mercredi 27 novembre 2019

Exister au dehors de soi / Augustin Berque

« Chaudron 3, 2019 : L’Extérieur », École Camondo, 12-13 septembre 2019
conférence inaugurale

Exister au dehors de soi : la demeure humaine 

par Augustin Berque 

Rithika Pandey, Anxiety room (source)
RésuméL’habitation humaine ne se borne pas au logement des corps dans des « machines à habiter » ; c’est le foyer de l’écoumène (ἡ οἰκουμένη, « l’habitée »), tissu des systèmes écologiques, techniques et symboliques qui, au dehors des limites du corps physiologique,  font exister – ek-sistere, « se tenir au dehors » – l’être humain sur la Terre. L’écoumène, ensemble des milieux humains, c’est la demeure de notre être. Elle s’est constituée historiquement (évolutionnairement) dans un couplage dynamique avec l’émergence du genre Homo. Si chaque être humain a toujours le for intérieur de sa propre conscience, il ne pourrait pas vivre – il n’existerait même pas – sans cette sortie au dehors de soi dans un certain milieu. 

I. L’idée d’habitation est pour nous indissociable de celle de séparation entre intérieur et extérieur par une paroi quelconque. Suivant les civilisations, celle-ci pourra se composer de matières variées, des plus légères – comme les herbes sèches à armature de branchage des habitations aborigènes traditionnelles en Australie – aux plus consistantes, comme les briques, les pierres ou les parpaings qui font nos murs familiers ; mais l’essence d’une paroi étant non moins symbolique que physique, ce n’est pas la matière des parois qui détermine l’habitation ; c’est la distinction entre un dedans et un dehors, qui s’accompagne nécessairement d’un seuil faisant le lien entre les deux. Aux dedans, aux dehors et aux seuils correspondent des comportements idoines, qui structurent l’espace-temps de l’existence humaine à diverses échelles, allant de l’intime au monde entier. 

II. Cette relation multiscalaire entre l’existence humaine et l’espace-temps où elle se définit, c’est ce que j’appellerai ici l’écoumène.

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mercredi 13 novembre 2019

La mésologie active de Hatakeyama / Augustin Berque

Postface de La forêt amante de la mer, de HATAKEYAMA Shigeatsu
(1994, traduit par Augustin Berque), Marseille, Wildproject, 2019. 

La mésologie active de Hatakeyama 

par Augustin Berque 

Si j’ai entrepris de traduire ce livre, c’est à la suite de ma rencontre avec l’auteur, M. Hatakeyama Shigeatsu, en octobre 2015, à Mône même puis sur les pentes du mont Murone, dans la forêt qu’il avait plantée. […]

Ce livre illustre le combat que l’auteur a mené et gagné contre un projet de construction de digue maritime à la suite du tsunami du 11 mars 2011. Au-delà de cet épisode, il illustre la mésologie active qu’incarne cette histoire. Hatakeyama san a pris conscience, de par son expérience concrète, que défaire le lien existentiel, la médiance entre l’humain et son milieu est mortifère, et il a justement su redynamiser ce lien par des actions concrètes, vécues à la racine. C’est pourquoi, notamment, l’enfance y tient une si grande place : la sienne, où sa propre vie s’est construite en relation directe avec celle de ses compagnons humains et non-humains, mais celle aussi des enfants d’aujourd’hui, par des actions pédagogiques déterminées.
Le sel de la mer, ce sel sacré que les habitants de Mône ont la charge de puiser pour les cérémonies du Murone jinja, et qui ainsi établit un lien symbolique entre la mer et la forêt, Hatakeyama san n’en fait pas seulement un usage littéraire. Son action et son œuvre incarnent l’essence de ce qui crée l’habitabilité de la Terre pour nous autres humains : l’écoumène, ἡ οἰκουμένη, « l’habitée », autrement dit la relation éco-techno-symbolique de l’humanité avec la Terre – l’ensemble des milieux humains. L’écologique est là manifestement à chaque page, la technique relatée en détail, et le symbole toujours présent, accentué au fur et à mesure de la lecture par la scansion d’un poème.

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