Suite à la présentation au séminaire Japarchi du 03 mars 2011, Patricia Marmignon nous fait suivre son texte d'allocution. Ce dernier constitue l'ébauche d'une notice prévue pour publication dans Le vocabulaire encyclopédique de la spatialité japonaise", dirigé par Philippe Bonnin (à paraître).
1. Apparition de l’urbanisme, toshikeikaku - (période moderne)
1. Apparition de l’urbanisme, toshikeikaku - (période moderne)
L’évolution structurelle des villes japonaises s’opère avec les changements d’activités économiques du pays, dans l’esprit de son célèbre slogan « Wakon yôsai 和小尿際 » (Âme japonaise, techniques occidentales).
Pendant la période moderne, l’industrialisation et la montée du nationalisme influent sur la morphogenèse des villes et sur leur expansion, réinterprétation des modèles paysagers urbains occidentaux. Avec le travail occasionné en ville, l’archipel subit l’exode rural, et connaît en milieu urbain, une densité double à celle des grandes villes actuelles, pour une population moitié moindre. Afin de régler l’industrialisation, les désastres et les épidémies, les infrastructures, les conditions d’habitat, les terre-pleins, les parcs et les den’en-tohi 田園都市(ville-campagne) se développent. Un premier anneau se forme autour des villes, avec comme prémices de la mégalopole, un axe résidentiel dans les terres, opposé à l’industrie côtière.
La phase de préurbanisme est marquée par l’apparition de règlements, de la fin d’Edo au début de Meiji. Les premiers concernent les quartiers résidentiels réservés aux étrangers, comme à Yokohama et à Nagasaki en 1860 ou à Tokyo en 1870. Des arrêtés relatifs aux voies voient le jour à Kôbe en 1873, à Ôsaka en 1871 ou encore à Kyôto en 1872. En 1886, un règlement sur les baraques en longueur, nagaya 長屋 est promulgué à Ôsaka et à Kanagawa, et en 1899, il y a l’arrêté sur la révision des quartiers de Tokyo. Des plans de voies se dessinent, parallèlement au développement du tramway et des routes qui engendre la « coupe des avant-toits, nokigiri 軒切り », lieux d’urbanité et de socialité. À Tokyo, il est question de rehausser le prestige de l’État, et le plan Böckmann procède d’une centralisation administrative. Ces traumatismes génèrent des maux urbains, qui entraînent la création d’équipes pluridisciplinaires au sein des municipalités, et des enquêtes, comme à Kyôto en 1899 et à Ôsaka en 1917 par Seki Hajime 関一 (1873-1935).
C’est à ce dernier, maire d’Ôsaka et participant à la première loi d’urbanisme de 1919, que l’on attribue le terme toshikeikaku 都市計画, urbanisme , traduction directe de town planning. Toshi signifie municipal, ville, urbain et keikaku plan, projet, programme, planification. L’urbanisme moderne naît avec la loi d’urbanisme, Toshikeikaku hô 都市計画法, introduisant le périmètre de planification, toshikeikaku kuiki 都市計画区域 et les zones d’affectations, yôto chiiki 用途地域, du code de construction, Shigai-chi kenchiku-butsu hô 市街地建築物法, tous deux de 1919. La loi, en outre, établit la ligne de construction du bâti suivant la loi Adickes prussienne de 1902 et légifère le remembrement foncier. Des plans globaux apparaissent, après le séisme de 1923 et le début de la conquête de la Mandchourie, afin de planifier la croissance urbaine, le Grand Ôsaka de 1925, le plan du Kantô de 1936 ou celui de ses espaces verts en 1939.
Pendant la période moderne, l’industrialisation et la montée du nationalisme influent sur la morphogenèse des villes et sur leur expansion, réinterprétation des modèles paysagers urbains occidentaux. Avec le travail occasionné en ville, l’archipel subit l’exode rural, et connaît en milieu urbain, une densité double à celle des grandes villes actuelles, pour une population moitié moindre. Afin de régler l’industrialisation, les désastres et les épidémies, les infrastructures, les conditions d’habitat, les terre-pleins, les parcs et les den’en-tohi 田園都市(ville-campagne) se développent. Un premier anneau se forme autour des villes, avec comme prémices de la mégalopole, un axe résidentiel dans les terres, opposé à l’industrie côtière.
La phase de préurbanisme est marquée par l’apparition de règlements, de la fin d’Edo au début de Meiji. Les premiers concernent les quartiers résidentiels réservés aux étrangers, comme à Yokohama et à Nagasaki en 1860 ou à Tokyo en 1870. Des arrêtés relatifs aux voies voient le jour à Kôbe en 1873, à Ôsaka en 1871 ou encore à Kyôto en 1872. En 1886, un règlement sur les baraques en longueur, nagaya 長屋 est promulgué à Ôsaka et à Kanagawa, et en 1899, il y a l’arrêté sur la révision des quartiers de Tokyo. Des plans de voies se dessinent, parallèlement au développement du tramway et des routes qui engendre la « coupe des avant-toits, nokigiri 軒切り », lieux d’urbanité et de socialité. À Tokyo, il est question de rehausser le prestige de l’État, et le plan Böckmann procède d’une centralisation administrative. Ces traumatismes génèrent des maux urbains, qui entraînent la création d’équipes pluridisciplinaires au sein des municipalités, et des enquêtes, comme à Kyôto en 1899 et à Ôsaka en 1917 par Seki Hajime 関一 (1873-1935).
C’est à ce dernier, maire d’Ôsaka et participant à la première loi d’urbanisme de 1919, que l’on attribue le terme toshikeikaku 都市計画, urbanisme , traduction directe de town planning. Toshi signifie municipal, ville, urbain et keikaku plan, projet, programme, planification. L’urbanisme moderne naît avec la loi d’urbanisme, Toshikeikaku hô 都市計画法, introduisant le périmètre de planification, toshikeikaku kuiki 都市計画区域 et les zones d’affectations, yôto chiiki 用途地域, du code de construction, Shigai-chi kenchiku-butsu hô 市街地建築物法, tous deux de 1919. La loi, en outre, établit la ligne de construction du bâti suivant la loi Adickes prussienne de 1902 et légifère le remembrement foncier. Des plans globaux apparaissent, après le séisme de 1923 et le début de la conquête de la Mandchourie, afin de planifier la croissance urbaine, le Grand Ôsaka de 1925, le plan du Kantô de 1936 ou celui de ses espaces verts en 1939.
Dans les années 1920 où la population active devient urbaine, des anneaux concentriques se forment, suivant le modèle centre-périphérie établi par Howard, avec comme moteur de développement la « diversification du rail » en misant sur la plus-value, la vente à tempérament et des sociétés de logements attenantes aux compagnies ferroviaires. L’expansion urbaine se fait dans un esprit de centralisation et de nationalisme où l’ie 家 (maison) et la famille nucléaire se mettent à cohabiter. Elle n’est cependant pas contrôlée face à la densité.
2. Urbanisme planifié, administratif, toshi-zukuri - (1945-1980)
Après la seconde guerre mondiale, des industries lourdes, thermiques, sidérurgiques, pétrochimiques, de raffineries et de pétrole remplacent les industries légères, et nécessitent terre et main d’œuvre. La population urbaine devient majoritaire dans les années 1950, et l’exode rural atteint son pic en 1973, à une période où la croissance démographique et des valeurs foncières demeurent. L’objectif est de parer à la densité dans un pays qui dépasse les 100 millions d’habitants dans les années 1960, trois fois plus qu’en 1868. En 1970, le Keihanshin 京阪神 regroupe 14% de la population japonaise, et le Keihin 京浜 (en incluant Tokyo, Kanagawa, Saitama et Chiba) 23%. À cette époque, la mégalopole est formée et s’étend de Fukuoka à Tokyo.
Sa formation se fait avec les développements à grande échelle, grâce à la réforme agraire de 1945, nô-chi kaikaku, qui abolit l’ancien système de propriété foncière et oblige à la cession des terres cultivées selon le modèle anglais. La priorité est accordée à l’économie pour la reconstruction du pays et fait place à une période de haute croissance (1955-1973) et d’étalement urbain, supurôru スプロール. Cette époque se caractérise par un développement keynésien, une planification orchestrée par l’administration, un urbanisme planifié, toshi-zukuri 都市づくり, sans regard pour le milieu, et discrédité à partir des années 1970. Le terme toshi-zukuri désigne l’urbanisme planifié, administratif, par opposition à machi-zukuri, urbanisme participatif, termes usités en ce sens depuis les années 1970. Celui de toshikeikaku, urbanisme, plus général, est aujourd’hui assimilé à celui de toshi-zukuri, ne laissant pas une place assez grande au machi-zukuri.
La période qui s’étend de 1945 à la fin des années 1970 est une époque de stratification des plans de développements globaux nationaux, des aires métropolitaines, des plans régionaux et municipaux. Les premiers plans nationaux, de 1962 et de 1969, ont une visée économique, afin de promouvoir les villes nouvelles industrielles et de procéder à un rééquilibrage du territoire. Ce n’est qu’à compter de celui de 1967 à 1971, que l’aspect social est relié à l’économie, au moment des revendications face à la pollution. Les années 1970 procèdent d’une politique de grands travaux, de même que les aménagements gigantesques effectués pendant la bulle (1985-1990), dans un libéralisme exacerbé.
"Osaka suivant le modèle de Chicago" Représentation tirée de P. Marmignon, La création de l'urbain, 2010 |
Des lois et plans, régionaux et municipaux, sont fixés. Ils visent à la décongestion des grandes villes. Ils sont inspirés du plan Abercrombie du Grand Londres de 1944, du système des espaces verts américain, et de la planification globale et systématique allemande. Le premier plan régional de la capitale date de 1958. Il fait passer le rayon du périmètre de planification de Tokyo de 40 à 100 kilomètres. Un deuxième cercle concentrique se forme autour des grandes villes. Des grands ensembles, danchi 団地,fleurissent depuis la guerre, des villes nouvelles, nyû taun ニュータウン, en zone périurbaine, des cités-dortoirs, avec Senri nyû taun comme première, réalisée à Ôsaka en 1960. L’expansion urbaine est le fruit d’un fonctionnalisme à grande échelle au service des transports, des réseaux ferrés jusqu’aux années 1980, puis de l’automobile, avec une véritable séparation entre l’axe industriel et l’axe résidentiel.
Les mécanismes juridiques et administratifs, afin de réaliser la politique urbaine, se mettent en place, avec l’instauration d’outils, de lois et d’une stratégie. La loi de 1968 marqua un tournant dans le processus de décentralisation.
3. Urbanisme participatif, machi-zukuri et libéralisme - (1968-)
Aux crises pétrolières et aux revendications des années 1970, correspondent un virage structurel économique et socio-spatial. On se tourne vers le global et le local, une internationalisation des activités, une économie de services et d’informations, vers l’électronique, l’automobile et les finances. Conjointement, un urbanisme participatif naît, et une réorganisation des modèles paysagers urbains s’effectue à partir des années 1980, basée sur une volonté d’aménité, une décentralisation, une diversification des fonctions, un polycentrisme métropolitain et un libéralisme. Suite au développement keynésien jusqu’à l’éclatement de la bulle économique et foncière, on tend vers une autonomie du gouvernement local, dantai jichi 団体自治, et une autonomie des habitants, jûmin jichi 住民自治. Les années 1990-2000 légifèrent et institutionnalisent cette tendance.
C’est à partir d’une consultation, en 1968, que la formation de komyunitî コミュニテイー, i.e. des associations volontaires à partir de l’être social, voient le jour, et qu’un urbanisme participatif, machi-zukuri まちづくり, se développe autour de conseils, kyôgikai 協議会. Parallèlement, la nouvelle loi d’urbanisme, Shin-toshikeikaku 新都市計画, entame une décentralisation vers les départements et une libéralisation. Elle distingue les terrains urbanisables de ceux à contrôler, et porte sur la croissance urbaine. Par autorisation départementale, elle permet la conversion des terrains agricoles ou sylvicoles. Dans les années 1980, les aménagements procèdent d’une mixité des fonctions, de développements hors mesures et de dettes gouvernementales.
Pour redresser cette situation, le Japon se réoriente vers une collaboration avec le privé, notamment avec l’amendement en 1999 de la Minkatsu hô, la loi d’initiatives privées (1986), pour utiliser les capitaux privés. Il mise aussi sur les collectivités locales et les habitants, avec le système de master plans (plans directeurs, globaux), et la loi NPO en 1998, qui reconnaît comme personnes morales ces nouveaux acteurs. Vont de pair, la loi sur la décentralisation de 1999, et la loi d’urbanisme de 2000, qui donne tout pouvoir à l’assemblée délibérante des communes.
La mégalopole continue de s’étendre de Kumamoto vers Sendai. Elle accueille 90 millions d’habitants sur 1 300 kilomètres, 70% de la population japonaise. Habitent en ville, 90% des Japonais. La décentralisation est entamée, mais demeure la question du financement. Si le Keihin a vu sa population doublée depuis 1920, celle du Keihanshin est restée stable. La capitale focalise toujours les forces du capital. Le déclin, démographique et des valeurs foncières, ne permettant plus de miser sur la plus-value, laisse place, depuis les années 1990, à un retour à la ville compacte et à une volonté de densification de l’existant. Les gens désirent passer moins de temps dans les mouvements pendulaires, réclament des services et un travail à proximité de leur lieu de résidence.
Pour en savoir plus
1- AVELINE Natacha. La ville et le rail au Japon. L’expansion des groupes ferroviaires privés à Tôkyô et Ôsaka. Paris : CNRS Éditions, 2003, 238 pages.
2- BERQUE Augustin, BONNIN Philippe et GHORRA-GOBIN Cynthia. La ville insoutenable. Paris : Belin, 2006, 366 pages.
3- BOURDIER Marc et PELLETIER Philippe. « L’archipel accaparé. La question foncière au Japon ». Études japonaises 3. Paris : EHESS, 2000, 310 pages.
4- MARMIGNON Patricia. La création de l’urbain. Paysage urbain et socialité à Ôsaka depuis Meiji (1868). Sarrebruck : EUE, 2010, 257 pages.
5- MIWA Masahisa 三輪雅久 . Ôsaka toshikeikaku (shi) kenkyûkai 大阪都市計画(史)研究会 (Miwa Masahisa et les séminaires (de l’histoire) de l’urbanisme d’Ôsaka). Toshi-zukuri no kokoro. Toshikeikaku no shuhô to jissen 都市づくりのこころ−都市計画の手法と実践− (L’esprit de planification. Pratiques et techniques de l’urbanisme). Ôsaka 大阪: Ôsaka shi ritsu daigaku 大阪市立大学(Université de la ville d’Ôsaka), 2000, 225 pages.