Berque

I. La nature hante l’œuvre de Maurice Sauzet, tant par les formes où il l’accueille que dans les propos qu’elle lui inspire. Hanter, c’est un verbe déroutant. Les étymologistes ont longtemps cru qu’il dérivait du latin habitare, avec le sens de fréquenter, être souvent quelque part, ou même habiter. À l’époque classique, on pouvait dire en ce sens « hanter chez quelqu’un », voire « hanter céans », c’est-à-dire habiter ici. Puis l’on a découvert que ce mot, venant de Normandie, dérivait de l’ancien scandinave heimta, retrouver, conduire à la maison (la racine est la même que celle de l’allemand Heim ou de l’anglais home).  Dire que « la nature hante l’œuvre de Maurice Sauzet », en somme, cela voudrait dire que l’œuvre de cet architecte conduit la nature à la maison. « À la maison » : chez elle ?