"Trajectivité" d'après un dessin de Maurits Cornelis Escher (montage Yoann Moreau / worth1000.com) |
Séminaire "Poétique de la Terre". Compte rendu de la séance du vendredi 13 mai 2011
A. Berque continue à commenter l'ouvrage de YAMAUCHI Tokuryû, Logos et lemme, du point de vue de la mésologie. L'idée directrice de ces commentaires est que la "lemmique" envisagée par Yamauchi s'apparente à la "raison trajective" qui s'incarne dans les milieux humains, ainsi que dans les milieux du vivant en général. La principale différence est la suivante : tout comme la "vérité ultime" dans le bouddhisme du Grand Véhicule (en tant que religion), et comme la "logique du prédicat" nishidienne (par dérive ethnocentrique), la lemmique de Yamauchi s'absolutise dans ce qu'A. Berque appelle un "bond mystique".
Cette absolutisation du relatif est le propre de la mondanité au sens heideggérien du terme Weltlichkeit. Elle est intenable tant du point de vue scientifique (lequel ne peut transcender les preuves et les mesures par la foi, ni, logico-mathématiquement, transcender l'exigence antimondaine des théorèmes de Gôdel) que du point de vue pratique (lequel ne peut transcender les échelles spatio-temporelles concrètes de la réalité). La mésologie, quant à elle, laisse l'absolu au delà de son horizon : elle ne considère que la trajection de la réalité, i.e. des états relatifs dans l'écoumène et des étapes relatives dans l'histoire, dont elle ne peut sonder ni l'origine première ni la destination finale, mais dont elle peut du moins prétendre saisir unitairement le sens (dans la triple acception de direction physique, ressenti charnel et signification spirituelle). Immanentes à la connaissance, ces limites sont d'ailleurs le meilleur motif que nous ayons de les repousser indéfiniment plus loin.
Ce point de vue pourra invoquer l'anagramme du nom d'Albert Einstein, trouvé dans l'ouvrage d'Etienne KLEIN, Discours sur l'origine de l'Univers, Paris, Flammarion, 2010, p. 37 : "rien n'est établi". Du point de vue mésologique, rien ne peut être établi dans l'absolu, mais tout doit l'être relativement.
Le même Etienne Klein, s'aidant sans doute des super-ordinateurs de Saclay, a trouvé (op. cit., p. 50) l'anagramme suivante de Gustave Courbet, l'Origine du monde : "Ce vagin où goutte l'ombre d'un désir". Du point de vue mésologique, on en retiendra que si la pensée désirante (wishful thinking) est effectivement à l'origine de la mondanité humaine, la Terre (S), qui la fonde, et le Ciel (P), qui lui donne sens, y sont indéfectiblement partie prenante.
Telle est, en somme, la poétique de la Terre, dont le fil ne s'épuise (綿綿若存 用之不勤), au moins à notre échelle.
Ces questions pourront éventuellement être reprises par quelques un(e)s d'entre vous, préférablement muni(e)s d'un doctorat. En attendant, vous trouverez ci-joint le condensé et le commentaire du livre de Yamauchi (ce fichier est plus à jour que les précédents du même titre, et les annule donc).