mercredi 30 mai 2012

Logique du tiers inclus / C. Plouviet

Paul Klee Seiltänzer
Paul Klee, "Seiltänzer" (1923)
(source)
  Séminaire Complexités et Société Monde, EHESS / A. Pena-Vega

Vision transdisciplinaire de la logique dynamique du tiers inclus contradictoire

Claude Plouviet

Note introductive (par Y.  Moreau) : De la logique classique à Lupasco, il n'y a pas seulement un pas mais, d'une certaine manière, une jambe en plus. La logique du tiers non exclu, c'est l'intégration du milieu dans la locomotion (mentale et physique). On ne marche pas seulement parce que l'on a deux jambes, mais parce qu'il y a un sol, un environnement, une pesanteur, etc. 

Le docteur Claude Plouviet présente ici, par portraits successifs, les différentes trajectoires de ce qui s'est dit sur les possibilités d'inclusion du tiers : l'approche ternaire de S. Lupasco (1900-1988), la question du rapport signifiant-signifié chez F. de Saussure (1857-1913), la notion d'auto-organisation du Nobel de chimie Jean-Marie Lehn (1939), l'apodictique d'un Pierre Legendre (1930), le "ceci n'est pas une pipe" de Magritte (1898-1967), l'acculturation selon R. Bastide (1898-1974), l'écart d'un F. Jullien (1951), la médiance d'A. Berque (1942), l'émergence sonologique d'un Di Scipio (1962), l'énaction de F. Varela (1946-2001), l'affordance de J. J. Gibson (1904-1979), la médiologie de R. Debray (1940), la complexité d'Edgar Morin (1921). 

A travers l'ensemble de ces notions c'est le contexte épistémologique des mésologiques qui se précise, c'est la logique médiale qui s'étoffe et s'enrichit d'un vocabulaire qui, on le découvre, est riche, prolixe et précis.

mercredi 23 mai 2012

La spatialité nipponne à l'index / A. Berque

Mont Fuji Yokoyama Taikan
Mt. Fuji, YOKOYAMA Taikan, 1930.
(source : Ishibashi Museum of Art)
Japarchi – Vocabulaire de la spatialité japonaise (dirigé par Philippe Bonnin)

Ma, oku, seken, ta, wabi/sabi 

par Augustin Berque
 
Présentation : Augustin Berque introduit et définit cinq notions - qui sont aussi des esthétiques - propres à la spatialité nipponne. Il tisse ensemble un "entrelien humain" (voir "ma") entre l'univers de la science et le monde des phénomènes.
Ce "tissage", qui fonde notre milieu, 
  1. se déploie dans le rhizome des relations d'un vivant (voir "seken") - on pourrait dire au sens moderne, son "réseau".
  2. s'invagine dans le revers d'un endroit dont la profondeur (voir "oku") est chargée d'intimité et de force de résurgence.
  3. se mesure en conservant un rapport de proportion humaine, à l'échelle des tatamis, ou des rizières (voir "ta, tanbo") et non pas au moyen d'un pas absolutisé selon une métrique mathématique.
  4. il se transforme au cours du temps non pas selon une pente irréversible de dégradation, mais selon une esthétique et une morale (voir "wabi/sabi") qui se révèle progressivement par de la patine et le "goût de la solitude tranquille, loin des soucis du monde".
Au travers de ces 5 notions de la spatialité nippone c'est aussi une proposition de prédication renouvelée, apte à traduire en mots un milieu humain qui échappe toujours - d'une manière ou d'une autre - à toute langue. 
Toute traduction est au "bout de la langue", à l'extrémité de la bouche, en ce point d'inflexion entre le corps animal et le champ symbolique d'une culture donnée. Elle est donc aussi, de manière plus fondamentale, l'expression de l'umwelt de l'humain, du rapport au monde de l'homme en tant qu'espèce. À la lecture de ces "notices", au-delà des différences prédicatives entre milieu francophone et japonophone, c'est bien le sentiment d'une résonance commune qui se fait jour. Cela ouvre la perspective d'une relation médiale, où ce qui gît sur le bout de toutes les langues trouve corde à son arc (vocal) dans un ancrage organique commun. Ces mots-notions permettent d'articuler des vides médiants de la langue française, des absences sémantiques, conceptuelles, spatiales et temporelles. Ils sont de véritables outils pour penser, depuis le monde francophone et au moyen de la langue nippone, la mésologique de l'humain, sa manière propre - en tant qu'espèce - d'habiter et d'être humain sur la terre.
Bonne lecture, Y. Moreau.
 

mercredi 16 mai 2012

Mésologie du sacré / A. Berque

CEZANNE Mont Sainte-Victoire et Chateau Noir
CEZANNE Mont Sainte-Victoire et Chateau Noir (1904-06)
(source : Bridgestone Museum of Art)

Mésologie du sacré

Communication au colloque Y a-t-il du sacré dans la nature ?

Université Paris I, 27-28 avril 2012
par Augustin BERQUE

Résumé - Le dualisme moderne a désacralisé la nature, devenue cet objet neutre que toise un sujet transcendant son milieu. Cette objectification s’est accompagnée d’une décosmisation : le sujet n’a plus sa place dans ce qui n’est plus un cosmos, mais un univers objet. Ce paradigme acosmique a touché ses limites au siècle dernier, car il aboutit non seulement à détruire la biosphère, mais à saper notre humanité même. De tous les êtres vivants, l’humain est en effet celui qui dépend le plus de son milieu ; car celui-ci est le complément non seulement écologique, mais technique et symbolique sans lequel ce néotène n’existerait même pas, puisque, dans l’évolution, la technique et le symbole ont rétroagi sur sa constitution même. Ces liens entre le sujet humain et son milieu, radicalement insaisissables par le dualisme, se sont en revanche exprimés symboliquement dans toutes les cosmologies hormis celle de la modernité. La crise environnementale les ravive, soit dans une flambée de l’irrationnel, telle la vogue du fengshui en Occident, soit dans un holisme scientiste subordonnant l’humain aux écosystèmes. Tant ce spiritualisme que ce réductionnisme sont non moins des impasses que le dualisme. On y préférera la voie moyenne d’une mésologie (étude des milieux) poursuivant celle ouverte au siècle dernier par des naturalistes comme Uexküll et des philosophes comme Watsuji, qui montre que notre être ne se limite pas à notre corps individuel, mais comprend notre milieu.

mardi 8 mai 2012

La raison-cœur des co-suscitations paysagères / Nakamura Yoshio

Eido meishozue
Fig. 1 "Regarder et être regardé du paysage"
Extrait de Edo meishozue ((cc) Shiomizaka)
Pour Ebisu, numéro spécial d’actes du colloque de Shin Hirayu « De la chose au fait dans les milieux humains » (風土におけるものからことへの過程).

    La raison-cœur des co-suscitations paysagères

Les fluctuations du paysage entre corps, lieu et langage

par NAKAMURA Yoshio
Professeur honoraire à l’Institut de technologie de Tokyo

Résumé – En distinguant keikan (paysage observé) de fûkei (paysage vécu), l’on essaie d’expliquer le caractère de ce dernier par la pensée du bouddhisme du Grand Véhicule. Le paysage vécu relie par co-suscitation les corps et les lieux qui s’y impriment. Le ma, qui signifie le champ produit par ces relations co-suscitatives, rend bien compte des composants fondamentaux du paysage vécu : composition co-suscitative, bordure d’espace, emprunt de paysage, limite symbolique, etc. L’on examine la signification du circuit, qui a un profond rapport avec l’expérience du lieu, et celle des liens langagiers, sociaux, et intercorporels qui produisent le paysage vécu.

mercredi 2 mai 2012

Le temps et l'espace dans la culture japonaise / Romaric Jannel

"Les trois blancheurs" / Katsuhika Hokusai Cent vues du Mt Fuji
"Les trois blancheurs" / Katsuhika Hokusai
Cent vues du Mt Fuji (1830)
(source : ReedDesign)
Compte rendu par Romaric Jannel

Le temps et l’espace dans la culture japonaise

KATO Shûichi (trad. SABOURET Christophe) 2009 (Or. 2007),
Paris, CNRS Éditions, 271 pages.

Il est des langues dont la traversée, d’une rive à l’autre du monde, passionne, tant l’épreuve est difficile. Des œuvres littéraires sont traduites du japonais vers le français depuis bien longtemps, mais les essais pour leur part font figure de parent pauvre. S’agissant de traduire en français un essai rédigé en langue japonaise, la rigueur nécessaire à une telle entreprise a de quoi rebuter bien des prétendants. Plusieurs chercheurs s’y sont exercés ces dix dernières années faisant l’objet de publications notamment aux éditions du CNRS[1]. De qualité variable, ces traductions révèlent néanmoins l’intérêt des sciences humaines françaises pour la pensée japonaise et montrent, notamment aux philosophes, des perspectives originales[2]. L’œuvre de Katô Shûichi (1919-2008) compte plus de cinquante livres. Connu du grand public japonais, il est considéré comme « l’une des figures majeures de la pensée japonaise de la seconde moitié du XXe siècle »[3]. De formation médicale, il est aussi connu pour son militantisme pacifique. Le temps et l’espace dans la culture japonaise (2009, Or. 2007) traite, dans et au regard de la culture japonaise, de deux thèmes centraux des sciences humaines à savoir le temps et l’espace.