mercredi 28 mars 2018

« La pensée paysagère », qu’est-ce que cela veut dire ? / Augustin Berque

Un chat peut-il regarder un paysage ?
(question de Yoann Moreau à Hiroshige)
source
Pavillon de l’Arsenal
Conférence, 9 décembre 2017

 « La pensée paysagère »,qu’est-ce que cela veut dire ?

par Augustin Berque



§ 1. Dans un certain passé
            « Pensée paysagère » est une expression peu courante. La pensée paysagère, c’est d’abord le titre d’un petit livre sur le paysage que j’ai publié en 2008[1] ; titre à dessein quelque peu ambivalent, car il concerne à la fois des choses et l’existence humaine. Ce titre consonne probablement avec celui d’un livre qu’avait dirigé peu auparavant Javier Maderuelo[2], Paisaje y pensamiento (Paysage et pensée, 2006), auquel j’avais participé[3], ainsi qu’avec celui d’un livre de Michel Collot, La pensée-paysage[4]. Ce dernier a été publié un peu plus tard, en 2011, mais il faisait suite à un séminaire du même titre. Il n’est donc pas impossible que ces deux titres m’aient inspiré au moment où j’en cherchais un pour mon propre livre, écrit en 2007 à la demande de Martine Bouchier pour une collection qu’elle était en train de lancer ; demande qui venait à point, car j’éprouvais le besoin de mettre au clair les idées directrices de l’enseignement que j’avais dispensé pendant une quinzaine d’années dans le tronc commun du Diplôme d’études approfondies (DEA) « Jardins, paysages, territoires » (JPT)[5], fondé en 1991 par Bernard Lassus à l’école d’architecture de Paris-La Villette (EAPLV, aujourd’hui ENSAPLV) en association avec l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Dans ce cadre, je considérais le paysage du point de vue de la mésologie, l’étude des milieux dans le fil du fûdoron 風土論de Watsuji et de l’Umweltlehre d’Uexküll[6].

mercredi 14 mars 2018

Paysage, morphose et mésologie / Augustin Berque

Picture of the Emperor's Travels to Ōu
Viewing Rice Paddies in Saitama Prefecture
(Hiroshige, 1876)
source
École nationale d’architecture de Paris-La Villette
Exposé au Laboratoire Architecture, Milieu, Paysage (AMP), le 1er décembre 2017

Paysage, morphose et mésologie

par Augustin Berque

Résumé : La problématique du milieu a débuté en ce qui me concerne avec un séminaire collectif organisé en 1983-1984 à l'EHESS sur le thème « paysage empreinte, paysage matrice ». Empreinte parce que, par la technique, les formes paysagères portent la marque des œuvres humaines (c'est l'anthropisation de l'environnement) ; matrice parce que, par le symbole, elles influencent nos manières de percevoir, de penser et d'agir (c'est l'humanisation de l'environnement) ; ce qui, à l'échelle de l'espèce, par effet en retour, a même entraîné l'hominisation (l’on adopte ici la thèse de Leroi-Gourhan). L'ambivalence de ces formes actives et passives à la fois en fait des prises médiales, analogues aux affordances gibsoniennes, et relevant du syllemme (à la fois A et non-A) comme le « troisième et autre genre » (triton allo genos) de la chôra platonicienne, c’est-à-dire le monde sensible ou le milieu existentiel, qui est à la fois « l’empreinte sur la cire » et la « mère » ou la « nourrice », autrement dit à la fois l'empreinte et la matrice de l'être relatif, la genesis.