mercredi 26 avril 2017

Qu’est-ce qu’habiter la Terre à l’anthropocène ? / A. Berque

'Campos de Altitude', an ecosystem of the Atlan...
(Cristian Dimitrius, Museu do Amanhã)
(source)
École nationale supérieure d’architecture de Marseille
Séminaire Habiter le monde, penser la décroissance au 21e siècle
Conférence, mardi 6 décembre 2016
Qu’est-ce qu’habiter la Terre à l’anthropocène ?
par Augustin Berque

Sommaire – 1. Le lien écouménal ; 2. La demeure humaine ; 3. Habiter par le corps et par le bâtiment ; 4. Habiter en pureté ; 5. Le feu et le lieu ; 6. La contingence de l’habiter ; 7. Déploiement et inversion de l’habiter humain ; 8. Déshabiter la Terre : l’origine de l’anthropocène ; 9. Du mont Horeb à l’espace foutoir ; 10. Médiance et réhabitation de la Terre.

1. Le lien écouménal
Un jour ou l’autre, et sans doute plus d’une fois dans le présent séminaire, nous avons tous entendu ces vers de Hölderlin :

                  Voll Verdienst, doch dichterisch wohnet               Plein de mérites, mais   poétiquement habite
                  Der Mensch auf dieser Erde.                                           l’humain sur cette terre.


et c’est bien de cet habiter-là qu’il sera question aujourd’hui.

mercredi 19 avril 2017

Recosmiser la Terre – quelques leçons péruviennes / Augustin Berque

Art Huichol (source)

Recosmiser la Terre

– quelques leçons péruviennes –


Par Augustin Berque

Résumé - Comme toutes les espèces vivantes, toutes les cultures humaines ont eu leur propre monde (kosmos), où l’existence humaine était comprise dans un ordre (kosmos) spécifique à ce monde-là, et ainsi pourvue de sens par cette cosmicité. Établi en Europe au XVIIe siècle, mais symboliquement préfiguré dès le XVe siècle par la perspective linéaire, qui abstrait l’observateur hors du tableau, le paradigme occidental moderne classique (POMC) est le seul, dans l’histoire humaine, qui ait privé le sujet humain de cosmicité, en l’abstrayant, par le dualisme, dans une position transcendantale opposée à un monde réduit à l’état d’objet. Cette décosmisation a abouti, au XXe siècle, à ce que l’architecte Rem Koolhaas nomme « espace foutoir » (junkspace), autrement dit l’acosmie (la perte de toute cosmicité). Elle a été d’autant plus brutale dans les pays colonisés comme le Pérou, où elle a atteint au cosmocide (la suppression d’un monde par la violence). Aujourd’hui se pose donc au Pérou un double défi : essayer de surmonter l’acosmie moderne, en s’inspirant de la cosmicité qui, par certains aspects, perdure dans les communautés autochtones. Ce défi est à la fois culturel, environnemental et socio-politique. Il était initialement prévu qu’au terme d’un bref séjour, l’auteur confierait ses impressions à cet égard.

mercredi 12 avril 2017

Le mythe et l’hypostase / A. Berque

Tiger Emerging from Bamboo (Kano Tsunenobu:1704-1713)
Minneapolis Institute of Art
Postface à Religions et écologie. Archives de sciences sociales des religions. Numéro spécial dirigé par L. Bertina, M. Gervais et A. Grisoni

Postface

 Le mythe et l’hypostase

par Augustin Berque 


Sur le chemin d’Alexandrie, on traversait Damanhour. Pas Damanhur près d’Alessandria dans le Piémont, mais دمنهور‎‎ (dɑmɑnˈhuːɾ), l’ancienne Petite Hermopolis (Ἑρμοῦ πόλις μικρά) du temps des Ptolémées. Comme vous le savez presque, maintenant que vous avez lu ci-devant l’article d’Enzo Pace, ce toponyme, prononcé Dmỉ-n-Ḥr.w en ancien égyptien, voulait dire « la ville de Hor » (dieu dont le nom fut plus tard latinisé en Horus). En passant par là au début des années cinquante, j’ignorais toutefois ces choses, et ignorais même le mot « écologie », mais en revanche, la religion m’occupait assez – en l’occurrence un rite de passage entre enfance et adolescence popularisé par saint Vincent-de-Paul (1576-1660), que les catholiques appellent aujourd’hui « la communion solennelle ». C’est dire que, sur ces routes poussiéreuses du Delta, voici une bonne dose de révolutions de la Terre autour du Soleil, je ne problématisais pas le rapport entre écologie et religion ; aussi remercié-je les trois organisateurs du présent ouvrage de me donner l’occasion d’aborder cette question sinon de face – ils l’ont déjà excellemment fait dans leur prologue –, du moins en postface, autrement dit par derrière. Eux l’ayant fait à partir de l’Occident, versant du monde où domina longtemps le christianisme, je le ferai donc plutôt à partir de l’Orient, où ce ne fut pas le cas. Juste pour comparer.