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Le pont Suidō et le quartier Surugadai
Utagawa Hiroshige (1857)
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Conférence à l’Institut franco-japonais du Kansai, 10 mai 2012
Aida et ma
– de ce que sont les choses dans la spatialité japonaise –
間(あいだ)と間(ま)。もの(物)からこと(事)へ
par Augustin BERQUE
Passé voici moins d’une semaine, le cinquième jour du cinquième mois est aujourd’hui au Japon la fête des enfants (kodomo no hi こどもの日). Autrefois, c’était la date du 端午 tango, cn duànwŭ, qui dans la tradition chinoise est la fête du début du yang réchauffant (on l’appelle donc aussi duānyángjié 端陽節). On y organise des régates à la mémoire de Qu Yuan 屈原 (343-290), poète de l’époque des Royaumes Combattants, qui se jeta dans la rivière Miluo 汨羅江 pour avoir perdu la faveur de son souverain, le roi Huai de Chu 楚懐王. Au Japon, cette fête devint le tango no sekku 端午の節句, à l’occasion duquel l’habitude s’est prise à l’époque d’Edo de faire flotter en haut d’un mât des bannières en forme de carpes, les koinobori 鯉幟, pour souhaiter du succès dans la vie aux petits garçons.
Or en passant, sous Meiji, du calendrier lunaire au calendrier grégorien, la date s’est rapprochée de la fin du printemps, alors que dans l’ancien calendrier, elle correspondait à la période des pluies de mousson. Du coup, l’image a changé aussi. À l’époque d’Edo, les bannières flottant sous la pluie représentaient des carpes remontant une rivière torrentueuse, et devenant des dragons. C’était la trace d’une vieille légende chinoise, selon laquelle les poissons qui réussissent à franchir les rapides de la « Porte des Dragons », Longmen 龍門 au Shanxi 山西, deviennent des dragons, tandis que ceux qui n’y arrivent pas redescendent avec le front marqué d’une contusion, pareille à un point. L’expression « le front marqué à Longmen » Lóngmén diăn é 龍門点額 a pris plus tard le sens d’échouer aux concours mandarinaux.