Two Women Embracing (E. Schiele, 1915) source |
Pour Sciences critiques.
Qu’est-ce que la mésologie ?
par Augustin Berque
1. La
fondation positiviste
Le
terme « mésologie », au sens de : « étude des
milieux », a été créé par un disciple d’Auguste Comte, le médecin Charles
Robin (1821-1885), qui le proposa lors de la séance inaugurale de la Société de
biologie, le 7 juin 1848. Cofondateur de la Société, Robin fixait, parmi les
tâches de la biologie à venir, celle de développer ladite mésologie. Celle-ci,
notamment sous l’impulsion du médecin, anthropologue et statisticien
Louis-Adolphe Bertillon (1821-1883), devait effectivement connaître un bel
épanouissement au XIXe siècle, ce qui lui valut de figurer dans la
première édition du Petit Larousse (1906) avec la définition suivante :
« Partie de la biologie qui traite des rapports des milieux et des
organismes », alors que le terme « écologie » n’y figurait pas
encore.
Ce
dernier terme – calque de l’allemand Ökologie,
créé par Haeckel en 1866, et apparu en français en 1874 – devait pourtant, au
XXe siècle, supplanter « mésologie », qui finit par
disparaître des dictionnaires. On peut se demander pourquoi, car, le champ
initial des deux disciplines étant proche, « mésologie » aurait pu
dire en français ce qu’Ökologie disait
en allemand, comme en anglais ecology – apparu dans cette langue en 1873, à partir
de l’allemand. Je vois deux raisons à cet effacement de la mésologie :
- La première, c’est que son champ était trop vaste.
Telle que la concevaient Robin, Bertillon et leurs disciples, la mésologie
couvrait en effet ce qui relève aujourd’hui de la médecine, de l’écologie et de
la sociologie. En tant que science positive, elle ne pouvait traiter d’un tel
ensemble sans tomber dans un déterminisme réducteur ; et c’est effectivement
ce qui lui est arrivé.
- La seconde, ce sont les développements qu’ecology a connus dans les pays
anglophones, où le terme mesology n’existait
pas. Il en découla que ces progrès, une fois connus en France, le furent
sous l’étiquette « écologie », sans qu’on traduisît le terme en
« mésologie ». Cette influence culmina dans les années soixante, où
le terme « environnement » prit le pas sur celui de
« milieu ». Le géographe Pierre George illustra ce basculement avec
le Que sais-je L’environnement, paru
en 1971 sur un sujet revenant en fait à ce que la géographie avait jusque-là
nommé « milieu ». Il avait pourtant lui-même écrit à l’entrée
« environnement », dans son Dictionnaire
de la géographie publié l’année précédente, « Le terme est employé
surtout par les auteurs anglo-saxons, dans un sens voisin de milieu géographique »… Mais tout le monde parlait désormais de
« crise de l’environnement », personne de « crise du
milieu », et il était de notoriété publique que la science de
l’environnement, c’est l’écologie, pas la mésologie ; laquelle, en somme,
avait perdu et son objet, et son droit au dictionnaire.
2. La refondation
phénoménologique
Or tandis que la mésologie disparaissait en France, elle réapparaissait
en Allemagne, sous l’influence de la phénoménologie et avec le nom d’Umweltlehre, « étude des mondes
ambiants ». Ce fut l’œuvre du naturaliste germano-balte Jakob von Uexküll
(1864-1944 ; prononcer « Ükskül »), qui résuma l’essentiel de
ses découvertes en 1934 dans un petit livre attrayant, intitulé Incursions dans les milieux animaux et
humains.
Avec Uexküll, la mésologie entrait dans un deuxième âge, marqué par
trois différences essentielles avec la période précédente :
- Rompant avec trois siècles de dualisme
mécaniciste, Uexküll montre que les animaux (on peut élargir et dire : le
vivant en général) ne sont pas des machines, mais des « machinistes »
(Maschinisten), lesquels ne sont pas
mus seulement par des stimuli comme l’eût voulu le béhaviorisme, mais, en tant que sujets (als Subjekte), interprètent les signes de leur milieu d’une façon
particulière. Le milieu, en somme, c’est la réalité comme elle apparaît
concrètement, c’est-à-dire existe pour l’être concerné, non pas l’abstraction universelle
que serait la substance intrinsèque de l’environnement (i.e. un simple objet).
- Corrélativement, Uexküll introduit une
distinction fondatrice entre Umwelt (le
milieu, le monde ambiant) et Umgebung (les
données brutes de l’environnement). Le milieu, c’est ce qui existe concrètement
pour l’être concerné, dans les termes singuliers qui lui sont propres, tandis
que l’environnement, c’est un objet universel, existant sous le regard de nulle
part d’un observateur abstrait.
- Entre le milieu et l’être concerné s’exprime un
« contrepoint (Kontrapunkt), un
« contre-assemblage » (Gegengefüge),
qui fait que les deux termes sont fonction l’un de l’autre. Le milieu n’est pas
universel, il est propre à une espèce donnée (l’exemple de la tique est devenu
célèbre).
Entre
autres implications, c’était là rejeter la notion d’adaptation darwinienne, qui
est univoque : la sélection naturelle fait que le vivant s’adapte à
l’environnement, pas l’inverse. Pour Uexküll en revanche, l’animal et son
milieu étant fonction l’un de l’autre, l’environnement serait-il pessimal aux
yeux de l’observateur, le milieu est toujours optimal pour l’espèce concernée
(comme, par la suite, n’a cessé de le confirmer la découverte d’espèces dites
« extrémophiles », i.e. vivant dans un environnement qui serait
mortel pour la plupart des autres espèces).
Ces
mêmes bases sont reprises, au même moment, mais cette fois-ci à propos des
milieux humains, par un philosophe japonais, Watsuji Tetsurô (1889-1960 ;
comme il est normal en Asie orientale, le patronyme Watsuji précède le prénom
Tetsurô). Watsuji étant plus jeune qu’Uexküll, on peut se demander s’il n’en a
pas entendu parler lors d’un séjour qu’il fit en Allemagne en 1927-1928. Peut-être
le lien ne fut-il que l’esprit du temps, celui du grand essor de la
phénoménologie. Toujours est-il que c’est à son retour d’Allemagne, en 1928, et
en invoquant la phénoménologie herméneutique, que Watsuji commence la rédaction
d’une suite d’articles, qui deviendront en 1935 un livre : Milieux. Étude de l’entrelien humain.
Avec celui d’Uexküll précédemment cité, ce livre est l’un des deux
piliers qui ont refondé la mésologie, appelée par Watsuji fûdogaku 風土学 ou fûdoron 風土論 : « étude du fûdo 風土. Qu’est-ce donc que le fûdo ? Ce mot est formé des deux
éléments « vent (fû 風) »
et « terre (do 土) ».
Watsuji le définit lui-même de la façon suivante dans les premières lignes du
chapitre I : « Ce que j’appelle ici milieu (fûdo) est un terme général comprenant, pour une certaine
région, le climat, les météores, la nature des roches et des sols, le relief,
le paysage etc. ».
Or,
bien que tout le reste de son propos revienne à dire que l’essentiel, en la
matière, est la « manière » (shikata
仕方)
dont la société concernée interprète ces données, cette première définition
omet ce que tout bon dictionnaire ne manque pas de mentionner comme la seconde
acception du terme fûdo ; à
savoir les mœurs de ladite société. Le fûdo en effet, ce n’est pas seulement un
milieu physique (comme il ressort de
la définition ci-dessus), c’est tout autant un milieu social. Du reste, le
sous-titre même que Watsuji a donné à son livre : étude de l’entrelien humain (ningengakuteki
kôsatsu 人間学的考察), montre bien que, dans cette réalité globale qu’est un milieu, l’aspect
social compte autant que les données de l’environnement physique. Pour Watsuji,
c’est en effet à travers un corps social (aidagara
間柄)
que les phénomènes du milieu physique sont vécus ; et c’est la combinatoire
de cet entrelien (aida 間) avec
l’individu (hito 人) qui
fait l’être humain concret, ningen 人間 –
mot formé, on le voit, des deux mêmes sinogrammes que hito et aida, mais
prononcés différemment quand ils sont accolés.
Or
même à la fois individuel et social, l’humain en question, dans la mesure où
justement il est concret, n’est pas non plus dissociable du versant physique de
son entrelien – à savoir son lien avec les choses de son milieu. Watsuji, dès
la première ligne du livre, introduit à cet effet le concept de fûdosei 風土性 (littéralement « fûdo-ité »), qu’il définit comme
« le moment structurel de l’existence humaine » (ningen sonzai no kôzô keiki 人間存在の構造契機), « moment » étant ici à comprendre non
comme un court laps de temps, mais comme le couplage dynamique (kôzô keiki traduit l’allemand Strukturmoment) de deux forces ou de
deux termes ; en l’occurrence, c’est le couplage dynamique de l’être et de
son milieu.
J’ai
traduit fûdosei par
« médiance », terme dérivé du latin medietas qui signifie « moitié » (les deux « moitiés »
étant ici l’être et son milieu, dynamiquement couplés). Medietas a la même racine med-
que milieu, laquelle correspond à la
racine grecque meso- de mésologie.
La médiance, concept ontologique, correspond à ce qu’Uexküll, de
manière plus imagée, appelait « contrepoint » ou
« contre-assemblage ». C’est le foyer problématique de la mésologie.
Or comment s’établit-elle, et comment fonctionne-t-elle ?
3. La trajection
de la réalité
Cette
problématique n’était pas si nouvelle qu’il semble. Elle était déjà pressentie
par Platon dans l’onto-cosmologie du Timée,
où il est question de la relation ambivalente entre l’être relatif (la genesis γένεσις, reflet de l’être absolu)
et son milieu (la chôra χώρα). Il
apparaît en effet que le milieu est à la fois l’empreinte (50 c 1) et la
matrice (« mère », 50 d 2, « nourrice », 52 d 4) de l’être
relatif. Une telle ambivalence étant
« difficilement croyable » (52 b 2), et relevant d’un
« raisonnement bâtard » (52 b 2), le rationalisme platonicien renonce
en fin de compte à en penser le « troisième et autre genre » (48 e
3), qui ne relève ni de l’intelligible (l’être absolu) ni du sensible (l’être
relatif).
Effectivement,
le genre logique de cette empreinte-matrice qu’est la chôra relève de ce que le rationalisme occidental a forclos :
le tiers exclu, qui n’est ni A
(affirmation) ni non-A (négation), ou à la fois A et non-A. Or si la logique
aristotélicienne a rejeté le tiers, la logique indienne en revanche – en
particulier dans le bouddhisme du Grand Véhicule – l’a systématiquement
pratiqué dans ce qu’on appelle le tétralemme : 1. A ; 2. non-A ;
3. ni A ni non-A (binégation) ; 4. à la fois A et non-A (biaffirmation).
On
intervertit souvent le tiers et le quart lemmes, mais terminer sur la
binégation ne mène littéralement à rien, tandis que terminer sur la
biaffirmation ouvre au contraire à tous les possibles. Or cette ouverture à
tous les possibles, c’est justement ce qui se passe dans les milieux concrets,
et c’est cela dont la mésologie d’Uexküll a prouvé la réalité. Pour Uexküll en
effet, un animal ne peut pas entrer en relation avec un objet (mit einem Gegenstand) ; ce avec
quoi il entre en relation, c’est avec le « ton » (Ton) sur lequel, pour lui, existent les
choses. Par exemple, pour une vache, une touffe d’herbe existera sur le ton de
l’aliment (Esston) ; mais pour
une fourmi, la même touffe d’herbe existera sur le ton de l’obstacle (Hinderniston) ; pour un scarabée,
sur le ton de l’abri (Schutzton) ;
etc.
Cela
signifie que les choses d’un milieu n’existent pas en soi (an sich, aurait dit Kant), mais toujours en tant que quelque chose (als
etwas, dira Heidegger, qui a consacré à Uexküll une bonne part de son
séminaire de 1929-1930), ou d’une certaine façon (shikata, aurait dit Watsuji, qui cependant n’a pas poursuivi cette
piste). Uexküll, quant à lui, appelait « tonation » (Tönung) ce passage de l’en-soi de
l’objet abstrait à la réalité concrète d’une certaine chose, pour un certain
animal.
Poursuivre
ladite piste à la fois en termes logiques et ontologiques – ce que n’ont fait
ni Uexküll, ni Watsuji – exige une méso-logique
dépassant le principe du tiers exclu. C’est ce qui se passe dans les faits
quand la même touffe d’herbe existe à la fois comme aliment (A), obstacle
(non-A), abri (non-A et non-non-A), etc. Que l’herbe soit pour une vache un aliment
correspond en termes logiques à la prédication « S est P », où S est
le sujet, i.e. ce dont il s’agit (de l’herbe), et P le prédicat, i.e. ce que
l’on dit de S (« ça se mange ») ; mais cette opération dépasse
le champ verbal de la logique. À la fois logique et ontologique, elle est onto-logique. C’est plus qu’une
prédication ; c’est une trajection,
qui fait exister (ek-sistere « se tenir hors
de ») S hors de son en-soi pour devenir (gignomai : genesis) une certaine chose selon l’être
concerné : un aliment (P) pour la vache, un obstacle (P’) pour la fourmi, un
abri (P’’) pour le scarabée, etc.
Cet
« exister en tant que », soit S en tant que P, c’est ce qui engendre
la réalité concrète, laquelle – tiers lemme – n’est ni simplement objective (ce n’est pas l’en-soi d’un objet S), ni simplement subjective (ce qui serait
un pur P, i.e. un simple fantasme), mais trajective.
Cela se représente par la formule r = S/P,
qui se lit : « la réalité r,
c’est S en tant que P ».
Or
si S existe en tant que P, c’est en fonction d’un certain interprète I :
une vache (I), une fourmi (I’), un scarabée (I’’), etc. Il y a donc là une
ternarité (S existe en tant que P pour I, soit S-I-P) qui échappe doublement au
dualisme : 1. parce que la trajectivité
d’une chose est, ontologiquement, irréductible à l’abstraction dualiste sujet-objet ;
2. parce que cette trajectivité est irréductible à la dualité logique
sujet-prédicat (S-P), laquelle fait abstraction de l’interprète I et ne saisit
donc pas la ternarité S-I-P.
Ce
n’est pas tout. La pensée moderne a hérité de l’aristotélisme l’axiome que le
rapport sujet-prédicat en logique est homologue au rapport substance-accident
en métaphysique. S est substantiel : il est à la fois « gisant
dessous » : hupokeimenon :
subjectum : sujet, et « se-tenir-dessous » : hupostasis : substantia : substance,
tandis que P ne l’est pas : il ne fait que « tomber sur » (accidere), arriver accidentellement à S.
Le sujet du logicien n’étant autre que l’objet du physicien (ce dont il s’agit,
S), cette façon de voir a nourri le credo du dualisme moderne, à savoir que
tant le cogito (le « je
pense » du sujet cartésien) que l’objet existeraient en soi. Or montrer
expérimentalement, comme Uexküll, que dans la réalité concrète, il n’y a pas
d’objets en soi mais un processus de tonation qui fait exister les choses en
tant que quelque chose, c’était abolir ledit axiome.
Plus.
Cette tonation, ce n’est pas seulement une trajection, mais une chaîne trajective. En effet, dans la
réalité concrète, la ternarité S-I-P est mouvante. Elle bouge non seulement
dans l’espace, parce que I (une vache) n’est pas I’ (une fourmi), mais aussi
dans le temps, parce les générations se succèdent, chacune héritant de la
précédente une réalité S/P qu’elle va interpréter à son tour, autrement dit
surprédiquer en (S/P)/P’, puis la génération suivante en ((S/P)/P’)P’’, la
suivante en (((S/P)/P’)/P’’)/P’’’… et ainsi de suite (NB : ici, par
simplification graphique, I n’est pas représenté, il est implicite).
Or
dans une telle chaîne, on voit que la réalité S/P initiale, qui est
mi-substantielle (S) mi-insubstantielle (P), va se trouver en position de sujet
(S), donc être substantialisée par rapport au nouveau prédicat P’, et ainsi de
suite. En métaphysique, une telle substantialisation s’appelle une hypostase. Il ne s’agit ni d’un artifice graphique
(les formules susdites), ni d’une logomachie abstraite, mais bien de ce qui se
passe concrètement dans l’histoire comme dans l’évolution, où les en-tant-que
de la trajection – les modes de saisie de la réalité (S/P) par un certain être
(I) – finissent toujours par retentir substantiellement et sur les êtres, et
sur leurs milieux. J’ai montré par exemple (dans Histoire de l’habitat idéal, Le Félin, 2010) comment le mythe
arcadien, en trois mille ans d’histoire, a fini par engendrer l’urbain diffus,
dont l’empreinte écologique contribue substantiellement au réchauffement
climatique. Le verbal s’est hypostasié en tellurique…
4. La
perspective mésologique
De
telles considérations dépassent le champ d’une simple discipline.
Effectivement, plutôt qu’une discipline, la mésologie est une perspective, qui sous
des manifestations diverses tend à périmer le paradigme moderne, celui du
dualisme sujet-objet et de ses conséquences, notamment le mécanicisme comme on
l’a vu avec Uexküll. La mésologie est virtuellement un paradigme transmoderne,
qui va s’exprimant aussi bien dans les sciences de la nature que dans les
sciences humaines.
Dire
par exemple, comme Heisenberg (La nature
dans la physique contemporaine,
Gallimard, 1965), que les sciences exactes de notre temps portent non plus sur
un objet (la nature) mais sur notre relation à cet objet, cela revient à dire que
la physique porte sur S/P, non plus sur S. Son objet n’est plus (putativement)
objectif, il est (effectivement) trajectif. C’est dans le même fil que
d’Espagnat (Traité de physique et de philosophie,
Fayard, 2002) parle de « réel voilé » – voilé par la relation même
que la physique établit avec son objet ; celui-ci, une fois de plus, n’est
pas un S idéal, mais un empirique S/P. Effectivement, atteindre S, c’est ipso facto en faire un certain S/P.
Selon l’appareil de mesure (I, I’ etc.), une même particule S ek-sistera soit en tant qu’onde (P),
soit en tant que corpuscule (P’). Et dans ce que l’on appelle « chaînes de
von Neumann », les mesures successives I, I’, I’’ etc. fonctionnent même
de manière analogue à une chaîne trajective.
Du
côté des sciences humaines, ce que Peirce a nommé « sémiose »,
derechef, fonctionne comme une chaîne trajective : dans la triade dont les deux
autres termes sont the Object et the Sign, the Interpretant peut indéfiniment être réinterprété en de nouveaux
interpretants. Bien que, dans la
lignée saussurienne, il n’y ait pas cette ternarité mais une dualité du rapport
signifiant/signifié (i.e. le signe, Sã/Sé), l’analogie
avec une chaîne trajective est encore plus manifeste dans ce que Barthes (Mythologies, Seuil, 1957) a nommé
« chaîne sémiologique ». Cela peut même se représenter comme une chaîne
trajective (Barthes le représentait autrement, mais cela revient au
même) : (((Sã/Sé)/ Sé’)/ Sé’’)
/ Sé’’’… et ainsi de suite, indéfiniment.
Pour
Barthes, les chaînes sémiologiques expliquent la transformation de l’histoire
en mythe. Il y a de cela dans la perspective mésologique : quels que soient
l’époque ou les êtres concernés, qu’il s’agisse de tiques ou de physiciens, ce
qui pour eux existe en tant que « la réalité », autrement dit leur
milieu (S/P), est toujours tant soit peu mythique, car toujours tant soit peu
fonction de leur propre existence, fût-ce par appareillage de mesure interposé.
La réalité, en effet, est toujours trajective ; et pour en traiter comme
il convient, nous avons besoin, fondamentalement, d’une ontologie et d’une
logique transmodernes – celles qu’offre aujourd’hui la mésologie.
Palaiseau, 25 novembre 2017.
Pour en
savoir plus
- AUGENDRE Marie, LLORED Jean-Pierre, NUSSAUME Yann
(dir.), La mésologie, un autre paradigme
pour l’anthropocène ?, Paris, Hermann, sous presse.
- BERQUE Augustin, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin,
2000 (poche 2008).
- Id. Poétique
de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie,
Paris, Belin, 2014.
- Id. La mésologie, pourquoi et pour quoi
faire ?, Nanterre La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest,
2014.
- Id., Là,
sur les bords de l’Yvette. Dialogues mésologiques, Bastia, éditions
Éoliennes, 2017.
- UEXKÜLL Jakob von, Streifzüge durch die
Umwelten von Tieren und Menschen. Bedeutungslehre (Incursions
dans les milieux animaux et humains. Théorie de la signification),
Hambourg, Rowohlt, 1956 (1934). Traduit par Philippe Müller, Mondes animaux et monde humain, suivi de La théorie de la signification, Paris,
Denoël, 1965. Traduit par Charles Martin-Freville, Milieu animal et milieu humain, Paris, Rivages, 2010 (NB :
cette traduction ne comporte pas la Théorie
de la signification).
- WATSUJI Tetsurô, Fûdo. Ningengakuteki kôsatsu 風土。人間学的考察, (Milieux.
Étude de l’entrelien humain), Tokyo, Iwanami, 1935. Traduit par Augustin
Berque, Fûdo, le milieu humain,
Paris, CNRS Éditions, 2011.